La rebaptisation de l’aéroport international de Conakry et le limogeage de la garde des Sceaux ont provoqué un grincement de dents chez bon nombre de guinéens ces derniers jours.
Deux (2) actes posés par le Comité National du Rassemblement et pour le Développement qui ne font pas l’unanimité.
Tierno Monénembo fait partie de ceux-là qui estiment que l’ancien président guinéen Ahmed Sékou Touré ne mérite pas un tel honneur. Dans un entretien qu’il a accordé à notre rédaction à ce propos, le célèbre écrivain guinéen a fustigé le contenu du courrier-réponse du colonel Amara Camara à l’AVCB et s’est exprimé sur le limogeage de Dame Yansané Fatoumata Yarie Soumah à la tête du département de la justice.
Lisez plutôt !
Mosaiqueguinee.com: La rebaptisation de l’aéroport a été très mal perçue par les victimes du Camp Boiro. Malgré les critiques à ce propos, le Colonel Amara dans son courrier réponse à l’AVCB a affirmé qu’il s’agit d’une décision souveraine et assumée. Comment réagissez vous à cette déclaration ?
Tierno Monénembo : C’est une réponse de militaire, brève, sèche, sans compassion mais aussi sans aucune courtoisie. L’AVBC a manifestement frappé à la mauvaise porte. Maintenant que le brouillard se dissipe et que notre enthousiasme du 05 septembre, s’est émoussé, le Colonel Doumbouya et son CNRD m’ont l’air bien plus proches des bourreaux que des victimes. Mais dans ce message lapidaire du genre « circulez, il n’y a rien à voir », il y a un mot qui me fait sursauter, c’est le mot souveraineté. La souveraineté est un privilège exclusif revenant au seul et unique propriétaire de ce pays, le peuple de Guinée qui peut la déléguer par voie électorale régulière ou d’une autre manière dans des conditions exceptionnelles (ce qui est le cas aujourd’hui). Le Colonel n’a pas été élu, son Conseil National de Transition n’a toujours pas été institué. Formellement, il ne dispose d’aucune parcelle de souveraineté. Le mot souveraineté ici est un abus de langage pour ne pas dire un abus de pouvoir. L’AVCB doit compter sur la mobilisation des forces démocratiques et sur la mise en alerte de l’opinion publique guinéenne et internationale.
Mosaiqueguinee.com : Voulez vous dire que le CNRD n’a pas la légitimité de poser un tel acte M. Tierno?
Tierno Monénembo : En principe le rôle d’un un organe de Transition est limité. Un organe de transition n’a pas le droit de baptiser ou de débaptiser un édifice public. Il n’a pas non plus le droit de déclarer la guerre, de signer des contrats miniers, de nouer ou de dénouer des relations diplomatiques. Mais nous sommes en Guinée : ce qui est incongru ailleurs est parfaitement admis ici. Souvenez-vous lors de la dernière Transition, le Premier Ministre Jean-Marie Doré s’est permis d’octroyer des concessions minières à des compagnies étrangères sans jamais hérisser les poils du fantomatique CNT de l’époque.
Mosaiqueguinee.com : Le président de la transition promet que la justice sera la boussole durant cette période, mais il se trouve que la cheffe de ce département a été limogée sans aucune explication alors que sa nomination avait suscité de l’espoir chez les guinéens. Est-ce qu’il ne s’agit pas d’une décision hâtive ?
Tierno Monénembo : Si la justice était sa boussole, il aurait rendu hommage aux victimes du Camp Boiro avant d’offrir illégalement un aéroport à leur bourreau. Je vois un message caché dans ce scandaleux décret donnant à l’aéroport de Conakry le nom du sanguinaire Sékou Touré: « Abrutis de Guinéens, vous croyez encore à cette connerie de justice et à cette plaisanterie de démocratie ? Eh bien, vous ne perdez rien à attendre. Vous allez voir ce que vous allez voir ! » Je salue au passage le courage et la dignité de Madame Fatou Yarie Soumah. Sa démission est un exemple à suivre. Quand on est patriote comme elle est, on ne travaille pas dans n’importe quelles conditions. Quand on est compétente comme elle est, on ne compose pas avec le rite de la médiocratie caractéristique du misérable État guinéen. Ceci dit, voici la question que tous les Guinéens devraient se poser: un président qui convoque un personnel sans passer ni par le Premier Ministre ni par le ministre de tutelle mérite-t-il son titre ?
Mosaiqueguinee.com : Le remplacement de cette dame à la tête du ministère de la justice pourrait-il affecter le fonctionnement de l’appareil judiciaire selon vous ?
Tierno Monénembo : La démission de la ministre a en tant que telle un impact négatif; Cela veut dire que c’est la cacophonie qui nous gouverne; De la base au sommet de l’État, c’est l’improvisation, le laisser-aller et la désinvolture. Bref, c’est l’État guinéen tel qu’on l’a toujours connu. Mais figurez-vous que j’ai eu à discuter quelques minutes avec le nouveau Garde des Sceaux qui était alors Secrétaire Général de son ministère. Il m’a l’air de maîtriser son sujet. Je crois qu’il fera de bonnes choses si jamais on le laisse travailler.
Entretien réalisé par Hadja Kadé Barry