Le film était en sélection officielle au Fespaco 2019 dans la catégorie court métrage de fiction. Cette première expérience cinématographique de Jacques Kolié comme auteur réalisateur traduit l’engagement d’une nouvelle génération qui s’invite dans la réalisation.
La télépathie des émotions
Loin du pays, Cécé découvre à Dakar sur les réseaux sociaux les images de son village mis à sac par les forces de l’ordre.
Ce village s’appelle Zogota situé dans le sud-est de la Guinée. Pendant que Cécé s’apprête à partir au village, Binta sa petite amie qu’il aime de tout son cœur lui apprend qu’elle attend un bébé de lui. Cette dernière se trouve être la fille de son patron qui lui aussi va découvrir dans cette situation plutôt délicate l’état de grossesse de sa fille…
Cécé est meurtri dans son âme par le drame dans son village d’un côté et foudroyé de l’autre côté par la nouvelle ni bonne ni mauvaise de sa petite amie enceinte et qui de surcroit menace d’avorter si jamais n’il décide de partir pour Zogota auprès des siens.
C’est sur cette trame que l’auteur a tissé les fils de son récit qui est subtile et très engagé à la fois.
Le scénario de « Les larmes de mon peuple » renvois au principe de base du drama à savoir : personnage-objectif-obstacle-conflit-émotion. L’objectif de Cécé le protagoniste ici est clairement identifié.
Après avoir découvert les images du massacre de son village sur les réseaux sociaux, il veut se rendre de toute urgence à Zogota. Pour cela il lui faut un billet d’avion donc de l’argent (premier obstacle). Une fois cet obstacle franchi, il perd son passeport dans le taxi en se rendant à l’agence pour acheter le billet d’avion (deuxième obstacle).
Le franchissement de ces obstacles génère du conflit et de l’émotion non seulement pour Cécé lui-même mais aussi pour le spectateur.
A cela s’ajoute un crescendo dramatique intense pour Cécé lorsque Binta lui annonce ‘’la mauvaise bonne nouvelle’’ de la grossesse. A ce stade le récit atteint son plus haut niveau en intensité puisque presqu’au même moment le père de Binta va découvrir son état de grossesse. Le spectateur tout comme Cécé est servi intensément en émotion.
Dans le film de Jacques, il y’a comme une espèce de télépathie des émotions entre Zogota où le drame a eu lieu et Dakar où vit Cécé. Bien que loin de son village de Zogota, Cécé est blessé dans son âme.
Il a mal et souffre comme les siens à Zogota. D’ailleurs, un rescapé au village a adressé une lettre à Cécé pour l’informer de la mort de certains membres de sa famille et lui conseille même de ne plus revenir au village.
Cela traduit à la fois la souffrance, le désespoir et surtout un cri de détresse en provenance de Zogota. Cette rage et ce sentiment sont ressentis par Cécé comme s’il avait vécu les événements à Zogota. Ses proches à Dakar partagent sa peine et indirectement celle des rescapés de Zogota.
Le scénario fonctionne plutôt bien en dépit de cette interrogation que l’on peut être amené à se poser : pourquoi et comment ce drame s’est abattu sur les citoyens à Zogota ? Pourquoi eux ? Pourquoi là-bas ? Le récit n’aborde ni le pourquoi encore moins le comment du massacre. Peu importe – peut être ou peut être pas – Quelque soit la couleur de votre peau, que vous soyez croyant, animiste ou ni l’un ni l’autre, que vous habitiez la terre ou Jupiter, une chose reste claire: aucune raison ne peut justifier une violence meurtrière.
Un court métrage qui en dit long
Entièrement tourné et produit au Sénégal avec une équipe technique et artistique entièrement sénégalaise et qui traite d’un événement qui s’est entièrement déroulé en Guinée, le film de Jacques traduit l’idée que l’art n’a effectivement pas de frontière et qu’il n’a peut être même pas de nationalité. Ce qui voudra dire aussi que les évènements violents de Zogota et tous les évènement similaires en Guinée et dans le monde n’ont pas de frontière ni de nationalité. Le crime n’a pas de frontière ni de nationalité. Le criminel sème la terreur et doit par conséquent être poursuivi et puni.
Avec une durée de 16mn45s, le film aborde avec finesse et une dose d’engagement le massacre qui s’est produit dans le village de Zogota. En évoquant ces évènements dans son film, Jacques Kolié traduit le respect que l’on doit à la mémoire des victimes. Tout en invitant le spectateur à ce devoir de mémoire, il réclame la justice pour ‘’son peuple’’. On peut le voir et le sentir tout le long du film dans les scènes brillamment interprétées par les comédiens sénégalais : Ibrahima Mbaye Thié dans le rôle de Cécé, Lamine Ndiaye dans le rôle du maître avocat et Adja Fatou Diallo dans le rôle de Binta la petite amie de Cécé.
Le film met en évidence l’idée que : ce qui est arrivé à Cécé à Dakar peut arriver à n’importe qui. Que l’on habite Bogota ou Malaga cela ne change rien. Lorsqu’un malheur s’abat sur les siens on est forcement affecté où que l’on soit. Ce qui peut aussi traduire l’idée que toute agression contre un être humain est une agression contre l’humanité toute entière. De ce point de vue le message du film a une dimension universelle d’autant plus qu’il pose la question de la justice donc des droits de l’homme. Autrement dit c’est l’affaire de tout le monde même si – c’est vrai – le film s’adresse d’abord et surtout aux victimes, aux parents et proches des victimes comme pour leur dire « Séchez vos larmes, on ne vous oublie pas, on vous aime …».
‘’Les larmes de mon peuple’’/Réalisation Jacques Kolié/Durée 16mn45s/ Production Cinekap/Année 2017/ Sélectionné au Fespaco 2019 catégorie court metrage de fiction/
Fabara Koné
+224 622 98 36 12