(Tribune) C’est dans la continuité de son retour au sein de l’organisation continentale (UA), acceptée par la conférence des Etats membres et ce, 33 ans après l’avoir quittée, que le Maroc a jugé opportun de faire sa demande d’adhésion à la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEO) le 24 février 2017.
Cette demande d’adhésion ne fait pas l’unanimité parmi les observateurs et spécialistes des questions africaines. Mais, pour bien cerner la question, il convient de s’interroger sur le bienfondé de cette démarche sur les aspects juridique et économique.
Déjà, ayant acquis le statut d’observateur depuis la création de la CEDEAO en 1975, le royaume chérifien est passé à la vitesse supérieure en adressant sa demande d’adhésion à la présidente de l’organisation ouest-africaine d’alors : Hélène Johnson SIRLEAF.
Sur le plan juridique par contre, on est en mesure de dire que les Chefs d’Etat de la CEDEAO se sont laissé entrainer dans un imbroglio juridique qui ne dit pas son nom.
On parle ici avant tout de l’appartenance à la région ouest-africaine. Par « Région », il convient de comprendre la « zone géographique correspondant à l’Afrique de l’Ouest suivant la définition de la Résolution CM/RES.464 (XXVI) du Conseil des Ministres de l’OUA ». Cette Résolution, sur laquelle s’appuie le Traité d’Abuja, divise l’Afrique en cinq Communautés Economiques Régionales (CER): l’Afrique de l’Ouest (seize États membres), l’Afrique de l’Est (treize États membres) et l’Afrique Australe (dix États membres) l’Afrique Centrale (neuf États membres), l’Afrique du Nord (cinq États membres). Les CER qui couvrent ces régions ont signé le Protocole de relations entre la Communauté Economique Africaine (CEA) et les CER le 25 février 1998.
« Ce Protocole, entré en vigueur en juin 1997, constitue un cadre de gestion aux fins de coopération et de coordination des activités qui confirme le rôle dirigeant de la Communauté Economique Africaine et de l’Organisation de l’unité africaine devenue l’Union africaine ainsi que la fonction indispensable des Communautés Economiques Régionales en tant qu’organes techniques dans la réalisation des objectifs du Traité d’Abuja ».
Plus tard en septembre 2006, à partir du sommet de Banjul (Gambie), l’Union Africaine a procédé à une première rationalisation des initiatives d’intégration régionale en désignant la CEDEAO comme le seul cadre stratégique de la régionalisation en Afrique de l’Ouest. Cette rationalisation permettait de maintenir une certaine cohérence avec la Résolution CM/RES.464 (XXVI) et le Traité d’Abuja face la multiplication de groupements au sein des CER existantes ou entre deux ou plusieurs CER.
Le Traité de la CEDEAO révisé en 1993 respecte cette délimitation régionale. Selon son article 2.2 « les membres de la Communauté, ci-après dénommés les « États Membres », sont les États qui ratifient le présent Traité ». Pour connaître les États qui ont ratifié le Traité, il faut se référer au Préambule. Les États francophones sont les plus nombreux, soit huit au total à savoir le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo suivis de cinq États anglophones la Gambie, le Ghana, le Liberia, le Nigeria, la Sierra Leone et de deux États lusophones le Cap-Vert, la Guinée Bissau.
Exige que le demandeur ait bien la qualité d’État et qu’il soit ouest-africain. Son territoire doit se trouver au moins en partie sur l’espace géographique de l’Afrique de l’Ouest. Cette exigence peut se déduire du Traité de 1975 aux termes duquel «sont membres de la Communauté et dénommés ci-après «États Membres» les États qui ratifient ce Traité et tout autre État de l’Afrique de l’Ouest qui y adhère». Cette formulation trouvait tout son sens en 1975 où le défi à relever était d’élargir l’Organisation aux États qui occupent l’espace géographique ouest-africain. Sur cette base, ces États ont adhéré à la CEDEAO à la date de sa création en 1975. L’élargissement n’a concerné que le Cap Vert en 1976. La CEDEAO épuisait donc les contours géographiques régionaux, si bien que tous les États de l’Afrique de l’Ouest y ont adhéré au moment de la conclusion du Traité révisé de 1993. C’est le retrait de la Mauritanie en 2000 qui a relancé la question de l’élargissement de la CEDEAO à un État ouest-africain.
