Le Président Alpha Condé, a instruit son Premier ministre de consulter divers acteurs (institutions républicaines, les partis politiques, les syndicats, les organisations de la société civile) afin de recueillir leurs opinions et recommandations quant à l’adoption ou non d’une nouvelle constitution. Il ne dit rien de cette constitution, laissant la liberté à ces acteurs qu’il confond au peuple de poser les bases du débat. Le peuple peut-il être consulté ? Ces acteurs sont-ils le peuple vrai ? Le Président Condé s’adresse à un peuple prescripteur, décideur et arbitre. Il le loue, le magnifie et veut lui rendre sa souveraineté dont elle ne jouit pas.
Ce discours qui est pour assez l’expression d’une pusillanimité, n’est , à la vérité , que l’exposé d’une tactique de fraude à la constitution. Il révèle un certain nombre de choses : premièrement ,il s’intéresse au débat actuel sur la constitution ; deuxièmement, il dit que sa conviction n’a pas changé et que la souveraineté appartient au peuple au nom duquel nul ne doit parler et se substituer; troisièmement , il dit qu’il ne peut être celui qui tranche et, il instruit son Premier ministre de recueillir l’opinion des acteurs, surtout leurs recommandations ;quatrièmement , c’est très intéressant , il parle de lui et affirme ses valeurs .
L’opinion s’attendait à ce qu’il convoque le peuple au référendum ; il sait qu’il aurait brûlé une étape fondamentale, ce qui aurait chamboulé tout son plan. A-t-il renoncé à son projet ? Non. Il ne l’a pas annoncé et charge le peuple de lui donner une forme et un corps. Par le louvoiement, il ramène tout au peuple et là, tout change. Tout peut changer et il pourra encore surprendre. Il faut s’attendre à ce que, après les consultations , il s’adresse à la nation. Voici ce qu’il convient de retenir de son discours :
L’usage du « Je » comme forme de représentation du pouvoir.
Son discours, c’est l’une des rares fois, est empreint de passages évoquant ses combats et ses valeurs. Il parle de lui. Il dit celui qu’il n’a pas été et qu’il n’est pas. Ce n’est pas neutre. Parler est-il neutre ?
- « Je » comme indice d’un statut
Souvent, c’est vrai en politique, on dit et ne dit pas, on dit certaines choses et fait comme si l’on ne les avait pas dites. On le fait de façon qu’on puisse refuser ses responsabilités. C’est qu’il a fait lorsqu’il dit « Il ne m’appartient pas de trancher ou de choisir à la place du peuple ». N’a-t-il pas dit que le peuple est le seul souverain ? Il montre son statut et celui du peuple.
- « Je » comme indice d’évocation de valeurs
Alpha Condé se met en valeur. « La mise en valeur de soi-même, disait François Mitterrand, est la grande règle du discours politique puisqu’il s’agit d’avoir l’adhésion du peuple. »
Il évoque un ensemble de principes qu’il incarnerait et qu’il tient à faire savoir à l’opinion nationale et internationale. « [ …] c’est ma conviction de tous les temps » a-t-il dit parlant du fait que le peuple a toujours raison et que nul ne peut aller à l’encontre de sa volonté et des aspirations et « Pour moi et tous les patriotes, la Guinée passe avant . » Pour lui, ceux qui ne souscriront pas à l’initiative de la consultation ne sont pas des patriotes. Parler de soi, c’est aussi parler des autres sans les mentionner. Il veut faire adhérer une certaine catégorie de la population à son projet : ceux pour qui, selon lui, la Guinée prime de leurs intérêts.
- « Je » autobiographique pour valoriser un passé
Le politique recourt à cette personnalisation de son discours pour rappeler à lui-même et aussi à l’opinion celui qu’il a été, pour retracer ses épisodes de combats héroïques. Comme une vie politique ne se fait pas sans le concours des autres, le « Je » disparaît pour laisser place au « Nous ». Cette ambivalence entre le « Je » et le « nous» n’est pas un exercice de style, elle permet de rappeler à certains acteurs un souvenir d’une certaine « communauté de souffrance ». « […] Nous avons, dit-il, gagné tous les combats de la démocratie que nous avons menés. »
L’usage dévoyé de la souveraineté du peuple
La notion de souveraineté est omniprésente dans son discours. Son usage et sa surabondance ne sont pas fortuits. C’est une notion chargée d’idéologie. Pour lui : « Le peuple a toujours raison et nul ne peut aller à l’encontre de sa volonté et de ses aspirations profondes. » Cela, dit-il, a été sa conviction de tous les temps. Il oppose là son opinion, qui peut changer au gré des faits et évènements, à sa conviction, immuable.
Le peuple est souverain, c’est vrai. Il y a une différence entre la souveraineté et la puissance. La souveraineté est limitée par le droit. C’est une expression d’un pouvoir de droit au contraire de la puissance. Pour preuve, les constitutions posent les conditions d’exercice de cette souveraineté. L’article 2 alinéa 4 de notre constitution est clair lorsqu’il dit : « La souveraineté s’exerce conformément à la présente constitution. » N’est-ce pas ce qui amène la constitution dans son article 94 à reconnaître qu’on peut former des recours auprès de la Cour Constitutionnelle contre les actes du Président de la République en application de certains articles dont celui portant sur la souveraineté nationale ( article 2) ?
