Le 14 février 2021, les autorités sanitaires de la République de Guinée ont officiellement déclaré une épidémie de maladie à virus Ebola. L’épicentre de cette nouvelle flambée est localisé au niveau de la sous-préfecture de Gouécké, située à 45 Km de la préfecture de N’zérékoré. Les premières investigations orientent le cas index autour d’une femme, décédée le 28 janvier 2021. Infirmière de profession, elle est décrite par le Sous-Préfet de Gouécké comme une femme qui était très connue et appréciée par les populations[1]. Cette notoriété explique d’ailleurs que plusieurs parents, amis et connaissances venant de Gouécké et des localités environnantes aient tenu à participer aux funérailles de cette dernière organisées le 01 février 2021.
À la suite des funérailles, 4 personnes de la famille de la défunte ont développé une maladie avec un tableau clinique dont les principaux symptômes et signes sont composés de fièvre, diarrhée sanguinolente, vomissement et hématurie totale (Rapport d’investigation, Direction Préfectorale de la Santé de Nzérékoré, 13 janvier 2021). L’appartenance des 4 malades à la même famille a conduit les médecins à orienter le diagnostic sur une intoxication alimentaire, une maladie contagieuse notamment la fièvre Lassa ou Ebola qui ont déjà provoqué des épidémies dans la région ou encore la probabilité d’une souche inconnue de la COVID-19. Les analyses réalisées le 13 février 2021 au laboratoire de Guéckédou et à Conakry sur les échantillons des patients ont permis de confirmer l’infection à virus Ebola.
- État de la réponse à la nouvelle épidémie
Une réunion de crise sous la présidence du ministre de la santé a été organisée avec la contribution des différents Partenaires Techniques et Financiers (PTF) pour définir les orientations de la réponse à l’épidémie qui s’ajoute à une situation sanitaire déjà marquée par la pandémie de COVID-19. Cette réunion marque le déclenchement de la machine de « guerre » avec l’activation du comité multisectoriel de réponse. La coordination des différentes interventions et mesures de lutte a été confiée à l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire (ANSS) afin de circonscrire l’épidémie. Les ONG médicales internationales Médecins Sans Frontières (MSF) et l’Alliance Internationale pour l’Action Médicale (ALIMA) se sont engagées dans la prise en charge au niveau des CTEPI de Nongo (Conakry) et à Nzérékoré. La Croix-Rouge s’implique dans le dispositif désinfection des espaces fréquentés par les malades et la mise en pratique du dispositif d’Enterrement Digne et Sécurisé (EDS).
L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) pour son compte avance sur l’acheminement des doses de vaccins du RVSV dont l’efficacité a été déjà démontrée durant l’épidémie de 2014- 2016 dans les récentes flambées en République Démocratique du Congo. L’Organisation Internationale pour la Migration (OIM) se distingue autant dans l’accompagnement des autorités sanitaires pour l’identification et le suivi des personnes contacts mais aussi la mise en place des cordons sanitaires au niveau des points d’entrées et de sorties au niveau des foyers actifs. On peut aussi noter la présence de l’UNICEF qui accompagne l’organisation des activités de communication et de mobilisation sociale qui reste un pilier essentiel de réponse aux maladies à caractère épidémique.
Pour compléter ces mesures, le Président de la République a décidé de mettre en pratique dans les zones concernées par la nouvelle épidémie un ensemble de mesures sanitaires, sécuritaires et administratives pour contenir la chaîne de contamination dans les foyers actifs de la sous préfecture de Gouécké et de la commune urbaine de N’zérékoré. Afin d’accompagner les populations au respect de ces mesures, le gouvernement s’engage à mettre à la disposition des ménages des localités concernées des dispositifs de lavage des mains ainsi qu’un accompagnement (denrées alimentaires et frais de condiments) pour les ménages isolés.
- Dynamiques et limites du dispositif de riposte contre Ebola
La description du dispositif de riposte laisse entrevoir la constitution et la mise en route de la réponse institutionnelle face au nouveau défi que constitue l’épidémie d’Ebola. Le caractère rapide de la détection des premiers foyers et de l’organisation de la réponse témoigne d’une certaine capitalisation de l’expérience de l’épidémie de 2014 mais également des bonnes pratiques de gestion de la pandémie de COVID-19. Autrement dit, s’il a fallu près de trois mois avant la déclaration de l’épidémie de 2014 (entre décembre 2013 et mars 2014), les données autour de la nouvelle flambée mettent en évidence une détection précoce du premier foyer épidémique. Cette dynamique s’explique également en raison des capacités de diagnostic de la Guinée qui ont connu des évolutions conséquentes dans la mesure où la confirmation des premiers cas a été réalisée par une expertise locale.
