‘’La rapidité avec laquelle s’est disponibilisée la Charte de la transition du Gabon ; l’accélération de la prestation de serment du Général Brice Clotaire Oligui N’GUEMA en qualité de Président de la transition après le renversement du Président Ali Bongo Odimba le 30 août suite à sa réélection proclamée par le Centre Gabonais des Elections (CGE) qui est l’organe de gestion électorale, prouvent à suffisance qu’il s’agit tout bonnement sans risque de se tromper d’une révolution de palais et mieux, que ce putsch était savamment ourdi depuis bien longtemps’’.
Il est tout de même important de souligner qu’en date du 27 août 2023, un document référencé N°492/CGE/Cab-P/P intitulé COMPILATION DES RESULTATS DE L’ELECTION PRESIDENTIELLE DU SAMEDI 26 AOÛT 2023 AU GABON a été adressé par Michel Stéphane BONDA, président du CGE, à un cercle restreint de personnalités gabonaises dont :
- Le Président déchu Ali Bongo
- L’ex Première Dame Sylvia Bongo
- Marie Madeleine MBorantsuo, Présidente de la Cour Constitutionnelle au moment des faits
- Brice Clotaire Oligui N’GUEMA, Général en Chef de la garde républicaine au moment des faits
- Lambert Matha, Ministre de l’intérieur au moment des faits
- Bernard Gnanmankala, Directeur Général de la DGDI (Direction Générale de la Documentation et de l’Immigration).
Ce courrier avait pour seul but premièrement, de faire part aux autorités susmentionnées des vrais résultats issus des urnes avant modification et entérinassions, lesquels résultats rendaient l’opposant Albert ONDO OSSA vainqueur avec 186.654 voix soient 65,02% ; et deuxièmement, attendre de nouvelles consignes quant-à la conduite à suivre avant publication officielle de ceux-ci par voie publique.
Le coup d’état étant intervenu, le lundi 4 septembre 2023, le nouvel homme fort du Gabon a prêté serment en ces termes conformément à l’article 39 de la Charte de la transition « je jure devant Dieu et le peuple gabonais de préserver en toute fidélité le régime républicain, de respecter et de faire respecter la Charte de la Transition et la Loi, de remplir mes fonctions dans l’intérêt supérieur du peuple, de préserver les acquis démocratiques, l’indépendance de la patrie et l’intégrité du territoire national. Je m’engage solennellement et sur l’honneur de mettre tout en œuvre pour la réalisation de l’unité nationale »
Ainsi, quel regard peut-on avoir de la transition gabonaise ?
Les réponses à cette ultime interrogation procèdent d’une analyse minutieuse de la transition allant des institutions créées par la Charte de la transition (I) ainsi que des pouvoirs conférés par ladite Charte à ces institutions (II).
- LES INSTITUTIONS GABONAISES NEES DE LA TRANSITION
La Charte de la transition gabonaise publiée le 4 septembre 2023 dans le JO de la République Gabonaise sous le N°225 Bis comprend cinq (5) titres et soixante-deux (62) articles. A l’image de tous les textes de loi, elle contient un préambule qui justifie globalement et légitimise la prise de pouvoir par le CTRI (Comité pour la Transition et la Restauration des Institutions), un corpus de règles qui définit l’organisation et le fonctionnement des institutions et enfin des dispositions transitions qui mettent souvent en lumière des questions exceptionnelles. A préciser que les dispositions de cette Charte sont complétées par celles de la Constitution gabonaise du 26 mars 1991.
Parlant des institutions, il convient de distinguer les institutions normes des institutions organes.
- Quelques Institutions normes : généralement dans les régimes de transition, les réflexions s’accentuent sur les objectifs de la transition (résultats escomptés), les institutions de la transition, la durée et le respect des droits humains
Ainsi, le CTRI définit clairement dans la Charte les missions de la transition. C’est le sens de l’article 2. Il s’agit de la refondation de l’Etat en vue de bâtir des institutions fortes… ; la préservation de l’intégrité du territoire national et de la sécurité des personnes ainsi que de leurs biens ; l’engagement des réformes majeures sur les plans politique, administratif, culturel, économique, électoral ; le renforcement de l’indépendance de la justice et la lutte contre l’impunité ; la promotion et la protection des droits humains et des libertés publiques ; l’instauration d’une culture de la bonne gouvernance et la citoyenneté responsable ; l’élaboration d’une nouvelle constitution et son adoption par référendum ; l’organisation d’élections locales et nationales libres, démocratiques et transparentes.
Vingt-six sur soixante-deux (26/62) articles soient plus d’1/3 des dispositions de la Charte sont consacrés aux LIBERTES, DEVOIRS ET DROITS FONDAMENTAUX. Des droits fondamentaux sont ainsi reconnus et consacrés par la Charte et leur exercice est garanti par les citoyens dans les conditions et les formes définies par la loi. Mieux, aucune situation d’exception ne doit justifier les violations des droits humains. Tel est l’esprit de l’article 8 même si d’anciens dignitaires du camp Bongo auraient subi des traitements inhumains et dégradants à la suite du coup d’état.
Poursuivant avec les droits humains, la Charte sacralise la personne humaine ; interdit les tortures, peines ou traitements cruels, dégradants ou inhumains ; personnalise la peine ; reconnait le mariage comme l’union entre deux personnes de sexes différents; promeut la protection des gabonais établis à l’étranger ; défend la vente des terres aux non gabonais en République du Gabon.