Le Président admet que le peuple est au-dessus de tout. Pourtant, admettre que rien ne serait au-dessus de la souveraineté du peuple et qu’il serait à mesure de tout décider de manière incontestable équivaudrait à dire que son régime n’est plus démocratique.
Par ailleurs, il se présente comme celui qui se bat à ce que les Africains jouissent de la souveraineté qui leur serait confisquée. « Dans le nouveau monde, dit-il, chaque peuple veut suivre sa propre voie et être libre de choisir son destin. » Il renchérit en ces termes : « L’Afrique ne jouit pas encore de sa souveraineté pleine et entière. »
L’usage du mot « Afrique » n’est pas innocent. S’il avait substitué l’Afrique à la Guinée, on aurait compris sans contention ce qu’il veut : que la Guinée (c’est une personnification qu’il fait, il veut le peuple de Guinée !) qui ne jouit pas encore de sa souveraineté dans sa plénitude la dispose ! C’est donc une substitution connotative ! La souveraineté du peuple telle qu’il l’évoque est un mot-slogan dont l’usage sert à des fins de manipulation. Les dirigeants populistes à travers les temps n’ont cessé de l’évoquer.
L’appel à la consultation-sondage
Il n’est pas le premier a tenté cette stratégie. Le Président Denis Sassou-Nguessou a fait la même chose le 18 mai 2018. La suite, on la sait: il a adopté une nouvelle constitution qui lui a permis de briguer un autre mandat. C’est une ouverture qui donne une impression de transparence, de sincérité et qui n’a qu’une seule vraie fonction : faire légitimer une forfaiture.
On consulte une entité sur un sujet. Alpha Condé ne donne aucune motivation de cette consultation. Encore, le peuple dira, seul lui dira. Cet être anonyme, sans visage qu’il réduit aux acteurs qu’il a cités, cette escouade, est prescripteur. Il se déresponsabilise. A-t-il à présent des pouvoirs propres ou partagés ? Non. Il n’a plus aucun pouvoir, il se plie à la décision du peuple.
Alpha Condé ne détermine pas la matière sur laquelle portera la consultation , il laisse le soin au peuple de la lui dire : « [ …] la démocratie qui consacre la souveraineté du peuple appelé à être consulté aussi souvent que nécessaire , capable de se prononcer , en toute âme et conscience sur ce qu’il voudrait ou ne voudrait pas .»
Pourtant, c’est l’objet de la consultation qui est le plus important, pas la consultation elle-même. Veut-il donner le soin au peuple de déterminer lui-même sa constitution ? Veut-il d’un Self-government ?
Il appelle à la consultation sans justifier les raisons de sa tenue. Le fait que l’opinion nationale soit partagée sur une question aussi importante que la constitution suffit-il pour justifier une consultation ? S’il s’agit d’une nouvelle constitution, afin que les acteurs mentionnés donnent leurs opinions que le Premier ministre devra recueillir, n’est-ce pas que le texte doit-être soumis à l’appréciation des consultés ? Il n’en parle pas.
La raison de son indécision, de sa perplexité est simple. Il veut se laisser guider par les soubresauts de l’opinion, par les positions des acteurs impliqués dans la consultation et donner l’impression que rien ne vient de lui et que tout est du peuple. Il se mettra à la couleur de l’opinion. Deux scénarios pourront se présenter :
- Scénario 1 : Les acteurs consultés recommandent au Président de la République d’adopter une nouvelle constitution tout en lui donnant des matières qu’ils voudraient voir intégrées à celle-là.
Ce scénario est très probable dès lors qu’il est conscient que la consultation pourrait être désapprouvée par certains acteurs de l’opposition. Il sait aussi qu’une certaine société civile ne s’associera pas à la démarche qui consiste à légitimer son projet qu’il refuse pour le moment de dévoiler. Certains acteurs de la société civile ont déjà fait savoir leurs positions. La consultation dont il est question ne sera donc qu’une consultation-sondage.
Dans son discours, il ne donne aucune raison qui justifie l’adoption d’une nouvelle constitution. Le pays ne vit aucune crise, aucun problème grave, non résolus par la constitution et qui doivent justifier une rupture avec l’ordre constitutionnel établi. « Nous avons relevé, dit-il, beaucoup de défis, assez de réformés ont été menés avec le concours des partenaires internationaux et financiers. » Pour lui : « le pays avance » et « l’Etat se consolide ». Va-t-il mener une réforme constitutionnelle « dé-consolidante » ?
- Scénario 2: Les acteurs consultés recommandent que le Président fasse une révision de la constitution et lui donnent des matières à réviser.
Ce scénario est aussi probable et le plus probable. Si certains acteurs désapprouvent la consultation, le premier scénario prévaudra quelles que soient les conséquences.
