Bilan des 100 jours du CNRD, durée de la transition, manque de dialogue entre la junte et les acteurs politiques, Mohamed Camara se prononce sur les questions de l’heure. Dans cet entretien qu’il a accordé à mosaiqueguinee.com, l’enseignant en charge des cours de droit dans les universités guinéennes, connu pour son franc-parler, plaide pour l’instauration d’un dialogue entre toutes les entités, pas uniquement avec les acteurs politiques. Si le président de la transition Colonel martelait au lendemain de sa prise du pouvoir que la justice sera la boussole désormais, le juriste rappelle à tous que la véritable boussole qui doit guider est la loi. Mohamed Camara répond aux questions de Mohamed Bangoura.
Mosaiqueguinee.com : Plus de 100 jours après la prise du pouvoir par Colonel Mamadi Doumbouya et ses hommes du GFS, quel bilan dressez-vous ?
Mohamed Camara : Ce serait trop prétentieux pour moi de parler de bilan à ce stade. Je parlerai plutôt d’un constat en termes d’état des lieux, ce qui peut être encouragé, amélioré ou davantage qualifié. Premièrement, je pense sur le plan juridique, le fait d’avoir une charte permet de bien canaliser un peu la transition. C’est dire que la transition est certes une période d’exception, mais ce n’est pas un moment de non droit. Deuxièmement, le fait de penser mettre en place une Cour pour lutter contre les infractions économiques et financières, est à saluer. Cette Cour produira un effet dissuasif pour éviter l’accaparement de deniers publics. Aussi, l’admission de personnes à faire valoir leur droit à la retraite en application des lois y afférentes, constitue une bonne chose pourvu que les mesures d’accompagnement suivent pour les retraités. Maintenant, il faut croiser les doigts pour souhaiter une réussite de la transition. Pour y parvenir, chaque citoyen indépendamment des nominations aux postes, se doit d’apporter cette contribution à notre pays en fonction de sa faculté contributive. Au regard, situation dans laquelle le pays se trouvait et en juger par l’importance des intentions affichées par les nouvelles autorités pour l’avenir, tout citoyen doit souhaiter bonne chance pour aboutir au retour à l’ordre constitutionnel. Ainsi, chacun doit poser des actions conformément à la législation en vigueur d’autant que l’ordonnance n°1 du CNRD du 16 septembre 2021 proroge les lois, traités et accords internationaux en vigueur avant l’avènement du CNRD. Certes, les autorités nouvelles ont dit que la justice sera la boussole qui guidera chaque citoyen. Cette assertion veut peut-être dire qu’avant l’arrivée CNRD, il y avait tellement de problèmes et de scandales liés à plusieurs dossiers susceptibles de judiciarisation, que la justice la seule à trancher sans pression. Ce, en résonnance au fait que certains magistrats aient dit avoir subi des pressions de l’exécutif par le passé. Autrement dit, en tant que premières autorités actuellement, elles laisseront la justice servir de boussole aux fins. Comme pour dire que sous leur règne, il n’y aura pas d’immixtion dans l’appareil judiciaire pour protéger qui que ce soit. Sinon, la véritable boussole qui doit guider tout le monde en Guinée, c’est la loi. Même le juge qui tranche, le fait sous l’empire de la législation en vigueur. La poursuite judiciaire obéit à une procédure encadrée par la loi en fonction des conditions en termes de droit, de qualité, de capacité et d’intérêt à agir. Le choix de saisir la justice, signifie que les problèmes sont survenus suite à l’échec des rapports en société entre les citoyens, entre l’Etat et les citoyens ou entre les personnes morales, le procès étant un accident de la vie juridique. Ce ne sont pas tous les citoyens qui saisissent le juge tous les jours, mais tous les citoyens sont appelés à respecter la loi au quotidien et nul n’est censé l’ignorer. C’est la loi qui permet en consacrant les droits et devoirs. C’est la loi qui interdit et prévoit la punition des manquements. Par exemple, l’usager de la route est guidé par le code de la route. Les médecins, les comptables, les contrôleurs financiers, les acteurs de la justice et tous les citoyens sont guidés par la loi. Maintenant, il faut mettre les moyens à la disposition de la justice en appliquant les recommandations qui ont été préconisées lors des états généraux de la justice en mars 2011. Il suffit d’appliquer celles-ci graduellement.
Mosaiqueguinee.com : Vous voulez dire qu’il faut de nouveaux états généraux de la justice dix-ans après les premiers de fin mars 2011 ?
Mohamed Camara : Non, je pense qu’il faut éviter des rencontres de plus. Il s’agit de traduire en actes les 5 recommandations faites lors des états généraux de la justice en mars 2011 à savoir : 1. L’indépendance de la justice, 2. L’exécution des décisions de justices, 3. La question des infrastructures, des équipements et la documentation judiciaires, 4. La question de la carte judiciaire et pénitentiaire, 5. L’intégration Judiciaire. Je voudrais ajouter à ces 5 recommandations, l’accroissement de l’effectif, la formation, le renforcement de capacités et la vulgarisation des textes de lois.