Quoi qu’il en soit, on constate que la procédure est déjà à un stade très avancé, en témoigne l’accord de principe signé entre les deux parties. L’accord de principe signifie la fin de l’étape politique de l’adhésion du Maroc à la CEDEAO. La seconde étape sera juridique et ne devrait pas être très longue: ce sont les instruments de ratification et l’adaptation du traité fondateur de la CEDEAO. La dernière étape sera technique: il y aura des négociations d’adaptation, notamment sectorielle.
Mais il convient de souligner que la meilleure option serait la conclusion d’un accord de coopération
Il s’agit d’une option disponible pour les Chefs d’État et de Gouvernement consistant à proposer au Maroc la conclusion d’un accord de coopération en lieu et place d’une adhésion à part entière à la CEDEAO. Conformément à l’article 83 du Traité révisé précisé par le Protocole Additionnel A/SP.1/06/06 du 14 juin 2006, le Président de la Commission peut conclure des accords de coopération avec des pays tiers. Le pays tiers est « tout État autre qu’un État membre ». Ces accords sont immédiatement portés à l’attention du Conseil des Ministres par l’intermédiaire de son Président.
Sur le plan économique, la CEDEAO est la meilleure opportunité sous régionale du Royaume, elle dispose d’un processus d’intégration des plus ambitieux et plus avancés à l’échelle du continent africain. Elle offre au Maroc un marché de 320 millions de consommateurs pour un produit intérieur brut de 700 milliards de dollars. Les principales ressources naturelles sont le pétrole, l’or, le cacao, la bauxite, le coton, le café et le caoutchouc. L’intégration économique des pays de la CEDEAO atteint 10% pour le commerce interrégional, avec la libre circulation des personnes, des marchandises et des capitaux. En 2015 a été instauré un tarif extérieur commun par 9 pays de la CEDEAO, tandis que de gros efforts ont été faits pour l’harmonisation des lois et règlements régissant l’économie.
À l’issue de 23 visites dans 11 pays de la région par le Roi, le Maroc est en train de concrétiser sa volonté de créer un pôle nord-ouest africain avec la signature de plusieurs centaines d’accords et la conclusion, en décembre 2016, de l’accord d’extension du gazoduc Maroc-Nigeria à travers les pays de la région. Deuxième investisseur en Afrique après l’Afrique du Sud, il est le premier investisseur en zone CEDEAO. Les Marocains organisent ou participent souvent à des foires dans les pays de la région, ainsi que des missions B to B avec les hommes d’affaires locaux. Les investissements marocains sont assez diversifiés. Maroc Telecom possède plusieurs filiales africaines dont Moritel (Mauritanie), Onatel (Burkina Faso), Sotelma (Mali), Gabon télécom. Les principales banques marocaines, Attijariwafa Bank et la BMCE (à travers l’acquisition en 2009 de Bank of Africa) sont aujourd’hui présentes dans 19 pays africains. D’autres grandes entreprises nationales, comme le Groupe Addoha, la holding Sanad, Management et l’Office National de l’Eau et de l’Electricité (ONEE), les entreprises de constructions de logements sociaux sont également présentes dans de nombreux pays de l’Afrique de l’Ouest et d’Afrique Centrale. D’autres sont présentes dans les mines, la construction, la gestion des ports, le transport aérien (Royal Air Maroc), etc. dans plus d’une vingtaine de pays subsahariens. Pour ne citer que ceux-ci.
La conclusion de tels accords reposera sur plusieurs aspects de la coopération et sera favorisée par l’existence de liens forts aux niveaux politique, humain, historique, religieux et économique avec les pays membres de la CEDEAO. Sur le plan historique, éducatif et culturel, le Maroc partage avec les États Membres de la CEDEAO un héritage civilisationnel grâce à l’Islam qui compte 190 millions d’adeptes. Les premiers contacts entre le monde musulman et l’Afrique remontent au VIIIe siècle grâce au commerce transsaharien et à la quête du savoir dispensé dans les célèbres villes de Tombouctou et Djenné. Aujourd’hui, des centaines d’imams ouest-africains suivent des formations au Maroc en vue de la diffusion d’un Islam modéré. À cela s’ajoutent les milliers d’étudiants, boursiers de l’État marocain, qui poursuivent leurs cursus académiques dans les Universités et Grandes Écoles marocaines. Les plus sceptiques diront que ces bourses sont un gage de soutien au Maroc sur la question du Sahara Occidental. Mais peu importe, car force est de constater
Sur le plan géopolitique, la CEDEAO est considérée comme l’environnement géopolitique naturel du Maroc, ce qui va renforcer sa position quant à la question du Sahara Occidental. Seuls deux pays de la région reconnaissent la République Arabe Sahraouie Démocratique, tandis que tous les autres sont des soutiens clairs au Royaume. Le Maroc affirmera son leadership comblant ainsi le vide laissé par le guide libyen Kadhafi. Ceci ne signifie pas que le Maroc renoncera à son appartenance à la Ligue Arabe et à l’Union du Maghreb Arabe même si lors du discours prononcé à Addis-Abeba le 30 janvier 2017, le Roi Mohammed VI a estimé que sa flamme pour un Maghreb Arabe s’est éteinte parce que la foi dans un intérêt commun a disparu. Désormais, le Maroc considère que la famille africaine est sa famille de référence.
