En avril 2021 plusieurs grands clubs européens ont annoncé la création d’une super ligue fermée sur le modèle de la Major League Soccer (MLS) américaine. C’est un concept de compétition sportive fermée ou semi-fermée entre certains des clubs de football les plus puissants du continent européen. Elle fait l’objet de discussions depuis les années 1990. L’objectif des clubs participants n’est autre qu’économique car selon le New York Times, une telle ligue rapporte à chaque équipe plus de 400 millions de dollars en participant à la compétition.
L’UEFA qui n’était pas associée au projet et qui le voyait comme une menace à la vieille ligue des champions, a tout fait pour que la super ligue européenne ne voit pas le jour. La FIFA n’est pas en reste et elle l’avait fait savoir via un communiqué, dans lequel elle dit que « la FIFA ne peut que désapprouver une Ligue européenne fermée et dissidente hors des structures du football ». Le communiqué rajoute : « La FIFA veut clarifier qu’elle se positionne fermement en faveur de la solidarité dans le football et d’un modèle de redistribution équitable », « La FIFA se positionne toujours en faveur de l’unité dans le football mondial et appelle toutes les parties impliquées dans des discussions houleuses à engager un dialogue calme, constructif et équilibré pour le bien de ce jeu. »
Comme on peut le voir, la FIFA est largement opposée à la création d’une super ligue européenne. Par contre, concernant l’Afrique, le paradigme change.
NAISSANCE DE LA SUPERLIGUE AFRICAINE
La CAF a dévoilé le 10 août son projet de Super Ligue qui sera opérationnel partir de la saison 2023-2024, c’est une nouvelle compétition qui se nomme la Super Ligue de la CAF. A Arusha en Tanzanie, en marge de son Assemblée générale, l’instance africaine a dévoilé avec la bénédiction de la FIFA le tournoi qui devrait rapporter 200 millions de dollars au continent. 24 clubs de 16 pays le disputeront et obtiendront 100 millions de dollars au total. Soit 3,5 millions de dollars par club pour débuter, tandis que le vainqueur sera récompensé à hauteur de 11,6 millions de dollars.
Parmi les objectifs de la Super Ligue on trouve notamment la nécessité de trouver davantage de moyens pour les associations membres. Ainsi, chaque Fédération obtiendra 1 million de dollars annuel pour réaliser des projets de développements. Il y a aussi 50 millions de dollars à partager pour augmenter les primes des autres compétitions de la CAF, Ligue des Champions et Coupe de la Confédération en tête.
« La Super Ligue africaine est l’un des développements les plus excitants de l’histoire du football africain et l’objectif en termes de ce que nous essayons de réaliser est très clair, le premier est de s’assurer que le football de clubs africains est de classe mondiale et rivalise avec le meilleur au monde », a déclaré Patrice MOTSEPE, le président de la CAF.
L’instance a confirmé que la compétition opposera les 24 meilleurs clubs du continent, issus de 16 pays différents. Ces écuries seront d’abord réparties durant une première phase en trois groupes géographiques composés chacun de 8 équipes (Afrique du Nord, Afrique Centrale et de l’Ouest, et Afrique du Sud et de l’Est). Durant celle-ci, les 8 clubs de chaque groupe seront opposés en matchs aller-retour et chaque formation disputera donc 14 matchs durant cette première phase.
Au terme de ce cette phase de groupes, les 5 premiers de chaque poule et le meilleur 6e tous groupes confondus prendront part à la phase à élimination directe à partir des 8es de finale qui marqueront la fin de la répartition géographique. Au bout du parcours, fin mai, se tiendra la grande finale, baptisée par la CAF dans son teaser le «Super Bowl africain».
Au total, 197 matchs seront au programme entre août et mai chaque année et le prize money de la compétition (argent distribué aux participants) s’élèvera à 100 millions de dollars. Grâce aux revenus générés et avec le soutien de la FIFA, la CAF prévoit de verser annuellement un million de dollars à chacune de ses 54 associations membres mais aussi d’alimenter son fonds de développement à hauteur de 50 millions de dollars.
Sur le papier, le projet a fière allure et les fédérations africaines toujours promptes à dire amen à chaque fois qu’on parle de gros sous ne verront que du positif dans le projet.
Le soutien d’INFANTINO
Au-delà des montants annoncés et de tout le folklore qu’il y a eu à Arusha ce qui étonne c’est le soutien officiel de Gianni INFANTINO, Président de la FIFA à la création de cette super ligue africaine, alors qu’il est officiellement opposé à la Super Ligue européenne. « Ce projet est historique. C’est la première Confédération qui adopte ce projet et s’y intéresse. Le rêve deviendra réalité en août 2023 et ce projet profitera au continent », a-t-il indiqué. Un spot vidéo dévoilé en marge de la cérémonie donne quelques détails sur le déroulement de la compétition.
Aussi, la question du financement de ladite ligue reste un mystère car les finances sont au plus bas. « La situation financière de la CAF reste trop fragile d’où la nécessité d’implémenter des réformes. Il faut apporter des modifications courageuses nécessaires au niveau des compétitions. Et avec l’encadrement de la FIFA, nous espérons qu’on apportera plus de flux, plus d’argent pour la CAF, lui permettra de jouer son rôle qui est le développement du football au-delà de l’organisation des compétitions », a déclaré Fouzi LEKJAA, président de la FRMF (Fédération Royale marocaine de football) et de la Commission des Finances de la CAF.
Colonisation, Laboratoire et méfiance
Il faut constater que cette création n’est pas du gout de tout le monde. « Il n’y a aucune preuve qu’une Super Ligue africaine bénéficiera au football en Afrique à moins qu’elle ne profite à un très petit nombre et tout en diluant la valeur des ligues professionnelles considérées comme bénéfiques », a déclaré dans un communiqué, le syndicat des footballeurs professionnels d’Afrique du Sud (SAFPU).
On peut en déduire au demeurant que les pratiques de M. INFANTINO vis-à-vis de la CAF sont considérées par beaucoup d’observateurs comme une sorte de colonisation. Le congrès électif ayant porté M. MOTSEPE à la tête de l’instance dirigeante de la confédération africaine de football, en est une illustration. D’ailleurs, M. MOTSEPE n’a pas manqué de promettre à M. INFANTINO que les 54 fédérations de la CAF voteront pour ce dernier lors du prochain congrès électif de la FIFA.
D’un autre côté, il est difficilement compréhensible que le même INFANTINO qui a refusé de façon catégorique la superligue européenne soit le parrain de la superligue africaine. Il n’est d’ailleurs pas à son premier essai car c’est lui qui a œuvré pour déplacer les dates de la CAN du mois de janvier au mois de juin, sans tenir compte des aléas climatique du continent. Il avait en outre, véhiculé une proposition de passer de 2 à 4 ans pour l’organisation de la coupe d’Afrique des nations, pour ne citer que ceux-ci.
Si dans l’ensemble on peut dire que les prévisions prêtent à l’optimisme, nombreuses sont les zones d’ombre que renferme cette super ligue. On peut craindre notamment le délaissement des autres compétitions de clubs africains et notamment la ligue des champions. Il y a aussi les difficultés d’attirer les sponsors et la diffusion mondiale des matchs. Un financement basé sur les apports de la FIFA n’a pas de garanti solides pour une confédération comme la CAF.
En tout état de cause, l’avenir nous dira de l’évolution de cette nouvelle compétition.
Thierno Hamidou BAH
Juriste Consultant