Le président de l’institution nationale indépendante des droits de l’homme (INIDH) a, dans un entretien accordé à nos confrères de la radio City fm, dénoncé l’enlisement de la situation concernant la grève du SLECG. Le Dr Mamady Kaba a ensuite mis en garde le gouvernement sur une éventuelle année blanche. Il a aussi parlé de la crise post-électorale et de l’ambiguïté du nouveau code électoral.
De l’opiniâtreté du slecg
Quand le SLECG a donné sa confiance à une nouvelle équipe, c’était un désaveu de l’ancienne équipe. C’est à dire les méthodes de l’ancienne équipe venaient d’être rejetées par la base. Et M. Soumah et son équipe qui venaient de bénéficier de la nouvelle confiance de la base devaient travailler totalement de manière différente, pour mériter la confiance qui est placée en eux.
À partir de ce moment-là, nous avons appelé le président de la République à négocier avec cette équipe avant qu’il ne soit trop tard. Parce qu’il était évident à cette époque, M. Soumah n’avait pas une idée très claire de sa propre popularité. Donc en ce moment-là, c’était plus facile pour lui de faire des concessions sur certains points. Il pouvait faire des concessions sur certains points et la négociation serait plus aisée avec le gouvernement en ce moment-là. Le gouvernement devait s’en apercevoir. Mais le président est resté accroché aux dires des stratèges qui, en réalité, utilisent le pouvoir pour leurs propres intérêts en substituant leurs intérêts à ceux du peuple. Et donc la négociation n’a pas eu lieu. On a commencé à diaboliser l’équipe de M. Soumah, la traitant de tous les mots. Maintenant notre inquiétude, c’était que notre président soit obligé de négocier avec lui pendant qu’il est un peu tard. Il est pratiquement impossible pour M. Soumah et son équipe d’accepter que la grève soit levée sans obtenir gain de cause.
Il est important que le gouvernement comprenne que c’est à lui de faire d’abord un pas très important pouvant conforter l’équipe dans sa légitimité. Et ensuite, seulement après avoir obtenu quelque chose à présenter aux enseignants, ils pourraient éventuellement faire des concessions pour permettre que les bouts soient joints. Mais il est impossible que le secrétaire général, M. Soumah et son équipe puissent faire les concessions qu’attendent les négociateurs du gouvernement. Et il y a autre chose qu’il faut ajouter, c’est aussi la confiance que cette équipe doit mériter.
L’équipe a peur de tomber dans un piège, parce que dans le passé, il y a eu des accords qui n’ont pas été suivis de faits. Et l’équipe craint qu’il y ait aussi des accords qui constitueraient un piège pour eux. Parce que s’il y a des accords qu’eux, ils lèvent la grève. Si, si ensuite, il s’avère que c’était un piège, demain leur légitimité sera remise en cause. Ils ne sont pas sûrs de pouvoir mobiliser les enseignants comme ils ont pu le faire cette fois ci. Parce qu’il est évident que le pouvoir aura encore un peu plus de temps pour les empêcher de réussir une autre grève comme c’est le cas actuellement.
L’enseignement en Guinée est totalement banalisé…
Moi, je ne comprends pas grand-chose dans cette volonté du gouvernement de se montrer esclave des institutions de Breton Wood. J’ai beaucoup d’admiration par exemple pour l’Afrique du Sud qui n’a aucun programme avec les institutions de Breton Wood et qu’ils s’en sortent bien. Je pense que les accords avec les institutions de Breton Wood ne doivent pas empêcher l’État de fonctionner normalement.
Voyez un peu la situation des enseignants guinéens. Quand vous demandez à quelqu’un, Monsieur que faites-vous depuis ce temps je ne vous vois plus, il répond non non j’ai pas eu d’emploi j’enseigne en attendant. Donc l’enseignement est un passage obligé pour ceux qui n’ont pas encore d’emploi. Ce n’est pas considéré comme un travail. Ce n’est pas considéré comme quelque part où on peut faire une carrière. C’est une profession avilissante, et parce que les gens l’utilisent pour atteindre leurs objectifs, l’enseignement en tant que tel n’est pas un objectif pour les cadres guinéens mais c’est un moyen, un passage pour atteindre un autre objectif. Mais les gens n’en font pas un travail dans lequel on peut bâtir une carrière etc…
C’est ça qui doit changer. Parce que tant que cela se poursuit, vous n’aurez pas la crème de la société dans l’enseignement. Parce que quand les meilleurs se font embaucher par les sociétés, ceux qui ne sont pas quand même les meilleurs, vont utiliser l’enseignement en attendant d’avoir mieux.