Mosaiqueguinee.com : Plus de 100 jours après le coup d’État du 05 septembre 2021, tous les organes de la transition ne sont pas mis en place, notamment le conseil national de la transition. Que faut-il faire ?
Je pense qu’il faut convier les différentes entités pour mettre en place cet organe parce qu’il y a eu beaucoup de personnes qui auraient fait acte de candidature. Il faut comprendre aussi que si les autorités choisissaient tel et tel unilatéralement, cela ne pourrait –il pas produire l’effet contraire ? Certains pourraient arguer que les membres auraient été triés sur le volet unilatéralement. Mais, les différentes composantes des forces vives doivent privilégier l’intérêt national et les nouvelles autorités gagneraient à détailler les critères aux fins. Par ailleurs, dans le but d’avoir un bon résultat au Conseil National de Transition, il serait bon que des personnes qui ont blanchi sous le harnais y soient aux côtés des jeunes sans oublier les personnes rompues aux techniques légistiques. En la matière, il ne faut pas choisir que des juristes. Il faut aussi désigner des économistes qui seront à même de faire des études d’impact pour savoir ce que la mise en place d’une Institution peut coûter au budget de l’État. De même pour les sociologues pour comprendre la perception des populations face aux lois.
Mosaiqueguinee.com : Le CNT doit-il être mis en place avant Janvier 2022 ?
Mohamed Camara : Non. Je ne saurai le dire en l’absence d’un chronogramme à date. Car, les mots clés d’un chronogramme sont le temps et les actions à réaliser. Donc, ce serait un peu prétentieux de ma part et même prématuré de parler d’échéance pour la mise en place de cet organe. Mais, étant rappelé que le mot transition veut dire « transitio » en latin qui signifie « passage ».
Mosaiqueguinee.com : Plus de trois mois après l’arrivée du CNRD au pouvoir, c’est silence radio sur le délai de la transition. Quelle devrait être la durée de la transition ? Que propose M. Camara ?
Mohamed Camara : Je ne peux me répondre à cette question étant donné qu’elle est renvoyée au niveau des forces vives. Seulement voilà, imaginez si les autorités disaient dès leur arrivée qu’elles étaient là pour tel intervalle de temps et que le chronogramme soit en déphasage avec les délais. Le risque d’aller de report en report pouvait naître avec son corollaire de crise de confiance. Le mutisme ne va pas durer parce que le CNT va se prononcer là-dessus. Il y a lieu de rappeler que le Conseil National de la Transition est censé être le dernier organe de la transition à être mis en place et le premier à finir son travail par rapport aux autres organes de la transition. Il est aussi important que la transition ne soit ni trop longue, ni trop courte au risque de bâcler les choses avec la précipitation sans pouvoir tirer les enseignements du passé. Quand on vote les textes de loi avec rapidité, le plus souvent il peut y avoir l’incohérence et l’impertinence. A titre d’exemples, au visa des lois 059 et 060 du 26 octobre 2016 portant respectivement code pénal et code de procédure pénale, vous y voyez mentionné, vu les dispositions de l’article 72 alinéa 4 de la Constitution de 2010 du 10 mai 2010. Or, la Constitution de 2010 est du 7 mai 2010. Elle a été adoptée le 19 avril 2010 et promulguée le 07 mai 2010 par Décret 068 signé par le Général Sékouba Konaté. S’y rajoutent, les renvois inappropriés qui ont été décelés dans la loi 060 du 26 octobre 2016 portant code de procédure pénale. Rien que ce type de constat, commande à faire le travail avec minutie.
Mosaiqueguinee.com : Les acteurs politiques dénoncent un manque de dialogue avec les maitres du pouvoir à Conakry, s’achemine-t-on vers une crise entre les autorités et la classe politique ?
Mohamed Camara : Je pense qu’il faut instaurer un dialogue entre les entités même pas seulement entre les acteurs politiques. Il est vrai qu’une transition est hautement politique. Il n’y a pas que les politiques, parce que les politiques ont un agenda politique pour parvenir au pouvoir par la voie des urnes et il ne faut pas du tout leur en vouloir. C’est ce que la loi organique 02 CTRN du 23 décembre 1991 portant charte des partis politiques leur confère. Mais, les acteurs sociaux ont droit d’exprimer les vœux pour le bien du pays avec une vision futuriste. A date, si beaucoup d’acteurs politiques font preuve de retenue face aux nouvelles autorités, c’est parce que le CNT est en passe d’être mis en place et les autorités continuent à rester encore arbitres, étant rappelé que la charte de la transition du 27 septembre 2021 ne leur permet pas d’être candidates aux élections à venir.
Entretien réalisé par Mohamed Bangoura