Si de l’entendement de Habermas, la société civile est cette frange du corps social qui ne tient pas part aux élections politiques, elle n’est pas moins celle qui prend part au débat public. En ce sens qu’elle commente les décisions publiques et constitue ainsi l’espace public. En Guinée, si l’action de la société civile a été jusqu’en 2007, quasiment circonscrite à ce rôle traditionnel, celle-ci investit l’action publique, elle s’adjuge le rôle de prescripteur de normes au gouvernement et aux politiques. Toute fois, la question de la légitimé supposée ou réelle des acteurs engagés au détriment des partis politiques et des syndicats pose débat.
La prétention des organisations se réclamant de la société civile à se poser en porte-étendard du peuple est discutable autant que la difficulté est liée en effet, au caractère subjectif et relatif du concept même de peuple. Mieux, contrairement à une revendication syndicale qui du moins encadre l’action de revendication et désigne les responsables d’un syndicat à porter les réclamations de la corporation, il s’agit pas plus pour les forces sociales que d’une substitution au peuple qui rejoint d’emblée le discours des mythes.
Si on peut comprendre les mobilisations de la société civile guinéenne sur de récentes questions à l’aune des mouvements des gilets jaunes en France, on dirait que les deux actions ont certes beaucoup mobilisé au départ, mais la participation s’effrite et s’épuise, même si les Français en majorité soutiennent le mouvement des gilets jaunes alors que pour les forces sociales quoiqu’on puisse dire de la pertinence supposée des revendications, il reste cependant non seulement pas prouvé que celles-ci sont largement partagées par les populations. Mais aussi et surtout que rien ne confère aux acteurs de la société civile la prévalence d’un quelconque mandat populaire. Ce substrat pose justement la question relative à la difficulté de l’existence d’une véritable opinion publique et la mesure qu’on peut en dresser relativement aux questions en débat dans l’espace public.
Plus loin, comparativement à la grève syndicale de 2007, qui constitue une date charnière dans l’imaginaire des revendications collectives en Guinée, les Forces Sociales de Guinée souffrent visiblement d’un souci structurel et organisationnel qui nous laisse se convaincre du rôle immensément fort joué par les partis politiques dans la mobilisation sociale de 2007, en raison des effets politiques de l’action de mobilisation d’alors qui ont conduit à un changement politique; lequel a produit un impact social et, plus spécifiquement, a modifié l’opinion publique dans un sens favorable à sa cause. Or, pour le moment, rien ne semble réussir des différentes revendications des Forces Sociales.
Pierre Ansart, de la notion d’action collective, enseigne que c’est « l’ensemble des pratiques coordonnées d’un groupe pour la défense de ses valeurs et de ses intérêts ». Donc, malgré la spontanéité qui caractérise les actions collectives, celles-ci nécessitent une coordination et une organisation. Là-dessus, l’inorganisation et la propension pour chaque acteur se réclamant des Forces Sociales de Guinée, à parler au nom du mouvement, sape la coordination qui doit être de mise pour éviter un émiettement de la dynamique. Dans la suite de cette critique, les FSG ne sont pas aussi exemptes d’une volonté d’appropriation individualiste qui aussi, tout comme le manque de coordination, entame indéniablement une action qui se veut collective. D’ailleurs, il y a plus d’acteurs engagés qui soient intéressés, à uniquement bénéficier des dividendes politique et social d’un mouvement social. Cette crainte concentre la critique tout le temps opposée aux acteurs de la société civile ou des syndicats. Ce qui entretient naturellement le sentiment de méfiance et de soupçon de récupération dont ils se reprocheraient. Relativement au mot d’ordre qui soit pour certains, flou, inavoué et ambigu, lié donc aux effets pervers ou non intentionnels de ceux qui se mobilisent depuis l’annonce du nouveau prix du carburant, tient au fait que l’impact des mouvements sociaux va fréquemment au-delà de leur but déclaré. Il en est de même que les effets induits d’une action collective aillent à l’encontre de ses objectifs. C’est souvent le cas lorsqu’une répression est faite de la part de l’Etat d’une action de mobilisation. Ce qui voudrait dire que le fait d’interdire tout le temps les manifestations et autres marches n’est pas de nature à contenir les contestations. Faudrait-il que les acteurs engagés rencontrent l’onction populaire ou tout simplement que les populations ne soient lassées des marches et autres villes mortes.
Kabinet Fofana
Analyste Politique