Fort de son statut d’Observateur à la CEDEAO, de Membre non permanent au Conseil de Sécurité de l’ONU, de son appartenance au Maghreb et à la région sahélo-saharienne, le Royaume est devenu un acteur clé dans la stabilité, la paix et le développement dans la région. Il a été impliqué fortement dans des opérations dans la région notamment en Côte d’Ivoire (ONUCI) et aux efforts de médiation pour la résolution des conflits (médiation dans la crise des pays du Fleuve Mano, contribution à la résolution de la crise institutionnelle grave en Guinée en 2009-2010 et la stabilisation de la Guinée Bissau…). Le Maroc a, de même, entrepris des actions de solidarité avec les pays de la région, notamment durant la période de la pandémie d’Ebola, et face aux catastrophes naturelles que certains pays ont connues
CE QUE JE PENSE
A la lumière de ce qui vient d’être exposé ci haut, on peut affirmer sans risque de se tromper que les autorités marocaines, ont bien évaluées les contours économiques et géopolitique de la situation ouest-africaine avant de faire cette demande d’adhésion historique. A l’heure où les autres pays du Maghreb se tournent davantage vers l’Europe et ne se considèrent africain juste par rapport à la Confédération Africaine de Football (CAF) et aux instances dirigeantes de l’Union Africaine, le Maroc lui se tourne vers l’Afrique subsaharienne et plus particulièrement la C.E.D.E.A.O. Cette dernière constitue en effet, un soutien de poids dans la gestion du conflit qui l’oppose à la République Arabe Sahraouie Démocratique (R.A.S.D.) parrainée par l’Algérie. Il est loisible de rappeler ici qu’à ce jour, seuls deux pays membres de la CEDEAO reconnaissent encore le Sahara Occidental.
Intégrer la CEDEAO, constituerai donc une aubaine pour les deux parties. L’un veut investir afin de diversifier son économie et consolider son émergence, et les autres veulent des partenaires comme le Maroc (coopération sud-sud) qui ont les capacités à développer beaucoup de secteurs encore marginaux dans les pays ouest-africains.
En ce qui concerne la partie juridique et géographique d’autres spécialistes du droit international public comme Mme Sakoba CONDE pensent qu’une résolution adoptée par les Etats membres, allant en faveur de l’adhésion du Maroc à la CEDAO pourrait être faite et donc modifier le traité établissant la C.E.D.A.O. et intégrer un pays qui n’est pas un pays de l’Afrique de l’ouest et de facto, clore le débat sur la légalité ou la légitimité de cette adhésion.
Mais de nombreuses questions se posent sur cette proposition : Modifier le traité pour y inclure uniquement le Maroc ou bien pour laisser libre court à tout Etat ayant la volonté d’adhérer à l’organisation ? (Rappelons d’ailleurs que la Tunisie aussi pense sérieusement à poser sa candidature pour une éventuelle adhésion à l’organisation). Faut-il privilégier l’aspect économique sur celui géographique ? qu’en dira l’Union Africaine en cas d’adhésion du Maroc à la C.E.D.E.A.O.? …
Des questions qui au fil du temps auront certes des réponses mais probablement pas comme on l’imagine d’autant plus qu’aux dernières nouvelles, la demande d’adhésion du Maroc a été mise en « veille » du fait de l’opposition de certains poids lourds de l’organisation.
Pour plus de détails sur l’appartenance et l’admission de membres à la CEDEAO au début de sa création, voir Jean-Claude Gautron, « La Communauté économique de l’Afrique de l’Ouest, antécédents et perspectives », Annuaire français de droit international, volume 21, 1975. pp. 197-215, pp.202-203.
Par Hamidou BAH,
Chargé de la Commande Publique
Consultant international, spécialiste en géopolitique