En outre, la Guinée dispose d’une importante ressources humaines qualifiées en matière de gestion de la maladie à virus Ebola, expertise locale qui a d’ailleurs été mobilisée pour gérer différentes résurgences d’Ebola en République Démocratique du Congo. Sur le plan infrastructurel, la Guinée dispose également des Centres de Traitement des Épidémies (CTEPI) qui sont des structures de soins mise en place dans les districts sanitaires, précisément dans les centres de santé amélioré ou les hôpitaux pour assurer la prise en charge des maladies à potentiel épidémique notamment les fièvres hémorragiques, la fièvre jaune, le choléra, la méningite et la rougeole. Pour finir, il est nécessaire de noter que plusieurs avancées ont été enregistrées sur la prise en charge de l’infection au virus Ebola avec des vaccins à des phases avancées de recherche (Ad26&MVA, RVSV, etc.) ainsi que des thérapeutiques avec le REGN-EB3 et le MAb114 qui ont déjà démontré des résultats satisfaisants dans l’essai clinique PALM en RDC[2]. Dans cette configuration, la réponse à l’épidémie doit donc se focaliser de trois aspects à savoir :
- Rassurer les populations et les conduire à adhérer aux mesures de lutte
- Mettre en avant l’existence d’une réponse thérapeutique
- Motiver les gens à accepter la vaccination ainsi que les différentes mesures de prévention et de contrôle des infections (lavage des mains, les EDS, etc.)
- Et surtout impliquer les acteurs porteurs de dynamiques communautaires qui sont les pivots de l’engagement communautaire et de l’appropriation des différentes mesures promues par l’État et ses différents partenaires.
« Cela nous donne la peur au ventre parce que la première expérience que nous avions connue en 2014, nous a fait perdre des êtres très chers et nous a mis en retard dans beaucoup de domaines. Je demande au gouvernement de prendre toutes les dispositions pour circonscrire cette maladie pour qu’elle ne se propage pas comme en 2014 »[3]
Si les autorités sanitaires de la Guinée peuvent se féliciter d’avoir été promptes dans l’identification, le diagnostic des premiers cas et la mise en route de la réponse institutionnelle et politico- administrative face à Ebola, la dimension communautaire de la riposte a encore besoin d’être améliorée. D’ailleurs les différentes communications de l’État mettent en évidence des injonctions et directives auxquelles les communautés sont censées se soumettre. Or, différentes expériences en particulier la gestion de l’épidémie d’Ebola en 2014 en Guinée mettent en évidence les limites des approches institutionnelles et verticales. L’analyse critique, de ces formes de gouvernance de l’action publique, décline la césure qu’elle introduit entre des acteurs experts et des populations réduites à la portion congrue de profanes et de bénéficiaires d’interventions.
Les manifestations de cette approche s’observent déjà au regard des différentes décisions prises et imposées par l’État dans les différentes zones actives. La réaction inévitable et qui commence de manière pacifique s’exprime dans l’opposition de certains groupes aux décisions. Nous pouvons par exemple considérer les craintes exprimées par les opérateurs économiques suite à la décision d’interdiction des marchés hebdomadaires pour un secteur déjà plombé par une pandémie de COVID-19 et qui risque d’être accentuée par la déclaration d’une épidémie d’Ebola.
« Nous avons beaucoup d’inquiétudes face à la résurgence de cette maladie qui va encore mettre le pays en retard. Avec le Coronavirus déjà, rien ne bouge, toutes les activités sont à l’arrêt. Pendant que nous sommes en train de mettre les projets en cours, si on apprend le retour d’Ebola, on ne sait plus à quel saint se vouer puisque cette épidémie va remettre tout à zéro »[4]
L’application de certaines directives dont principalement les EDS sans une communication avec les communautés ainsi que les acteurs stratégiques de ces pratiques sociales préfigurent déjà des attitudes de résistance communautaire (Faye, Diouf et al. 2017 ; Diouf et Faye, 2020). L’imposition de cette mesure, bien que pertinente du point de vue de la santé publique, s’accorde difficilement aux rites et pratiques d’accompagnement des personnes décédées (Le Marcis, 2015). D’ailleurs, l’expérience de l’épidémie d’Ebola entre 2014 et 2016 est assez illustrative des formes de réactions communautaires qu’introduisent une telle approche avec notamment la non déclaration des cas de décès, le déplacement des malades mais aussi l’organisation des enterrements clandestins dans une certaine forme de complicité à l’échelle communautaire (Niang 2014 ; Faye 2015 ; Fribault, 2015).
