Puisse Allah sauver la Guinée !
En temps normal, je n’aurais pas choisi l’expression « Puisse ALLAH sauver la Guinée », ainsi que je le fais maintenant, comme bouclier pour préserver notre pays d’un précipice – réel ou imaginaire. En effet, ALLAH dit, lui-même, qu’il ne changera jamais la fortune d’un peuple tant que les individus qui le composent ne changent pas ce qui est en eux. C’est donc en désespoir de cause que je fais recours à cette formule, en supposant hypothétiquement que quelque part le créateur pourrait exceptionnellement sauver notre pays, même si nous ne changeons pas ce qui est en nous. Vous comprendrez donc que c’est avec lâcheté que je choisis cette expression, parce que le temps ne me parait pas normal.
En effet, face à la pire présidence que le pays ait connue, la Guinée a produit la pire opposition de ma vie d’adulte.
Je dis bien pire gouvernance
Depuis 2010, la Guinée est caractérisée par une impunité et un pillage des ressources publiques sans précédent, avec une incapacité des pouvoirs publics à mettre en place un programme cohérent d’amélioration des conditions de vie des guinéens.
L’impunité est si ravageuse que le Président de la République s’en glorifie parfois. Lors de la célébration de l’une des fêtes des enseignants, au palais du peuple, il avait déclaré publiquement que pendant une rencontre qu’il a eue avec Poutine, celui-ci lui aurait confié que la Russie disposait d’un dépôt de 10 millions de dollars à la Banque Centrale de Guinée. Poursuivant, dans un geste d’indifférence qui feigne la moquerie, si ce n’est la célébration, il indiqua que cette somme se serait évanouie. Et, pire, qu’il connait les coupables du détournement de ce montant, se contenta –t-il de dire, sans autres cérémonies. Des exemples d’impunité fusent de partout. Le Chef de l’Etat n’est-il pas allé jusqu’à déclarer qu’il ne connaît que les cadres malhonnêtes e Guinée?
Quant au pillage des ressources du pays, il est légion. Le bradage des ressources minières, colonne vertébrale de l’économie guinéenne, est devenu le sport quotidien des dirigeants du jour, au nez et la barbe du Président. En dépit d’une croissance de 200% de la production de bauxite (passant d’environ 20 millions de tonnes en 2010 à 60 millions de tonnes en 2018), les recettes de l’Etat dans le sous-secteur n‘ont augmenté que d’environ 45%. En d’autres termes, les 40 millions de tonnes supplémentaires de la période de 2010 à 2018 rapportent à la Guinée moins de la moitié de ce que les 20 millions de tonnes rapportaient. Le dernier rapport de l’Initiative de Transparence des Industries Extractives (ITIE) ainsi que le point de presse du Ministre des Mines en font foi.
Quant aux politiques publiques, elles sont exprimées, depuis le 1er janvier 2016, dans un document pompeusement appelé ‘’Plan National de Développement Economique et Social – PNDES’’. Censé donner les orientations économiques et sociales pour la période allant du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2020, ce document n’a été entériné par l’Assemblée Nationale qu’en juillet 2017 ; soit un an et demi de pilotage à vue. D’ailleurs, jusqu’au moment où vous lisez ces lignes, des démarches sont en cours, cette année 2019, pour la recherche du financement de la part de la Guinée Forestière dans le fameux PNDES.
De toute façon, le PNDES n’est qu’un ramassé des souhaits pieux, sans aucune explication sur les mécanismes de réalisation des fantasmes qui y sont exprimés.
Voilà la gouvernance que les longues années de combat politique du Président Alpha Condé, plus intéressé à conquérir et à préserver le pouvoir qu’à en faire quelque chose pour le bien-être des populations, ont accouchées. C’est à juste titre que suivant l’Indice de Développement Humain (IDH), la Guinée est classée 175è pays sur 188 évalués en 2018, ne dépassant que 13 pays – essentiellement en guerre ou se relevant d’un conflit. Ce n’est pas non plus étonnant si malgré un taux de croissance moyen d’environ 7% sur les trois dernières années, la pauvreté n’a pas reculé d’un iota. Cette croissance est essentiellement tirée par le secteur minier, peu pourvoyeur d’emploi en comparaison par exemple au secteur primaire – qui emploie plus de 70% de la main d’œuvre active en Guinée. En outre, les capitaux du secteur, particulièrement ceux des sociétés installées depuis 2010, sont détenus dans une majorité écrasante par les non guinéens. A titre d’exemple, alors que la part de l’Etat dans le capital de la CBG, installée depuis plus d’un demi-siècle, est d’environ 50%, sa part dans la Société Minière de Boké (SMB), installée en 2014, n’est que de 10%, selon le rapport de l’ITIE. Ce, en dépit du fait qu’au regard du nouveau code minier, cette part aurait pu être de 15%. N’est-il pas raisonnable de penser que les 5% restants sont réservés aux négociateurs de l’introduction de la SMB dans le secteur ? Allez poser cette question à Monsieur le Président.