En vérité, pour avoir choisi de se laisser guidé par ce corps sans visage qui est le peuple et qu’il réduit (pouvait-il faire autrement ?) aux acteurs qu’il a cités, les adversaires à l’adoption de la constitution se trouvent dans un dilemme : s’ils participent à la consultation, ils la légitimeront ; s’ils refusent à y participer, ceux qui y participeront imposeront leurs vues. Ainsi, le Président de la République, dans un prochain discours, ne fera qu’une simple délibération. S’étant déresponsabilisé, il évoquera, encore, la volonté du peuple qu’il devra accomplir.
Dans ce second scénario, les matières de la révision seront définies par les acteurs consultés. Elles pourraient porter sur : la révision des intangibilités (surtout la durée des mandats) même si cela n’est possible –n’est-ce pas que, selon lui, le peuple peut tout ? -, les candidatures indépendantes aux élections législative et présidentielle, la limitation de l’âge des candidats à la présidentielle (une façon de mettre fin à la carrière de certains adversaires politiques) et aussi d’autres réformes plus ou moins sérieuses. Ce scénario a été utilisé au Tchad par le Président Idriss Deby Itno pour sa réforme constitutionnelle de 2004.
Il pourra ainsi être en phase avec la forme (la révision est possible du point de vue du droit) pour trahir le fond (la révision exige de suivre les limites et procédures instituées par la constitution, avec l’onction du peuple il fera sa révolution constitutionnelle qui consacrera la banalisation de la procédure de révision).
L’évocation du peuple-arbitre
Alpha Condé crée un litige factice dont la résolution ne lui incombe pas, il dessine deux camps sachant qu’aucune question ne pourrait faire l’unanimité. Il sait que le débat qu’il dit suivre de très conduit à l’aporie et que la seule issue est l’arbitrage. Il refuse de trancher et en appelle au peuple. Il le dit très clairement : « Je comprends le débat en cours dans le pays sur tous les sujets de préoccupation y compris la constitution. Il ne m’appartient pas de trancher ou de choisir à la place du peuple de Guinée. » Il sait que le seul débat à l’heure dans notre pays est celui sur la constitution, il ne le dit pas directement, désireux de se montrer désintéressé, et en vient à lui après une esquive.
Pour lui, personne ne peut parler au nom de ce peuple qui est au-dessus de tout. On ne décide pas non plus à sa place et en son nom. Ses décisions s’imposent à tous, lui y compris. « Ce que peuple veut, Alpha le voudra », voilà ce qu’il insinue. « A cet égard, personne n’a le pouvoir ou le droit de se substituer au peuple et ne dispose de toute autorité pour parler, agir, décider en son nom et à sa place » dit-il.
Comment le peuple tranche-t-il ? Ce sera par référendum. Un tel référendum est un référendum-arbitrage. Cette consultation à laquelle il appelle, est une consultation-sondage car à l’issue des recommandations qu’il attend, il dira ce qu’il ne peut tenir à présent. Les mêmes consultations peuvent tout changer. En effet, il pourrait, si l’opinion le lui fait savoir, parler de révision au lieu de l’adoption d’une nouvelle constitution. Encore là, le peuple définira les éléments sur lesquels portera cette révision. Par le louvoiement, le Président de la République se présente comme celui qui appliquera la volonté du peuple et non le dictateur qui imposera sa volonté au peuple.
Ici , il abuse du sens de l’article 51 de la Constitution ( qu’il ne cite pas ) qui lui donne la possibilité d’en appeler à l’arbitrage du peuple en cas de conflits ou litiges entre lui et les députés de l’Assemblée Nationale sur l’organisation des pouvoirs publics , l’organisation et le fonctionnements des droits et libertés fondamentaux. Pourtant, cet article qui institut un référendum législatif d’initiative partagée ne peut pas permettre l’adoption d’une nouvelle constitution.
Que retenir de son discours ? C’est la louange du peuple qu’il définit comme « prescripteur », « décideur » et « arbitre ». Il est souverain par essence. C’est l’exposé d’une tactique frauduleuse. Il fera dire à ce peuple ce qui n’est pas son opinion vraie et authentique .N’est-ce pas que cette opinion est déjà manipulée, remorquée ? La parole sera libéré dans sa gangue ; le peuple parlera, décidera et le Président de la République appliquera sa volonté, sans crainte. Qui peut refuser ce qui est supposé être de soi-même ? Qui peut renier ses convictions ? Il a dit être resté attaché à ses convictions ; le peuple aussi, une fois, ses convictions affirmées doit les défendre par le référendum-arbitrage attendu de lui. C’est une tromperie. Le destin du peuple est déjà décidé, il ne sera qu’un acteur-spectateur qui se pliera au rôle qui est assigné d’avance : légitimer la fraude à l’œuvrer. A lui d’être l’acteur vrai ou de se faire prêter une opinion !
Ibrahima SANOH
Citoyen guinéen,
Essayiste,
Président du Mouvement Patriotes Pour l’Alternance et le Salut.