- Capitaliser les expériences de réponse aux interventions de santé publique
La République de Guinée a une longue tradition et une très grande expérience en matière de gestion des problèmes de santé publique. D’ailleurs dans les années 80, ce pays disposait d’un des meilleurs systèmes de santé communautaire au niveau de la sous-région. L’épidémie d’Ebola de 2014 – 2016 a été également un des plus grands challenges du système de santé de ce pays qui, malgré les limites et contraintes à différentes échelle, a pu gérer et sortir de la plus grande flambée d’Ebola documenté à ce jour. Si plusieurs citoyens en particulier le personnel de santé ont fait le lourd tribut de cette épidémie, le système de santé en Guinée en est sorti ragaillardi et plus au fait des nouveaux défis que posent les maladies émergentes et ré-émergentes ainsi que la nécessité de l’implication des communautés dans les interventions de santé publique.
La mobilisation des théories émergentes a permis par exemple dans la cadre de la mise en œuvre de l’essai PREVAC[5], d’expérimenter un modèle d’engagement communautaire pour impliquer les communautés dans la recherche d’un vaccin contre la maladie à virus Ebola dans la commune de Dixinn (Conakry) et la sous-préfecture de Maférinyah. L’analyse des histoires sociales d’Ebola dans les communautés durant l’épidémie de 2014 – 2016 a informé que la pratique d’engagement souhaitée par les communautés ne consiste pas à faire d’elles des bénéficiaires d’intervention, des agents qu’on sollicite juste pour exécuter ou accepter une mesure de santé publique (un vaccin, un médicament, une politique, une technique). Elles souhaitent être traitées comme des partenaires et des acteurs réels et intelligents, à qui on reconnaît des capacités de contribution à la réflexion, la définition et la conduite des activités dans le cadre d’une action sociale qui les concerne d’abord au premier chef. Ainsi, les différents piliers constitutifs de la stratégie d’engagement des communautés dans PREVAC renouvellent son ancrage communautaire, basé sur la reconnaissance et le respect du droit à l’information des populations et de leurs capacités d’acteurs, sur la transparence dans les interactions, leur confiance et responsabilisation à des fins d’appropriation de l’étude vaccinale (Faye, Diouf et al., 2017).
Les dynamiques de l’action publique durant l’épidémie de 2014-2016 ont également mieux mis en évidence des catégories de l’action publique que les approches développementalistes ont souvent « négligées ». Ces catégories, qui sont souvent le fait de légitimités charismatiques, se sont retrouvés entre 2014 et 2016 au cœur des processus de la lutte contre Ebola pour revendiquer leur place, pour contester celles qui leur étaient assignées, contrôler, prendre des initiatives à des fins de protection sociale (Diouf, 2019 ; Diouf et Faye, 2020). Leur reconnaissance et implication dans la mise en œuvre des actions de santé publique est un des meilleurs moyens de valoriser les personnes que les populations apprécient, reconnaissent le plus et de leur restituer les prérogatives dans la conduite et la réussite de l’action sociale. Des prémisses d’initiatives de cette nature s’observe dans le cadre de la nouvelle épidémie avec l’Union des Transporteurs de Nzérékoré qui a tenu une réunion dès le lendemain de la déclaration de l’épidémie pour organiser l’enregistrement de tous les chauffeurs et passagers qui fréquentent la gare routière dans le cadre de leur mobilité afin de contribuer aux efforts de contrôle de la chaîne de contamination.
Loin des analyses et réflexion avant-gardistes, la lecture que nous faisons sur les orientations de la réponse à la nouvelle épidémie d’Ebola déclarée en République de Guinée s’intéresse à faire une alerte et à attirer l’attention des différents acteurs sur certains impératifs de la santé publique et des interventions à dimension communautaire. Concrètement, il s’agit de faire un plaidoyer pour une implication effective des communautés dans la vulgarisation, la promotion et l’acceptabilité des mesures de lutte. Pour ce faire, nous proposons une liste non exhaustive de dispositions nécessaires à la promotion d’un engagement communautaire qui est un indispensable à l’action publique. Répondre à Ebola nécessite aujourd’hui d’adresser un discours d’assurance aux populations tout en mettant en évidence les capacités en termes de ressources techniques, humaines et logistiques dont disposent le pays[6]. Cette mesure requiert aussi une reconnaissance des limites (indisponibilités des doses de vaccins ou thérapeutiques) ainsi que les efforts entérinés par le gouvernement pour riposter contre la nouvelle épidémie. Il importe aussi à ce niveau qu’une communication soit réalisée sur de prise en charge avec un focus l’offre thérapeutique disponible au niveau des centres de prise en charge.
