Depuis maintenant une semaine, l’actualité guinéenne reste marquée par les déguerpissements du centre directionnel de koloma, communément appelé Kaporo rails. Cet endroit considéré comme une réserve foncière de l’État depuis la fin des années 80, a été témoin d’évènements très douloureux dans l’histoire moderne de notre pays, et dont les séquelles restent encore vives.
La conduite des déguerpissements est une pratique diffuse dans le temps et dans l’espace des grandes métropoles africaines au point que l’on peut se demander si l’on n’assiste pas, aujourd’hui, au renouvèlement d’un ancien mode de peuplement des villes, à savoir un exode massif des campagnes vers les villes.
Ces déguerpissements réactivent les premières opérations menées par le régime du Général Président Lansana Conté à la fin de 1998 caractérisées par la technique de l’ « urbanisme du bulldozer » pour assainir le tissu urbain. Autremendit, une intervention brutale pour récupérer les domaines jugés comme appartenant à l’État.
Ces opérations ont conduit à un rapport de force entre l’État ‘’déguerpisseur’’ et les habitants ‘’déguerpis’’. Cela à amener une méfiance grandissante entre citoyens de cette localité et l’État qui, aujourd’hui encore reste de mise.
Le déguerpissement peut se définir comme une expulsion collective et contrainte d’individus qui ne possèdent pas de droits reconnus sur les parcelles qu’ils occupent. Le recours à la violence, physique ou symbolique, accompagne généralement la procédure : les déguerpis sont le plus souvent déplacés par la force, ou brutalement sommés de quitter leur lieu de résidence. Les déguerpissements reposent en effet sur des conflits autour de la reconnaissance du droit à occuper des espaces convoités mais aussi du droit à être considérés comme citadins. Les déguerpis sont le plus souvent des citadins marginalisés, pour des raisons socioéconomiques, ethniques ou politiques.
À ce titre, les opérations actuellement en cours à Kaporo rails interrogent. Ce qui convient de pointer la responsabilité de l’État mais aussi celle des occupants, et se questionner également sur le déroulement des opérations.
L’occupation des domaines publics : L’État ne peut pas se prévaloir de ses propres turpitudes
Il est de notoriété publique que le centre directionnel de koloma est un domaine réservé de l’État. Voir des lieux d’habitation et de travail appartenant à des personnes privées poussés sur ce domaine comme des champignons, interroge d’autant plus que c’était au vu et au su de tout le monde. En effet, ces occupations ont été accélérées grâce à la bénédiction de cadres véreux de l’administration et à des élus locaux corrompus. Il impossible de croire que ces domaines aient été occupés en y construisant des logements d’habitation, des commerces, des marchés et même des écoles, sans que les services de l’habitat et de l’urbanisme ne soient informés. Ils étaient tellement au cœur de la situation qu’ils ont eux-mêmes contribué à brader le tissu urbain de la capitale.
S’il y a un côté positif que ces déguerpissements révèlent, c’est que la corruption existe dans tous les pans de notre société. Cette corruption ne consiste plus seulement à détourner des millions d’argent des caisses de l’État, à obtenir des pots de vins dans la cession des marchés et contrats publics, mais elle existe également dans la fourniture de documents administratifs permettant aux personnes privées de s’accaparer des biens de l’État, des biens appartenant à l’ensemble de la population.
Dès lors, les citoyens n’ont pas à payer la facture des indélicatesses de l’État et de ses agents malhonnêtes. Il est donc de la responsabilité de l’État de faire une enquête exhaustive, déterminer la provenance des titres et autres documents fonciers, situer l’implication des uns et des autres afin de permettre aux citoyens qui ont été victime de tromperies d’agents tapis dans l’ombre, d’être rétablis dans leur droit, en sanctionnant bien sûr celles et ceux qui se sont donnés à ces pratiques abusives. L’État ne peut donc pas se prévaloir de ses propres fautes en se défaussant sur des citoyens qui ont eux-mêmes été victime de la fourberie des agents publics.
Aux citoyens, nul n’est censé ignorer la loi
S’il faut pointer la responsabilité de l’État dans ce que je considère comme le drame de Kaporo, il faut également souligner le comportement de certains citoyens habitant ce quartier. Après une première expulsion il y a plus de 20 ans en arrière, c’est inconcevable que des personnes s’installent encore sur ce même domaine, firent-il avec des documents administratifs. Étant un domaine réservé, ils devraient toujours se dire et se convaincre qu’un jour ou l’autre l’État viendra chercher ce qui lui appartient de droit. Cette opération de déguerpissement met en lumière l’exode massif qu’a connu le pays dans les années 2000 des campagnes vers les villes notamment Conakry et sa banlieue.
C’est le lieu de rappeler la façon par laquelle ce site a été peuplé. En effet, certains habitants de ce quartier s’y sont installés après avoir été invités par leurs parents proches. Ils ont ainsi abandonné leur campagne pour venir en ville dans l’espoir d’y trouver un toit et un mieux vivre qu’ils n’avaient pas en quittant les campagnes. En dépit du fait qu’il y avait eu une première expulsion, les gens se sont cas mêmes entêtés et se sont installés contre vents et marrées avec un discours de victimisation teinté de tribalisme cyniquement exploité par les hommes politiques, alors que c’est une question avant tout de politique publique.
C’est l’occasion également de préciser que les opérations actuellement encours ne sont pas des opérations d’expropriation mais de déguerpissement. L’expropriation est une opération tendant à priver un propriétaire foncier de sa propriété pour cause d’utilité publique en échange d’une juste et préalable indemnisation comme le stipule l’article 13 de notre constitution. Certes, ceux qui ont occupé ce site de façon légale et qui ont y bâti des propriétés doivent être indemnisés, mais cela ne veut pas dire qu’il s’agit d’une expropriation. C’est le remboursement des investissements réalisés. Dans un État, nul n’est censé ignorer la loi, ce veut dire qu’en faisant une quelconque opération, il faut s’assurer qu’elle est licite et qu’elle entre dans le cadre du droit en vigueur.
Un processus de déguerpissement pas conforme aux règles de la solidarité nationale
Très souvent la réinstallation des populations dans les cas de déplacement « involontaire » est une recommandation des institutions qui participent au financement des projets de rénovation urbaine. Ces réinstallations sont une façon de limiter l’impact négatif du déplacement à l’intérieur des villes. Recaser les déguerpis est une pratique qui apparait alors comme la solution à envisager et pérenniser, même lorsqu’aucun droit foncier n’est reconnu, cela apparait comme une obligation morale ou comme un moyen de limiter les protestations.
Mais très malheureusement, l’État guinéen dans le cas de Kaporo rails a failli à son devoir, à ses obligations morales vis-à-vis de sa population, qui est de fournir à chacun un toit décent. Expulser des gens sur des sites où ils ont habités depuis des années sans mesures d’accompagnement, c’est une atteinte à un des principes fondateurs de notre pays, la solidarité nationale. La solidarité envers les personnes les plus vulnérables, la solidarité envers les personnes se trouvant dans les mêmes situations que celles des habitants de Kaporo. Au-delà même du principe, c’est une question de bon sens. On ne peut pas jeter quelqu’un à la merci des intempéries de la nature au motif qu’il est dans l’illégalité.
L’État guinéen doit traiter les citoyens de kaporo rails comme tous les autres citoyens du pays. Ce sont des guinéens et guinéennes, à ce titre, ils ont droit à la protection et au respect de leur dignité.
Alexandre Naïny BERETE, étudiant à la faculté de Nantes.