Tout près ici en Côte d’ivoire et au Sénégal, n’importe qui ne peut aller dans l’enseignement. Ce n’est pas un passage pour atteindre les objectifs. C’est d’autres structures que vous utilisez pour avoir les aptitudes nécessaires pour être enseignant dans ces pays-là. Vous avez une carrière professionnelle bien élaborée au sein de l’enseignement. Donc, vous enseignez, vous gagnez votre vie. Vous avez le respect de la société, vous avez la considération de tout le monde. Parce que c’est l’enseignant qui forme, qui forge l’intellectuel. Donc celui qui forge l’intellectuel est beaucoup même plus qu’un intellectuel. Dans la société, il doit avoir une place privilégiée parce que c’est lui qui forme les ministres, c’est lui qui enseigne le président de la République. Le président a un professeur, les ministres ont des professeurs. Toute la crème de la société a un professeur. Donc ces professeurs-là sont ceux-là qui doivent avoir des plus hauts rangs sociaux, le plus grand respect de la société.
Mais dans notre Guinée, les enseignants sont perçus comme des moins que rien. Quand vous êtes un enseignant, que même vous voulez la fille de quelqu’un, dès que vous le dites que vous êtes enseignant, il n’a vraiment pas d’espoir pour sa fille. Donc c’est à contrecœur que vous aurez sa fille, sur insistance de sa fille. Sinon vous ne l’aurez pas si ça ne dépendait que de la volonté de la famille. Parce qu’ils ne sont pas sûrs que tu pourras prendre soins de leur fille. C’est vraiment aujourd’hui un métier humiliant, un métier qui rabaisse. Et ça doit changer parce que c’est les meilleurs de la République. C’est eux qui font grand sacrifice.
Maintenant vous voyez les enseignants en situation de classe, sincèrement si vous avez un cœur, vous avez les yeux remplis de larmes. Parce qu’ils font plus de sacrifices, plus d’efforts mais leur traitement ne les permet pas de vivre et de faire vivre leurs familles.
Alors si ces enseignants veulent sortir de cette situation, je ne pense pas ce serait trop faire, quel que soit l’effort que l’État va consacrer à la situation des enseignants. Je ne pense pas que ce sera exagéré. Les enseignants méritent beaucoup plus que ce qu’ils demandent. C’est parce que l’État n’a pas assez de moyens qu’on continue de tâtonner pour voir qu’est-ce qu’il faut faire et qu’est-ce qu’il ne faut pas faire.
Ce qui fait ça aussi, il n’y a pas une bonne redistribution des richesses nationales. Ceux qui travaillent beaucoup en Guinée gagnent moins et ceux qui ne travaillent pas beaucoup gagnent moins. L’État, ceux qui sont à un certain niveau même s’ils ne travaillent pas ont la capacité d’utiliser l’État à leur service. Et d’autres qui travaillent beaucoup plus, sont au service de l’État et n’arrivent pas à se nourrir et à nourrir leurs familles.
L’enlisement de la grève du SLECG….
Cet enlisement est préjudiciable à la société guinéenne tout entière. Parce que d’abord le système éducatif traverse beaucoup de difficultés. La grève va en rajouter et je ne pense pas qu’on va s’en sortir parce qu’on est en train de s’embourber. Et on est dans un cercle vicieux. Je ne pense pas qu’on va s’en sortir sans effort. Et le plus gros de l’effort doit provenir de l’État. Moi, je pense que les techniques de négociation nous enseignent que chaque partie doit mettre la barre très haut pour avoir ce qu’elle veut. Donc le SLECG en mettant la barre à ce niveau-là, tous ceux qui savent comment les négociations se passent, savent que ce n’est pas mordicus ce qui est recherché, mais c’est autour de cela. Donc le gouvernement doit proposer, si quelqu’un vous dit j’ai soif, j’ai besoin d’un Coca-Cola pour me rafraîchir la gorge, si vous n’avez pas du Coca-Cola, si vous lui dites j’ai un gros bidon d’eau, je vais vous donner une bouteille d’eau pour vous rafraîchir la gorge, s’il a vraiment envie de se rafraîchir la gorge, il peut vous prendre votre bouteille d’eau.
Alors si le SLECG, avec le secrétaire général Soumah ont posé certaines conditions sur lesquelles il est impossible pour eux de fléchir. l’objectif du gouvernement ne sera pas de les amener à fléchir mais à faire des contre-propositions. Par exemple si nous disons qu’il nous faut un salaire de 100.000.000 par mois, maintenant vous pouvez me dire d’accord, moi je n’ai pas cent millions à vous donner chaque mois mais d’abord je vais construire une cité et tous les enseignants auront droit à des loyers et nous ferons en sorte à ce que tous les enseignants aient des appartements et que ça soit payé à loyers modérés.
