‘‘Les Guinéens veulent le courant, mais ils ne veulent pas payer’’. Cette phrase est devenue si redondante que le gouvernement a fini par croire en ses propres contre-vérités. La réalité est tout autre, et il conviendrait plutôt d’indexer notre stratégie énergétique insuffisante, la mauvaise gestion d’EDG, l’affairisme autour de la fourniture des centrales thermiques et l’Etat qui s’avère être un mauvais payeur.
Electricité de Guinée (EDG) est sûrement l’entreprise publique la plus mal gérée du pays. Il suffit de jeter un regard sur le rapport financier rendu par le ministère de l’économie et des finances, en novembre dernier, pour s’en apercevoir. Comment expliquer les 8% d’augmentation des charges du personnel entre 2015 et 2016, alors même que l’entreprise était en restructuration et de nombreux employés illégaux étaient poussés vers la porte ? Dans la même période, malgré l’entrée en production du barrage hydroélectrique de Kaléta, la location de puissances auprès des groupes AON, Aggreko et K-Energie est passée de 500 milliards à près de 1900 milliards de nos francs, soit une hausse de 275%.
Mais le plus révoltant dans l’histoire reste le niveau d’endettement abyssale de l’entreprise. Selon ledit rapport, les dettes aux fournisseurs sont passées de 425 milliards gnf à près de 2000 milliards gnf ! Cette hausse de 370%, même si elle tient compte de la prise de la dette de Kaléta et des IPP reste insoutenable pour les caisses de l’entreprise, et demeure une aberrance aux règles de l’orthodoxie financière. A ce jour, Electricité De Guinée doit la bagatelle de 47 millions de dollars nets et cumulés au groupe Futurelec, l’AFD, la BID et la BIDC.
Que tous ces dérapages se passent juste avant et dans l’année qui suit la dernière présidentielle ne surprend guère, quand on connait les prévarications qui ont eu lieu dans la même période dans des régies financières de l’Etat. Ce qui laisse sans voix par contre, c’est l’ampleur de la gabegie qui a fini par mettre EDG dans un état comateux. On est même en droit de s’interroger sur le rôle que joue finalement Véolia dans la gestion de cette moribonde. La fébrilité autour de la location de puissances énergétiques des IPP ne pourrait donc s’expliquer que par la carambouille dont les principaux acteurs se trouvent être des satellites du pouvoir.
Il n’est pas aussi superflu d’indexer l’Etat guinéen qui reste à ce jour le plus mauvais payeur d’EDG ; et c’est vraisemblablement la deuxième cause de l’éclampsie dans laquelle se trouve plongée la guinéenne d’électricité. Combien de département ministériels paient-ils encore les factures à EDG ? Les casernes militaires, les lieux de culte, des officiers supérieurs de l’armée depuis le CMRN et le CNDD, des hauts cadres de l’administration publique et bien des structures étatiques sont abonnés absents aux guichets.
Il est donc vrai que les guinéens n’aiment pas payer les factures, mais le taux de recouvrement des factures des ménages reste dans la moyenne sous régionale. Même si le phénomène existe, il reste marginal à ce niveau tout comme les abonnements clandestins. Tenez, EDG table sur 250.000 abonnés à Conakry. Or le dernier recensement général de la population indique que la capitale comptait moins de 237 mille ménages en 2014 ! Quatre après, il est facile de comprendre que l’essentiel de ces ménages sont en règle vis-à-vis de l’entreprise.
Il est urgent que le gouvernement tienne un langage de vérité à nos concitoyens qui, loin d’être dupes, comprennent assez bien que la crise actuelle est due à l’incapacité notoire de nos gouvernants à trouver une stratégie idoine. La recrudescence des manifestations sur la voie publique combinée à la grogne syndicale risque fort de glisser sur le calendrier électoral en cours. Les conséquences pourraient être alors imprévisibles, et il est grand temps pour l’Etat de prenne cette situation bras-le-corps.
A bon entendeur salut !
Mohamed Mara