Alors, quelle que croissance qu’enregistre l’économie, tant qu’elle restera adossée au corrompu secteur minier, les guinéens continueront, qu’ALLAH sauve le pays, à croupir sous le poids de la pauvreté. Aucun discours politique, aucune incantation dans les mosquées ou dans les églises, aucun verset coranique ou biblique ne peuvent changer ce cours logique des choses. Comme quoi « pour mieux posséder un peuple il faut l’appauvrir ». .
Je dis aussi pire opposition de ma vie d’adulte
Il était une fois, l’évocation des noms des opposants politiques guinéens inspirait à la fois crainte et excitation. Des grands noms comme les défunts Bâ Mamadou, Siradiou Diallo, Jean Marie Doré et, bien sûr, un certain Alpha Condé, symbolisaient l’espoir de toute une nation, en dépit de la coriacité de l’adversaire à l’époque – le feu Général Lansana Conté. Ces figures emblématiques de l’opposition guinéenne engendraient le sentiment d’une mission du peuple. Il y avait bien sûr entre eux, de temps en temps, le clash d’égo personnel. Normal. Ces bisbilles sont inhérentes au monde politique. Ces hommes avaient également la particularité de n’avoir jamais été associés à la gestion du pays dans le passé. Ils passaient ainsi pour sincères lorsqu’ils dénonçaient quelque chose ou lorsqu’ils s’attachaient à une cause donnée.
Contrastez cela avec les figures qui se sont illustrés, à un moment ou à un autre, dans l’opposition politique depuis 2010: Cellou Dalein, Sidya, Lansana Kouyate, Kassory Fofana, Faya Millimono. Dans une période relativement récente, Ousamane Kaba, Alhousseny Makanera, Aboubacar Sylla, Siaka barry, Kabèlè, etc.
A l’honorable exception de Faya Millimono, tous ces hommes n’ont de revendication à leur statut de proéminence que les positions qu’ils ont occupées dans l’administration publique guinéenne, soit comme Ministre ; soit comme Premier Ministre. Des positions qui, l’on serait légitimement en droit de conclure, leur ont assuré toute revendication de richesse matérielle qu’ils pourraient faire. Sachant que les administrations qu’ils ont servies ont toujours été invariablement décriées, aussi bien sur le plan d’éthique que sur celui de compétence, l’on peut se demander la leçon de moralité que ces gars là peuvent bien donner à leurs compatriotes. C’est justement à cet exercice qu’El hadj Cellou, l’incarnation actuelle de l’opposition guinéenne, s’est livré l’autre jour dans l’émission « les grandes gueules » sur Espace TV.
Ce jour-là, le PM Cellou a pontifié l’audience de l’émission sur le grand mal qui empoisonne la vie publique dans notre pays : la moralité ou, plus exactement, l’absence de celle-ci. Très correct ! Seulement, en prononçant le mot ‘’moralité’’, on pouvait sentir des grimaces dans son expression, avec des phrases circulaires et parfois des passages inaudibles. Ce qui était en parfaite harmonie avec des tumultes internes, perceptibles chez un orateur qui venait là de faire irruption dans une zone d’inconfort.
En réalité, Cellou est quelqu’un d’aimable en tant qu’être humain. Il est aussi manifestement populaire. Mais de là à avoir l’outrecuidance de donner des leçons de moralité aux guinéens, c’est aller trop loin. Il pense peut-être que les guinéens ne se souviennent plus des 11 ans qu’il a passés au sommet de l’Etat sous le Général Lansana, jusqu’à occuper la primature, dirigeant plusieurs ministères au passage et accompagnant assidument ce régime dans tous ses sales besognes : du pillage des ressources du pays à la modification de la constitution afin d’assurer une présidence à vie au Général.