- Les Institutions organes créées par la Charte :La Charte de la transition a créé et institué conformément à l’article 34 comme organes de la transition :
- Le Président de la Transition ;
- Le Conseil National de la Transition ;
- Le Gouvernement de la Transition ;
- Le Parlement de la Transition ;
- La Cour Constitutionnelle de la Transition
Pour comprendre les prérogatives conférées par la Charte aux organes de la transition définissant leur organisation et leur fonctionnement, nous allons traiter dans la deuxième partie de cette contribution, des pouvoirs des organes de la transition gabonaise.
- LES POUVOIRS DES ORGANES DE LA TRANSITION GABONAISE
Dans cette deuxième partie, nous tenterons de faire une distinction entre les organes traditionnels notamment l’exécutif et le législatif et les autres pouvoirs.
- Les pouvoirs exécutif et législatif dans la transition gabonaise
La Charte de la transition gabonaise crée un exécutif tricéphale (c’est-à-dire trois têtes) ; au-dessus, un hyper président (art 35 à 41 ; 43 à 44 de la Charte. Art 29 de la constitution du 26 mars 1991).
Le pouvoir législatif est quant-à lui bicaméral ; c’est-à-dire, comprend deux chambres (l’Assemblée Nationale de la transition et le Sénat de la transition). Le Parlement de la transition adopte le plan d’actions et la feuille de route de la transition présentée par le Premier Ministre. Il veille à l’exécution, au contrôle et au suivi-évaluation du plan d’actions de celle-ci.
En effet, sept (7) articles dans la Charte sont consacrés au seul Président de la transition. Au Gabon, le Général Brice Clotaire est le Chef de l’Etat, ministre de la défense et de la sécurité. La durée de la transition n’est pas expressément définie dans la Charte. Ce qui constitue un véritable handicap et laisse planer un réel doute dans la conduite de la transition notamment en ce qui concerne le retour rapide à l’ordre constitutionnel. Selon l’article 37 de la Charte, « le mandat du Président de la Transition prend fin après l’investiture du Président issu de l’élection présidentielle »
Le Président de la transition peut être assisté d’un Vice-Président de la transition. Il nomme et met fin aux fonctions de ce celui-ci. A préciser que le Vice-Président ne peut en aucun cas se porter candidat à l’élection présidentielle marquant la fin de la transition. Confère l’article 40 de la Charte.
Le chapitre 3 de la Charte crée le Gouvernement de la transition dont les membres sont nommés par le Président de la transition sous l’autorité duquel ils sont placés puisqu’ils lui rendent directement compte. Néanmoins, il existe dans la nomenclature gouvernementale un Premier Ministre qui n’est que le 1er des ministres. Son poste n’est expressément pas prévu dans la Charte mais plutôt dans la constitution du 26 mars 1991 en son article 29.
Il faut noter que les membres du Gouvernement ne peuvent eux aussi se porter candidats à l’élection présidentielle qui marquera la fin de la transition.
Parlant du Parlement de la transition, sa première chambre qu’est l’Assemblée Nationale de la transition est composée de soixante-dix (70) membres dont cinquante (50) issus des organisations politiques. Ils sont choisis par le Président de la transition sur des listes présentées par ces organisations et nommés par décret ; et vingt (20) hauts cadres de la Nation.
Le Sénat de la transition comprend cinquante (50) membres et doivent être âgés d’au moins cinquante (50) ans. Ils sont nommés par décret du Président de la transition.
A la tête de chaque chambre du Parlement, est nommée une personnalité par décret.
A l’image des autres autorités de la transition de premier plan, le Président de l’Assemblée Nationale et celui du Sénat ne peuvent faire acte de candidature à l’élection marquant la fin de la transition.
- Le Conseil National de la Transition gabonais
Contrairement à la transition guinéenne dans laquelle le CNT est l’organe législatif de la transition, au Gabon, le Conseil National de la Transition, dans la transition gabonaise est chargé d’assister le Président de la transition dans la détermination de la politique de la Nation (art 42 de la Charte).
Dans sa composition, les civils sont exclus car il est composé des membres des forces de défense et de sécurité.
Par ailleurs il est fait mention dans la Charte que le CNT exerce ses prérogatives conformément à ladite Charte et la Constitution du 26 mars 1991. Cependant, il n’existe aucun titre, aucun chapitre, encore moins aucune disposition de ladite constitution ne fait allusion à un quelconque Conseil National de Transition.
En substance, au regard de tout ce qui précède, premièrement sur la forme, il faut dire que la Charte de la transition gabonaise est truffée d’erreurs morphologiques et syntaxiques. Ce qui confirme l’empressement dans lequel elle a été rédigée et adoptée.
Deuxièmement, elle (la Charte) exprime clairement la possibilité pour le Président de la transition de se porter candidat à l’élection car, contrairement à l’interdiction formelle faite des présidents des institutions républicaines, des membres du Gouvernement, du Secrétaire Général à la Présidence de la République, du Vice-président de la transition, du président de la Cour Constitutionnelle,… aucune disposition de la Charte n’interdit au Général Brice de se porter candidat à l’élection qui marquera la fin de la transition. Car il est dit souvent droit : ‘’Il ne faut pas distinguer là où la loi n’a pas distingué’’.
Troisièmement, la Charte accorde une immunité à tous les acteurs des évènements du 29 août 2023 (art 59 de la Charte) avec à l’appui, l’adoption future d’une loi d’amnistie.
En fin, aucune durée légale de la transition n’est définie et en cas de conflit entre la Charte et la Constitution du 26 mars 1991, c’est la Charte qui s’applique.
Odilon MAOMY
Juriste