Quand ils demandent un salaire élevé, vous prenez les composantes du salaire. Le salaire, c’est pour faire vivre l’individu et sa famille. Alors quand ils demandent un salaire élevé, les 90% ou peut-être plus sont en location. Donc ils payent chers les loyers. Ils payent les transports publics qui sont très chers pour eux, ils payent la nourriture, ils payent la scolarité de leurs enfants et ils payent beaucoup d’autres choses. Ceux qui veulent faire des recherches, ils doivent acheter eux-mêmes les documents pour les recherches etc.
Des manipulateurs à l’ombre pour radicaliser les syndicalistes ?
Il faut raisonner à la manière d’obtenir des solutions de sortie de crise. Comment aider le président et son gouvernement à avoir des solutions pour sortir de la crise. La situation actuelle, ce sont les enfants qui partent à l’école et qui ne trouvent pas d’enseignants, reviennent à la maison. On n’a pas besoin de réfléchir très loin à un complot. La situation est très simple. Puisque les enfants ne trouvent pas d’enseignants et reviennent à la maison, c’est ça la crise. C’est un syndicat qui a appelé à une grève et que les enseignants ont suivi la grève et que les enfants vont à l’école sans trouver d’enseignants là-bas et vont à la maison. Parce que cette situation, moi je l’avais dit, il y a plusieurs semaines, j’avais dit que cette situation réservait des surprises. La situation que le SLECG cherche à régler, tous les enseignants de Guinée se retrouvent dans cette situation là et souscrivent à la grève. C’est ce qui fait qu’on est dans cette situation.
La crise que nous vivons n’a pas été créée par des manipulateurs. C’est un syndicat qui a appelé à la grève et les enseignants ont suivi la grève, et c’est cette grève-là qui plonge le pays dans cette crise. Je pense que c’est important de limiter les réflexions à ce niveau-là et de trouver la solution qui s’impose. Mais vouloir regarder au-delà de ça et faire ressortir de grande philosophie, ça ne va pas permettre de trouver des solutions. Et je ne vois pas en quoi est-ce que si des gens ont encouragé la grève, si des gens ont financé la grève. En quoi est-ce que cela aurait permis à tous enseignants de suivre la grève. Parmi les enseignants, une très bonne partie soutient le président. Ce sont des militants du président de la république. Parce que si tous les militants du président de la République avaient refusé de suivre la grève, la grève ne réussirait pas comme elle l’est aujourd’hui. Il ne faut pas la politiser, il ne faut pas chercher la bête noire ailleurs. La crise, c’est une crise de l’éducation. Ce sont les enseignants qui sont en grève. Donc il faut réfléchir à des solutions qui peuvent permettre au pays de sortir de la crise. Mais il ne faut pas fatiguer les méninges à réfléchir à des complots.
L’inquiétude du président de la république…
Je pense plutôt que le président a peur de la suite. En adhérant tout de suite aux exigences des enseignants, d’autres corps vont se soulever après pour exiger la même chose ou peut-être plus.
Dans ce cas, il y a tous les travailleurs qui peuvent attendre. Il faut commencer quelque part. Pour qu’un pays soit émergent, il faut la qualité des hommes qui doivent soutenir le changement. Donc l’État doit miser d’abord sur l’éducation. Moi, je pense que la trêve par exemple que le président demande est très utile si jamais l’État mettait tous les efforts pour changer qualitativement le système éducatif. Que les enseignants aient le meilleur traitement possible, les meilleurs moyens de travail et les meilleures conditions de vie. Et que cette année soit consacrée aux enseignants et qu’on demande aux autres d’attendre que l’État se batte un peu pour trouver d’autres moyens. Et on dit si on a cette année réglée la situation des enseignants, que nous avons pu rehausser le niveau de vie et de travail de l’enseignant, alors dans deux ans nous passerons aux médecins, ça c’est un accord. Nous allons travailler à réunir d’autres moyens et en fonction des moyens que nous aurons, nous ouvrirons les négociations avec les médecins et ensuite ce sera au cas de tel, ensuite ce sera au cas de tel. Dans cet échelonnement là, chacun verra du gouvernement la volonté d’améliorer les conditions de vie et de travail de tous les enseignants et de tous les travailleurs, de toutes les couches sociales.