L’initiative de la vaccination s’offre à la même critique en raison d’une absence de communication sur cette mesure de lutte. S’il est clair que les populations entendent depuis un moment par voie de presse ou à travers les réseaux sociaux la volonté des autorités d’utiliser des vaccins pour contrôler l’épidémie, le constat laisse entrevoir une absence de communication et de préparation à la perspective de la vaccination ainsi qu’à ces modalités. Or les défis de l’acceptabilité de la vaccination ne sont plus à démontrer en particulier dans le cadre d’une épidémie qui remet en cause les ordres sociaux.
Par ailleurs, la lutte contre Ebola requiert une implication des acteurs stratégiques à différentes échelles dans les processus de prise de décisions. En guise d’exemple, nous considérons que les décisions d’interdiction des marchés hebdomadaires pouvaient au préalable nécessiter des discussions avec les syndicats afin de favoriser une acceptabilité de ces dispositions qu’impose le contexte sanitaire. Il en est de même sur les mesures d’interdiction des cérémonies religieuses et traditionnelles dans la sous-préfecture de Gouécké et la commune urbaine de N’zérékoré. Des discussions préalables avec les autorités religieuses et coutumières de ces différentes zones auraient facilité une appropriation de ces mesures en lieu et place d’une imposition qui risque de produire des attitudes de défiance. On peut juste finir sur l’application de la procédure des enterrements dignes et sécurisés qui a été une des composantes de la lutte contre Ebola en 2014-2016, qui se voit juste remise à jour dans la gestion de la nouvelle flambée sans une communication sur ces modalités.
Les maladies infectieuses constituent également des menaces sur la santé et la sécurité des populations à l’échelle internationale. Dans un contexte de forte mobilité des populations en particulier dans les zones transfrontalières, la coordination de la réponse entre les pays revêt un caractère capital. La Guinée partage au sud, une frontière avec principalement le Libéria et la Sierra. Même si ces frontières ont été fermées pendant très longtemps durant l’année 2020, il est important de reconnaître la porosité de ces frontières et les pratiques de contournement développées par les populations pour se retrouver d’un côté ou de l’autre de ces différents pays. Répondre à une telle problématique requiert un bon dispositif d’identification et de suivi des cas contacts dans les zones actives mais également un partage de l’information à temps réel entre les différents pays qui partagent des frontières communes. L’exemple de la gestion du cas importé du Sénégal en 2014 illustre à juste titre l’intérêt de cette collaboration nécessaire entre les pays pour contrôler et répondre efficacement à la menace sur la santé et la sécurité des populations que constituent les maladies émergentes et ré-émergentes.
Dr Waly Diouf, Chercheur en sciences sociales (Sociologie et Anthropologie), spécialisé en socio-anthropologie de la santé, en gouvernance et action publique et en communication sur les risques et engagement communautaire
Mots clés : Ebola, Résurgence, Riposte, Engagement Communautaire, République de Guinée
[1] https://www.guineenews.org/ebola-a-gouecke-les-contacts-de-lucie-la-patiente-zero-activement-recherches-autorites/
[2] Mulangu, Sabue, Lori E. Dodd, Richard T. Davey, Olivier Tshiani Mbaya, Michael Proschan, Daniel Mukadi, Mariano Lusakibanza Manzo, et al. « A Randomized, Controlled Trial of Ebola Virus Disease Therapeutics ». New England Journal of Medicine, 27 novembre 2019.
[3] https://www.africaguinee.com/articles/2021/02/17/ebola-l-inquietude-gagne-les-populations-nzerekore
[4] https://www.africaguinee.com/articles/2021/02/17/ebola-l-inquietude-gagne-les-populations-nzerekore
[5] Le Partnership for Research on Ebola VACcination (PREVAC) est un essai de phase 2 multicentrique développé dans quatre (4) pays de l’Afrique de l’Ouest (Guinée Conakry, Libéria, Sierra Leone et le Mali) pour évaluer la tolérance, la réactogénicité, l’immunogénicité et la durabilité de 3 candidats vaccins contre la maladie à virus Ebola.
[6] La Guinée dispose en réalité d’une expertise dans la gestion de la maladie à virus Ebola qui a été d’ailleurs mobilisé dans les initiatives de coopération Sud-Sud dans la réponse à différentes résurgence d’Ebola en République Démocratique du Congo.