De l’avis du Chercheur et spécialiste des questions de défense et sécurité en Afrique, la décision du président de la transition d’envoyer à la retraite près de 1000 militaires a plus de bienfaits que de méfaits. Dans cette interview qu’il a accordée au directeur de publication de mosaiqueguinee.com, le directeur du Centre d’analyse et d’études stratégiques en Guinée estime que « les remous dans les armées africaines viennent souvent de la désorganisation de ces dernières et surtout de la mésentente entre la hiérarchie et la troupe». Il s’est aussi prononcé sur les questions : quel type d’armée en Guinée ? La durée de la transition ? Pourquoi la liste des membres du CNRD n’est toujours pas connue ? Aliou Barry répond aux questions de Mohamed Bangoura.
Mosaiqueguinee.com: Dans son adresse à la nation le 31 octobre, le président de la transition a annoncé la mise à la retraite de près de 1000 militaires, quelle analyse faites-vous de cette mesure atypique ?
Aliou Barry : Il n’ y a rien d’anormal de faire bénéficier à des militaires qui ont atteints l’âge de la retraite de pouvoir en bénéficier. La seule question qu’il vaille se poser c’est celle de savoir pourquoi les guinéens y compris les militaires ne veulent et ne souhaitent pas partir à la retraite. Ceci est dû à mon humble avis aux maigres montants de la retraite et surtout aux conditions de vie des retraités guinéens. Dès lors que les retraités aussi civils que militaires bénéficieront d‘une retraite digne, celle-ci ne sera plus vue comme une punition mais un droit.
Mosaiqueguinee.com : Quelles peuvent être les conséquences d’une telle décision au sein de la grande muette ?
Aliou Barry : Cette décision de mettre à la retraite un millier de militaires ne sera point une source de tensions au sein de l’armée.
Mosaiqueguinee.com : Faut-il s’attendre à des remous au sein de l’armée ?
Aliou Barry : Je ne pense pas que la retraite de 1000 militaires peut entraîner des remous dans l’armée. Les remous dans les armées africaines viennent souvent de la désorganisation de ces dernières et surtout de la mésentente entre la hiérarchie et la troupe comme ce fut le cas au mali en 2012 après le massacre des unités militaires à Aguelhok. Le coup d’État en 2012 au Mali, loin d’avoir été la cause directe de l’effondrement des institutions maliennes, encore moins de la rébellion touarègue, a été le révélateur d’une dégradation de la situation intérieure où les leviers du pouvoir politique et militaire avaient échappé à l’appareil d’État et en particulier au président Amadou Toumani Touré.
Mosaiqueguinee.com : Quelle force de défense et de sécurité pour la Guinée ?
Aliou Barry : Le prochain pouvoir en Guinée devra envisager une refonte complète du dispositif de défense par la réorganisation des structures des forces armées. Cette réorganisation de l’armée guinéenne s’imposera pour permettre à cette dernière de remplir ses missions traditionnelles de défense nationale. En effet dans sa phase de reconstruction politique, la nouvelle équipe dirigeante du pays, ne pourra point faire l’économie sur la nécessaire réorganisation de son outil de défense. Celle-ci est devenue indispensable pour assurer un environnement sécurisé d’autant, que les facteurs d’instabilité sont légion sur le continent. Et, aucun développement durable n’est envisageable en Guinée sans un environnement politique, économique et social sécurisé.
Mosaiqueguinee.com : Concrètement, qu’est-ce qui doit être fait par le prochain pouvoir ?
Aliou Barry : Un accent particulier devra être entrepris pour la formation et le statut du militaire guinéen devra être révisé et appliqué pour éviter toute dérive clanique. Il faudra aussi instaurer un environnement institutionnel démocratique qui puisse empêcher l’instrumentalisation de l’ethnicité au profit des intérêts sociaux et politiques d’un clan. La nouvelle armée devra être réorganisée et transformée en un grand service public de sécurité intérieure regroupant la gendarmerie nationale, la police nationale et la protection civile. Au lieu et place donc des structures actuelles, on verrait naître une véritable entité unique de sécurité intérieure qui aura pour mission essentielle de participer, comme force de police à la défense intérieure du pays. La défense extérieure s’organisant autour d’unités militaires professionnalisées (UMP/Terre, Air et Mer) et dans le cadre sous régional à travers d’unités militaires professionnalisées pré-positionnées. Ce grand service public de sécurité intérieure veillera spécialement sur les installations d’intérêt national, sur les voies de communication, les zones frontalières, venir en aide à la population.
Mosaiqueguinee.com : Vous êtes favorable à une Guinée sans armée. Mais est-ce possible ?
Aliou Barry : Depuis son indépendance, l’histoire de la Guinée est une histoire de profondes blessures. C’est pourquoi après la transition, la Guinée pourra innover en Afrique de l’Ouest en prenant le chemin qu’a pris le Costa Rica qui est sans armée depuis sa guerre civile de 1948. Le Costa Rica a fait de la paix son image de marque. En effet tout a commencé quand ce petit pays d’Amérique latine a décidé de supprimer l’armée et l’inscrire dans sa constitution : une première mondiale. Monsieur Oscar Arias Sanchez, ancien président costaricain et prix Nobel de la paix en 1987 disait à l’occasion de cette suppression de l’armée je cite « Certains pensent que nous sommes vulnérables par ce que nous n’avons pas d’armée. C’est exactement le contraire. C’est parce que nous n’avons pas d’armée que nous sommes forts ». Aujourd’hui le pays n’a pas d’armée et à proclamer sa neutralité active. La défense du pays est assurée par le système de sécurité régionale regroupant divers pays des Caraïbes. A la place de l’armée, c’est la force publique qui s’occupe d’à peu près tout depuis 60 ans : elle est chargée à la fois de la police judiciaire, de la sécurité », du maintien de l’ordre, de la surveillance de frontières et de lutte contre le trafic de forte. Le budget de l’armée a été transféré à d’autres causes. La suppression des dépenses dévolues à l’armée permet chaque année de financer trois hôpitaux et l’ensemble des universités publiques du pays. Dans ces deux domaines, l’éducation et la santé, le Costa Rica affiche des statistiques très enviables pour l’Amérique latine : ainsi le taux d’alphabétisme atteint 97% et l’espérance de vie atteint 80 ans. Je suis conscient, au risque de me répéter, que ce travail de restructuration de l’armée guinéenne sera long et difficile mais, c’est le prix à payer pour l’émergence et la consolidation d’un système politique démocratique en Guinée.
Mosaiqueguinee.com : On ne connaît toujours pas la durée de la transition ni la liste des membres du CNRD. Qu’est-ce qui pourrait expliquer cela ?
Aliou Barry : En effet, la durée de la transition est une question fondamentale qui sera à mon avis un point de friction entre le pouvoir et les acteurs politiques. C’est pourquoi cette durée de la transition devra faire l’objet d’un accord entre les acteurs de la transition en Guinée et la communauté internationale. Le fait qu’aucun guinéen ne connaisse à date les membres du CNRD, cela relève de la seule volonté de ceux qui ont pris le pouvoir le 5 septembre 2021.
Interview réalisée par Mohamed Bangoura