Ce 02 octobre 2022, la Guinée célèbre ses 64 ans d’indépendance. Une date inoubliable pour le peuple devenu souverain grâce au combat mené par ses pairs.
Cependant, cette victoire a eu pour corollaires de graves violations des droits humains, selon les spécialistes du domaine.
« Le bilan que nous pouvons dresser des 64 années d’indépendance de la Guinée, en matière des droits de l’homme, est totalement accablant pour les régimes qui se sont succédés à la tête du pays jusqu’à l’avènement du CNRD, le 05 septembre 2021. Il faut noter que le cnrd et le Président Mamadi Doumbouya sont les malheureux héritiers de ces préoccupants dossiers. Il faut rappeler des violations graves des droits humains se sont produites avant l’indépendance », a regretté d’entrée de jeu, le président de la Ligue pour les droits et la démocratie en Afrique.
Mamady Kaba souligne plus loin que le premier régime, incarné par le père de l’indépendance, feu Ahmed Sékou Touré, a été caractérisé par la répression sanglante des pro-démocratie et des anti système afin de promouvoir l’idéologie révolutionnaire destiné à favoriser la pensée unique et le pouvoir à vie du guide suprême de la révolution.
« Les discours de haine dont le plus tristement célèbre est celui sur la » situation particulière du Foutah « , ont favorisé une société guinéenne à double vitesse, le fameux » trois contre un ». Il faut aussi noter les activités hostiles de la France qui cherchait, à tort ou à raison, à faire tomber le régime du Président Sékou Touré au profit d’un régime plus démocratique et plus respectueux des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Des guinéens ont donc payé de leur vie, des accusations réelles ou supposées de tentative de renversement du pouvoir en place », poursuit-il.
Les douloureux évènements du 22 novembre 1970, au cours desquels plus de 300 guinéens ont perdu la vie suite à l’agression militaire perpétrée par le Portugal et ses soutiens guinéens, constituent un autre côté sombre de l’histoire de la Guinée, aux yeux de cet activiste.
« Des opposants guinéens avaient été reconnus coupables et condamnés à la peine de mort par contumace pendant que de hauts cadres se faisaient exécuter par pendaison dans toutes les régions du pays. En résumé, le sinistre camp Boiro, le parlement érigé en tribunal révolutionnaire d’exception pour juger des coupables condamnés avant leur procès, ainsi que les exécutions de brillants cadres pour leurs opinions politiques et leur attachement aux droits humains sont, entre autres, des faits illustratifs de ce régime de terreur hérité par la deuxième république incarnée par le Colonel Lansana Conté, qui a justifié son coup d’Etat par la nécessité impérieuse de promouvoir la démocratie et les droits fondamentaux ».
De l’avis de Mamady Kaba, le changement de régime n’a donc pas empêché l’accroissement des violations des droits humains en Guinée.
« Malheureusement, l’échec de la prétendue tentative de putsch attribuée à l’ancien premier ministre Diarra Traoré a changé le cours des évènements, occasionnant des exécutions extrajudiciaires et des répressions à caractère ethnique. A partir du 05 juillet 1985, plusieurs dizaines de cadres civils et militaires appartenant à la même ethnie ont été exterminés et un nettoyage ethnique s’est engagé dans l’administration et les forces armées sur la même base ethnique, les » déflatés » en sont une illustration. Apres l’avènement du multipartisme intégral dans les années 1990, une hostilité sans concession entre le pouvoir et l’opposition a ouvert la voie à des violations multiformes des droits de l’homme, parfois, sur fond d’ethnicisme. Des élections contestées de 1993, 1998, 2003, 2008, 2010, 2015 et 2020 en passant par les élections communales et communautaires de 2005 et 2018, ainsi que les législatives de 2018 ont toutes été contestées par tous les candidats et ont occasionné des violations graves des droits humains. Elles ont donné l’impression que les parties en compétition ont toutes usé de fraude et que le meilleur fraudeur a gagné », a-t-il déploré.
L’indépendance de la Guinée s’est aussi caractérisée par la gestion opaque des ressources du pays, ce, depuis la fin du premier régime.
« Les manifestations réprimées dans le sang en 1993, janvier- février 2007 et les fameux crimes du 28 septembre 2009, en passant par les différentes mutineries de 1996, 2008 et les coups d’Etat de 1984, 2008 et de septembre 2021 sont les conséquences dramatiques d’un déficit de démocratie et de respect des droits humains caractérisées par la mal gouvernance, les détournements de deniers publics, la corruption endémique, la politisation à outrance de l’administration publique et le recours au repli identitaire comme moyen d’accession ou de conservation du pouvoir d’Etat. Le Président Alpha Condé a hérité, en 2010, d’un héritage plus lourd en matière de droits humains et a permis de découvrir la profondeur du mal guinéen et les limites du pouvoir civil. Les guinéens ont fini par se convaincre de la nécessité absolue d’une transition militaire capable d’une refondation de l’Etat afin de permettre à un pouvoir civil d’être élu sur des objectifs, sans obstacles fondés sur l’origine ethnique, et de pouvoir gouverner en s’appuyant sur les lois et les institutions de la République, et non sur son ethnie d’origine », a-t-il fait remarquer.
« Il faut enfin se souvenir de trois faits extrêmement importants de notre jeune histoire, afin d’assurer un meilleur avenir à la démocratie et aux droits de l’homme en Guinée :
1- La Guinée a été fortement installée dans un cercle vicieux caractérisé par la manipulation du facteur ethnique par les leaders politiques pour se maintenir ad vitam æternam à la tête des partis en se dédouanant des obligations démocratiques et en devenant des inamovibles par le biais du culte de la personnalité. L’impossibilité pour les jeunes talentueux d’émerger favorise la fuite des cerveaux et la migration irrégulière. Les questions existentielles qui découlent de cette situation sont les suivantes :
a) comment un Dieu à la tête d’une formation politique deviendra-t-il un humain à la tête d’un pays ?
b) La culture de l’alternance et la notion de fair-play ne devraient-elles pas s’enseigner au niveau des formations politiques afin de garantir leur encrage au sommet de l’Etat ?
2- Depuis la transition de 2010, aucun engagement n’a été réalisé par le gouvernement élu. Les recommandations issues des différents Examens Périodiques Universels se sont accumulés sans aucune mise en œuvre, aucune institution n’a été correctement mise en place et pis, la haute cour de justice n’a jamais vu le jour, malgré de pertinentes dispositions de la constitution ; l’institution nationale indépendante des droits humains a été vidée de toutes substances et caporalisée;
3- Une analyse approfondie de la structure des manifestations réprimées dans le sang se sont certes déroulées à des époques différentes, avec des acteurs différents, mais certainement avec des revendications similaires formulées différemment. Les bourreaux d’une évoque devenus victimes d’une autre », a-t-il énuméré.
L’ouverture du procès du massacre du septembre 2009 s’annonce tout de même, comme un précédent heureux pour la lutte contre l’impunité érigée en système de gouvernement, selon Mamady Kaba.
Il estime également que la constitution d’un fichier électoral fiable et consensuel avec l’accompagnement structuré d’institutions fortes sera d’une utilité capitale pour la crédibilité des élections en Guinée, devant favoriser le retour à l’ordre constitutionnel.
Hadja Kadé Barry