De l’échec de la CRIEF, de la déception qu’elle a provoquée, le ministre de la Justice en parle beaucoup ces derniers temps. De nombreux observateurs sont pour le moins surpris – on pourrait dire agréablement- que le Chef du Département de la Justice se livre lui-même à ces critiques vis-à-vis de cette juridiction. Des citoyens avaient déjà tiré la sonnette d’alarme au regard des tous premiers actes de poursuite posés par le parquet spécial de la CRIEF.
Des juristes, des acteurs politiques ou de la société civile voyaient en elle, à tort ou à raison, un instrument de règlement de comptes ; un outil permettant de mettre hors course des adversaires politiques.
Sur ce plan, force est de constater que les exemples de juridictions similaires dans la sous-région n’étaient pas de nature à rassurer ceux qui se montraient méfiants quant aux véritables motivations de la mise en place de la CRIEF.
La Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI) au Sénégal et la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (CRIET) au Bénin ont toujours été perçues par l’opposition politique et même par des défenseurs des droits de l’homme de ces pays comme des machines à broyer des adversaires.
Au fond, la lutte engagée contre les infractions économiques et financières était et est à saluer tellement le pays en a souffert et en souffre encore. Les organisations de la société civile en particulier ont toujours invité les différents gouvernements à prendre à bras-le-corps la question de la moralisation de la gestion publique. Sauf que les premiers signaux lancés par la CRIEF étaient loin d’être bons et encourageants.
En fin de compte, les faits semblent conforter dans leur position ceux qui mettaient en doute l’efficacité de la CRIEF.
Mais qu’est-ce qui peut expliquer » l’échec » de cette juridiction qui, quoi qu’on dise, avait suscité quelques espoirs ? Peut-on l’imputer au déficit de moyens financiers et de ressources humaines adéquats ? Faut-il y voir clairement la manifestation des insuffisances de la justice de manière générale ?
En attendant de trouver les bonnes réponses à ces questions, il faut au moins admettre que les procédures judiciaires concernant ce qu’on peut la délinquance économique et financière sont d’une certaine technicité pour ne pas dire d’une réelle complexité. Ce ne sont pas des procédures que la justice peut gérer à la va-vite.
Arrêter, juger et condamner un petit voleur de téléphone portable ou de poulets, est différent d’une procédure judiciaire concernant des bandits à col blanc. Il faut nécessairement une certaine expertise et aussi du temps pour pouvoir monter des dossiers consistants contre des personnes dont la formation et l’expérience les rendent difficiles à atteindre.
Or, on a parfois l’impression qu’en créant la CRIEF, on avait déjà en ligne de mire des hommes et femmes qu’il fallait neutraliser au plus vite. Ainsi, on aurait fait d’une pierre, deux coups, susciter une certaine adhésion au sein de la population qui en a marre de vivre dans la précarité et se débarrasser d’éventuels rivaux politiques. On avait sans doute oublié que le temps de la politique n’est pas forcément le temps de la justice. Des personnes ont été arrêtées et jetées en prison sans qu’on n’ait pu réunir suffisamment d’éléments contre elles.
Voilà ce qui pourrait expliquer partiellement « l’échec » de la CRIEF et voilà pourquoi, dans ce contexte, les changements de magistrats en son sein risquent de n’apporter aucun résultat.
On peut dire que le ver était déjà dans le fruit.
Pour obtenir des résultats dans la répression de la délinquance économique et financière, il faut certes renforcer les capacités des magistrats qui sont commis à cette tâche. Ce qui n’est pas la chose la plus compliquée à faire. En effet, à travers la coopération internationale, il est aisé d’obtenir des succès dans ce domaine. Mais le plus important, c’est de voir les choses à long terme. Une fois qu’on a obtenu un corps très bien formé d’enquêteurs et de magistrats, il faudra laisser à ces derniers le temps nécessaire pour réunir les éléments d’information qui permettent de constituer des dossiers « solides » contre des personnes sur lesquelles pèsent des soupçons de corruption, détournements de biens publics, d’abus de biens sociaux, d’enrichissement illicite, de blanchiment de capitaux etc.
On ne devrait pas oublier que « bien faire » et » vite faire » ne vont pas toujours de pair.
Il est clair qu’en l’espace d’une ou deux années, la CRIEF ne pouvait atteindre les résultats escomptés là où il fallait des enquêtes minutieuses et parfois longues. Chercher à tout prix à inscrire la lutte contre les infractions économiques et financières dans un agenda politique est peut-être faisable. Mais cela suppose que certains préalables soient réunis.
Tel n’est malheureusement pas le cas pour le moment. Et à cette allure, beaucoup de personnes poursuivies pour s’en sortir si les procédures sont réglées uniquement sur la base du droit.
Me Mohamed Traoré
Avocat
Ancien Bâtonnier