Justement, sur la question de la modification (changement dans le contexte du jour) de la constitution, dont il se veut le plus grand pourfendeur aujourd’hui, il est clairement rattrapé par son passé. Chaque fois qu’on le confronte sur l’incohérence de sa part entre le soutien indéfectible hier à une présidence à vie et son opposition à une telle entreprise aujourd’hui il donne une nouvelle réponse. Au départ, il disait avoir regretté son soutien à une présidence à vie pour le Général. Une semaine plus tard, il déclare sur la même question que le Général méritait bien une telle faveur. Quelques jours après, toujours sur la même question, il déclare que c’était normal d’avoir un militaire au pouvoir à un moment où la Guinée faisait face à des menaces rebelles. Pourquoi ne se contente-t-il pas simplement de dire qu’il n’a pas de commentaire sur ce sujet – refuge idéal des politiciens, une fois pris la main dans le sac ?
Pas étonnant. Son désarroi est à la hauteur de la forfaiture commise. Ainsi, dans l’émission les grandes gueules, question :
- Regrettez-vous votre support à l’époque à la modification de la constitution pour maintenir à vie le Général au pouvoir ?
- Réponse de Cellou : je ne regrette pas (à basse vois).
- Question : vous ne regrettez pas ? (face à la réponse, le journaliste a délibérément appuyé sur le bouton d’exaspération pour mettre l’invité sous pression)
- Réponse de l’invité : de toute façon c’est du passé (quatrième réponse).
Hunn du passé ! Non El hadj, c’est encore frais dans nos vielles mémoires, comme si c’était hier.
Mon moment favori de l’émission était la séquence Photo, dans laquelle on demande l’opinion de l’invité sur des personnages publics. Inévitablement, El hadj a été invité – après ce cours magistral sur la moralité – à donner son opinion sur le PM Kassory. Ce promoteur farouche d’un ridicule changement constitutionnel qui divise le pays aujourd’hui. Cet homme qui présente aujourd’hui le Chef de l’Etat comme le messie ; alors qu’il y a quelques années, il proférait des injures – que vous m’excuserez de ne pas répéter verbatim ici – à l’encontre de tout ressortissant de la Basse Côte qui apporterait son soutien au Président Alpha.
Comme s’il pouvait y avoir des actes répréhensibles sans auteur condamnable, tout ce que Cellou avait à dire du PM était ‘c’était mon ami’. Comme si l’on devrait dissocier un mal de son auteur. Comme si son ‘c’était mon ami’ n’était pas condamnable dans le rôle central qu’il joue dans la propagande pour le changement constitutionnel.
Pour être juste, El Hadj Cellou n’est pas seul dans ce genre de déclaration défiant toute logique.
Quelques jours avant lui, le normalement vertueux Ministre Gassama, dans la même émission et concernant le même individu, avait abondé dans le même sens. Il s’était contenté de déclaré, à la question de savoir ce qu’il pensait de lui, que le PM était son frère. Quand les journalistes de l’émission l’ont pressé, il a déclaré qu’il ne fait pas de « commentaire personnel ». Commentaire personnel ? Désolé! Monsieur le Ministre. Ce n’est pas ce qu’on appelle commentaire personnel. Il s’agit, en l’occurrence, de l’opinion que vous avez du PM dans l’exercice d’une fonction publique. Avec l’éloquence qui caractérise Gassama, que j’admire personnellement, je suis convaincu que ce Monsieur connait bien la différence entre commentaire personnel et commentaire non personnel.
La moralisation de la vie publique passe à la fois par la réprobation des actes répréhensibles et la condamnation de leurs auteurs. Sinon, la démarche devient totalement contre-productive.
Chers compatriotes, notre pays est coincé dans une impasse politique, qui fait évidemment l’affaire des barons des deux camps – mouvance et opposition, au frais du citoyen ordinaire.
La question aujourd’hui n’est pas de savoir jusque quand durera l’impasse. Je peux vous assurer qu’à cette allure, bien sûr j’espère me tromper, on est loin du bout du tunnel. La question est de savoir jusqu’où nous sommes disposés à continuer à faire les frais.
Mamadi Sitan Keita
Consultant International
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