Des rumeurs sur une éventuelle année blanche…
C’est la pire décision que l’État guinéen peut prendre. Vous vous souvenez le Sénégal a expérimenté ceci. Et quand vous savez que dans la sous-région, c’est le seul pays qui accorde une frange très importante de son budget à l’éducation. 40% du budget sénégalais est accordé à l’éducation. Et on sait que le système sénégalais de l’éducation est performant depuis plusieurs décennies, depuis l’indépendance. Mais le Sénégal ayant expérimenté l’année blanche, ça leur a coûté très cher. Le Sénégal ne conseillera à aucun pays du monde de refaire la même chose. Moi je ne sais pas, nous en Guinée, nous avons un système très fragile, nous allons expérimenter une année blanche.
On va créer des problèmes que la Guinée ne pourra jamais résoudre. Parce que ça va faire chuter le niveau de l’enseignement, ça va créer un désordre dans le système de l’enseignement et ça va radicaliser les enseignants. Ça va aussi retourner les parents d’élèves contre le gouvernement, et ça c’est très dangereux. Je ne conseillerais jamais au gouvernement de scruter cette piste-là. Il faut fermer toutes les voies menant à cette piste. Ce n’est pas une option, il faut regarder du côté où toutes les solutions existent sauf l’année blanche. L’année blanche serait très imprudente et je ne suis pas sûr que la Guinée va réussir à mobiliser les ressources pour boucher le trou que cela va laisser.
L’opposition en rajoute son grain dans la situation…
C’est encore la peur qui va s’installer parce que beaucoup de dérives et de souffrances peuvent encore arriver (…) qu’elles soient de l’opposition ou pas. Moi je pense qu’on peut faire l’économie de ces souffrances. Mais, il est très difficile de demander à l’opposition de renoncer à ses droits. Ce n’est pas logique et chacun doit se battre pour obtenir des droits. Les droits, ça s’arrache, ça ne se donne pas. Et quand on est allé aux élections, l’opposition réunit des preuves pour dire certains suffrages m’ont été dérobés, j’ai perdu injustement des circonscriptions dans lesquelles les populations ont souhaité que ce soit moi le gagnant. Les populations se sont exprimées en ma faveur, on a changé les résultats. Si l’opposition a les preuves de cette nature dans les bras, il faut qu’il y ait au sein de l’État, des structures, des institutions pour les recevoir, les écouter, les examiner les preuves qu’ils ont. Et si, c’est vraiment des preuves solides qu’ils ont, travailler à les rétablir dans leur droit parce que c’est vraiment leur droit si les preuves sont convaincantes. Maintenant, si les preuves sont insuffisantes, il faut les convaincre que les preuves sont insuffisantes et leur expliquer pourquoi ils ne peuvent pas être rétablis dans leurs droits. Cela a un double résultat. Ça permet à l’opposition de trouver au sein de l’appareil d’État des répondants, des voies de recours pour discuter des arguments que l’opposition a. Le deuxième avantage, ça va être que l’opposition sera renforcée aux yeux de ses militants. Les militants qui disent à leurs leaders, nous avons voté pour vous, on vole nos voix et vous ne faites rien. Et chaque fois c’est la même chose, nous allons vous quitter. Donc l’opposition ne peut pas accepter de perdre ses militants en ayant aucune solution sous la main. C’est l’État qui doit offrir à l’opposition des moyens de convaincre ses militants.
L’ambiguïté du nouveau code électoral…
C’est un grand vide qui vient d’être découvert dans les dispositifs institutionnels de notre pays. Vous, vous souvenez, parce que nous nous sommes opposés à ce code parce qu’il y a beaucoup de flous dedans et ce n’était pas possible d’avoir les garanties de recours, et d’avoir toutes les garanties d’élections sans violences post-électorales. C’est pourquoi, nous sommes opposés. Mais, nous avons compris la position de l’opposition qui craignait de prolonger sans fin la tenue des élections parce que le temps était très limité. En définitive, oui n’accusons pas quelqu’un d’être à l’origine de cette situation. Mais, cette situation révèle un vide qui existe dans notre dispositif institutionnel et ça prouve que la Guinée a besoin de se réformer son dispositif institutionnel pour empêcher une telle situation arrive à l’avenir. C’est bien que ce sont les élections locales qui révèlent ces imperfections. Alors, il faut réformer la commission électorale pour la rendre plus performante, il faut réformer la cour constitutionnelle pour la rendre plus efficace, il faut réformer l’institution nationale des droits de l’homme pour la rendre plus indépendante, plus efficace et l’amener à jouer un rôle au côté de la CENI pour que les partis en compétition aient plusieurs voies de recours.
Une synthèse de Mamadou Alpha Baldé in Le Démocrate