Le mardi 16 mars 2021, l’Assemblée Nationale de la République de Guinée a votée pour l’érection de dix-neuf (19) collectivités en sous-préfectures. Ce vote est la résultante des promesses du Président CONDE lors de ses déplacements électoraux et post électoraux à l’intérieur du pays.
Pour rappel, c’est par un décret daté du 2 juin 2017 que le président Alpha Condé a érigé en sous-préfecture, le district de Tarambaly, relevant précédemment de la sous-préfecture de Sannou (préfecture de Labé). Cette nouvelle sous-préfecture comprend les districts de Tarambaly-centre, Dar-es-Salam, Madinatoul-Salam et Konkorin. Le chef-lieu de la sous-préfecture est fixé à Tarambaly-centre.
D’autres sous-préfectures ont été créées après celle de Taranbaly comme Tomboni, Kourémalé et Diomabana dans la préfecture de Siguiri, il y a aussi Kourou dans Dalaba qui a été créée le 25 novembre 2020, pour ne citer que celles-là.
La création de ces 19 sous-préfectures supplémentaires porte à 361 communes urbaines et rurales en République de Guinée.
Décentralisation et déconcentration
Cette façon de faire la décentralisation à la guinéenne n’est pas sans équivoque car à lire de près les définitions de la décentralisation, l’on se rend compte qu’il y a un semblant de mélange entre elle et la déconcentration dans notre pays.
Pour le Larousse, la décentralisation est « un Système d’organisation des structures administratives de l’État dans lequel l’autorité publique est fractionnée et le pouvoir de décision remis à des organes autonomes régionaux ou locaux.
Un ensemble des méthodes d’organisation et de gestion consistant à transférer le pouvoir de décision aux niveaux hiérarchiques inférieurs ».
Pour ce qui est de Guinée, l’article 1er du code révisé des collectivités locales dispose : « Définition de la décentralisation, compte tenu du contexte guinéen : la décentralisation est un système d’administration qui permet à des groupements humains, géographiquement localisés sur une portion déterminée du territoire national, de créer des entités territoriales auxquelles il est conféré la personnalité juridique morale et la capacité de s’administrer librement, dans les limites de leurs compétences, par des Conseils élus, Sous le contrôle d’un délégué de I ’Etat, qui a la charge des intérêts nationaux et du respect des Lois ».
D’un autre côté, le site vie-publique.fr définit la déconcentration comme étant : « un processus d’aménagement de l’État unitaire qui consiste à implanter des autorités administratives représentant l’État dans des circonscriptions administratives locales. Ces autorités sont dépourvues d’autonomie et de personnalité morale ».
A la lecture de l’article 1er du Code révisé des collectivités locales de la Guinée, on a l’impression que le législateur a fait un mixe entre la décentralisation et la déconcentration. Il y a donc un enchevêtrement des compétences entre les autorités décentralisées et les autorités déconcentrées.
Si on prend l’exemple de la France, la seule autorité qui a cette double casquette est le maire. En ce qui concerne les départements et les régions, il y a, d’un côté, les conseils départementaux (autorités décentralisées) et les préfets de départements (autorités déconcentrés), et de l’autre, les conseils régionaux (autorités décentralisées) et les préfets de région (autorités déconcentrés). Ici c’est le préfet du département qui est compétent pour contrôler l’action du Maire.
Dix-neuf nouvelles Sous-Préfectures, pour quel but ?
Au lendemain de ce fameux vote du 16 mars, le ministre de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation, Bouréma CONDE s’est réjoui en justifiant la création de ces nouvelles sous-préfectures par la volonté politique de rapprocher les services publics aux populations et pour un meilleur bienêtre social. Il a illustré ses propos en donnant l’exemple des lampadaires (sic) qui seront dotés uniquement aux sous-préfectures et pas aux districts. Puis il rajoute : « l’Etat accompagne les collectivité selon le découpage administratif ».
Si les sections 2 et 3 du code révisé des collectivités locales portent respectivement sur les missions des collectivités locales et sur le principe de leur libre administration, on peut constater que textuellement cela semble tenir la route, mais que dans les faits il y a un grand fossé. A titre illustratif, dans les grandes agglomérations du pays, les préfets ont plus de pouvoir que les maires des communes urbaines. Les gouverneurs de région (l’équivalent du préfet de région en Franc), qui sont sous l’autorité du ministère de l’administration du territoire n’ont pas un contrepouvoir en face et se sentent donc très puissants.
Aussi, dans certains endroits du pays, on constate que la création de nouvelles sous-préfectures n’est pas sans risques. A Tarambaly par exemple les querelles relatives à l’installation des délégations spéciales (l’organe exécutif qui dirigera cette commune rurale en attendant les élections communales) font que le fonctionnement de la sous-préfecture est très tronqué.
Pour ce qui est de Kourou, (jusque-là un district relevant de la sous-préfecture de Ditinn) elle seule ne pouvait pas remplir les critères d’éligibilité pour être une sous-préfecture. C’est ainsi que les districts de Kourouba et Djinkonya (dans la sous-préfecture de Mafara) et Dalatö (dans la sous-préfecture de Ditinn) ont été détachés de leurs sous-préfectures d’origines pour être rattachés au district de Kourou afin de finalement former un ensemble qu’on a appelé sous-préfecture de Kourou.
Kourou (qui relève de la préfecture de Dalaba) est déjà confronté à un sérieux problème. La composition de la délégation spéciale est la source des tensions entre les populations. Deux camps se sont formés sur place entre les deux responsables locaux du RPG arc-en-ciel (parti au pouvoir) qui bataillent pour occuper la tête de la commune rurale. Les autorités administratives préfectorales de Dalaba et le gouverneur de la région administrative de Mamou sont accusés d’être derrière la cacophonie actuelle dans cette nouvelle commune. Le 12 juin, la mobilisation de certains citoyens a empêché l’installation de la délégation spéciale. Et le 29 juin 2021, une manifestation de protestation contre l’arrêté du ministre de l’Administration du territoire et de la décentralisation s’est tenue dans la localité.
Il faut noter également que certains districts relevant jadis d’une autre sous-préfecture ne sont pas forcément enthousiastes à l’idée de changer de lieu de commandement.
En définitive, nous pouvons dire que cette nouvelle mesure prise par les autorités guinéennes n’est rien que la résultante de calculs politique. Les conséquences réelles au niveau local seront, dans la plupart des cas des luttes de pouvoirs au détriment des véritables projets de développement.
Au demeurant, la nouveauté en matière de décentralisation est l’intercommunalité, mais à la lumières des faits, cette façon de faire est à des années lumières de la Guinée. Il faudrait donc redéfinir les compétences de différentes autorités locales pour que le pays puisse amorcer un développement à la base.
Hamidou BAH
Juriste commande publique
Consultant indépendant