Toronto, le 13 Septembre 2016 –
Mesdames et Messieurs,
Distingués invités,
Je voudrais avant tout propos, au nom du Président de la République de Guinée, SE le Professeur Alpha CONDE et en mon nom propre, remercier les Autorités canadiennes et les organisateurs du Forum Economique International des Amériques, pour l’accueil chaleureux réservé à la délégation guinéenne et pour le privilège fait à mon pays, la Guinée, en l’invitant à cette 10ème édition du Toronto Global Forum consacrée au thème : « leadership en période d’incertitudes ».
En écoutant les interventions des éminentes personnalités qui se sont succédées depuis le début de ce Forum, j’ai retenu un certain nombre de constantes dans leurs préoccupations. En effet, en jetant un regard rétrospectif sur la dernière décennie il est difficile de passer à côté (i) des menaces auxquelles le système financier international a été confronté, (ii) de la multiplication des foyers de tension et de l’exacerbation des conflits subséquents avec pour corollaire immédiat des déplacements massifs de populations fuyant ces conflits, (iii) la menace terroriste qui est devenue globale avec des ramifications et des conséquences directes dans toutes les régions du monde, y compris l’Afrique où cette menace est désormais palpable et concrète, (iv) le ralentissement de la croissance mondiale, avec pour conséquence directe la chute drastique des cours des matières premières, et enfin(v) la mondialisation qui par de nombreux aspects a amplifié les crises évoquées plus haut.
Pour la plupart des responsables gouvernementaux et du secteur privé, la prise de décision est devenue un exercice extrêmement périlleux avec une majorité de paramètres qui ne peuvent plus être contrôlés au niveau d’un seul pays voire même aux niveaux sous-régional ou régional.
Mesdames et Messieurs,
Distingués invités,
La question que je me pose et que j’aimerais soumettre à l’appréciation de cette auguste audience est la suivante : avons-nous des certitudes sur les origines et causes des incertitudes qui assaillent l’humanité de nos jours, sommes-nous certains d’analyser avec rigueur, courage et sans complaisance les véritables raisons des incertitudes auxquelles notre monde est confronté ? Permettez-moi de dire quelques mots sur certains des défis évoqués ci-dessus.
La crise financière et la crise de la dette nous enseignent que la Communauté Internationale doit s’attaquer sérieusement à la problématique de l’affaiblissement des Etats sous-tendue par des politiques d’inspiration libérale. Pour les pays en développement en général et les pays africains en particulier, dont les économies sont très dépendantes des matières premières, ces problèmes se posent en termes (a) de baisse drastique des prix des matières premières, (b) de réduction de l’aide publique au développement, (c) de réduction des flux d’investissement direct étranger. En parlant de l’investissement, il est important pour les pays africains, tout comme pour la plupart des pays du monde, qu’un consensus soit trouvé pour veiller à ce que les sociétés multinationales payent des taxes en proportion avec la part de leurs activités menées dans les pays africains.
Une autre leçon que nous devons tirer des crises financière et de la dette, est que les banques, qui ont bénéficié des aides massives des Etats, n’ont finalement été que moyennement affectées par ces crises tandis que les classes moyennes, dans les pays développés notamment, ont payé un prix beaucoup plus élevé. Or les classes moyennes constituent la base sur laquelle repose aujourd’hui la capacité des Etats (à travers la fiscalité) à faire face aux défis actuels. Nous ne pouvons pas continuer durablement à laisser une part importante de l’activité économique des grandes entreprises échapper à la taxation et à mener des politiques qui affaiblissent les classes moyennes sur lesquelles reposent l’essentiel de la charge fiscale. Cela au moins est une certitude.
Hier quelqu’un disait que les problèmes actuels de notre monde sont dus à (et/ou aggravés en raison de) l’absence de vrais leaders. Je voudrais simplement rappeler aux leaders d’aujourd’hui, qu’au tout début du siècle dernier, au moment où la puissance de certains conglomérats aux Etats-Unis était sans commune mesure avec le poids des plus grandes multinationales actuelles, un homme politique tout seul a décidé de s’attaquer aux dysfonctionnements et aux menaces découlant des activités des grands conglomérats américains de l’époque en utilisant la loi, la raison et le courage politique.
Mesdames et Messieurs,
Distingués invités,
S’agissant de la menace terroriste, la problématique reste la même et je me pose la même question : avons-nous des certitudes sur les causes profondes de cette autre incertitude qui pèse sur les Etats et les citoyens de la planète ?
Il y a seulement quelques années, les populations vivant dans la plupart des régions de l’Afrique n’avaient aucune connaissance de la réalité du terrorisme international tel que nous le définissons aujourd’hui et n’étaient absolument pas confrontées aux conséquences de ce phénomène. Aujourd’hui, de très nombreuses régions de l’Afrique et une grande partie des populations vivant dans ces régions sont directement touchées par le terrorisme ou ses conséquences directes ou indirectes. Il y a donc lieu de se demander comment en est-on arrivé à cette situation en l’espace de quelques années.
Il est important que la Communauté Internationale se penche avec courage et détermination sur cette question en veillant à mettre de côté les considérations idéologiques, religieuses, ethniques voire même mercantiles pour se concentrer sur les souffrances des populations. Il n’est pas admissible qu’au XXIème siècle nous voyions encore des millions d’habitants de cette planète parmi les plus fragiles et les plus démunies exposées aux affres des conflits de toutes sortes et qui se retrouvent prises au piège ou jeter sur les routes de l’exode.
Je ne saurais clore ce chapitre sans rappeler que, au moment où les projecteurs de l’actualité internationale sont braqués sur les réfugiés au Moyen-Orient, il existe sur le continent Africain environ 17 millions de personnes déplacées (chiffres de 2014) en raison essentiellement de conflits.
Mesdames et Messieurs,
Distingués invités,
Face au défi auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés, le rôle des leaders s’apparente de plus en plus à naviguer par vents contraires ; cependant, en reprenant à mon compte le dicton disant que c’est dans la tempête que l’on reconnaît les grands capitaines, je voudrais encore une fois insister sur le rôle que doivent jouer les leaders politiques, les responsables gouvernementaux et les acteurs du secteur privé dans l’émergence d’un monde qui s’attèle de manière déterminée et responsable à réduire les inégalités, à instaurer une certaine équité vis-à-vis des questions fiscales, à apporter des réponses justes aux causes profondes des conflits et à promouvoir des solutions économiques et technologiques viables et durables.
Merci de votre attention.
Mamady Youla
Premier Ministre, Chef du Gouvernement
Transmis par la Cellule de Communication du Gouvernement