Aux premières heures du 5 septembre 2021, les Guinéens se sont réveillés pour découvrir un bouleversement majeur que l’écrasante majorité d’entre eux avaient appelé de leurs vœux, mais que presque personne n’avait cru imaginable, à plus forte raison possible : le renversement du président Alpha Condé.
Ainsi, presqu’une année après l’élection présidentielle du 18 octobre 2020, qui avait vu le président Condé s’octroyer un troisième mandat que nombre de nos compatriotes ont promptement dénoncé comme étant un coup de force contre la République, un acte sacrificatoire de l’embryonnaire démocratie guinéenne sur l’autel de l’autoritarisme, le putsch du Général Mamadi Doumbouya n’était pas simplement souhaitable ; il était indispensable pour restaurer la dignité des institutions.
De fait, ce coup de force apparaissait comme la seule issue possible, la seule condition pour pouvoir enfin amorcer un retour à la légitimité démocratique après une décennie de jeu de cache-cache entre le pouvoir et la classe politique, ainsi que de tergiversations et de combines politiciennes au sommet de l’Etat. Ironie du sort, donc, la chute de notre premier dirigeant démocratiquement élu a été célébrée comme une libération des forces obscures du totalitarisme et de la personnalisation de la politique.
Aujourd’hui, pourtant, tout porte à croire que les démons de notre passé, n’ayant pas été complètement bannis, reviennent au galop ; que notre pays se dirige vers une autre transition ratée si les principaux concernés – le CNRD, le prochain gouvernement de transition et la classe politique – ne prennent pas le recul nécessaire pour s’accorder sur les priorités de la transition et sur le chemin à suivre pour y arriver.
Ces derniers jours, beaucoup de nos compatriotes se sont réjouis de la dissolution du gouvernement Goumou, estimant qu’il s’agissait là d’un premier pas dans la bonne direction pour ce qui semblait être une transition défaillante. L’argument, on le sait pour l’avoir lu ou entendu ici ou là depuis la nomination du doyen Bah Oury, est que le choix d’un Premier ministre ayant un certain poids politique et une certaine réputation suppose que le CNRD semble désormais prêt à s’engager sur la nécessaire voie d’un véritable dialogue politique.
Mais alors même que certains s’empressent à voir dans la nomination de M. Bah l’ultime expression du désir qu’affiche désormais l’Exécutif de corriger certaines de ses erreurs, l’essentiel pour nous va résider dans la disposition du CNRD à faire des compromis nécessaires dans les semaines et mois à venir, c’est-à-dire à faire montre de bonne volonté à l’égard des acteurs incontournables de la vie politique nationale.
Quoi que l’on pense de certains de nos principaux leaders politiques, le fait est qu’il ne peut y avoir de dialogue politique crédible en Guinée sans eux. On attend donc de Bah Oury de poser des actes forts à la hauteur de la rupture politique actuelle en vue de réunir autour de la même table celles et ceux qui ne se parlent plus. Cela permettra d’éviter l’implosion tant souhaitée par les marchands de l’affrontement. Autrement dit, la réussite de notre nouveau Premier ministre dépendra en grande partie de la volonté du CNRD de faire des compromis avec la classe politique et la société civile.
Ainsi, notre pays a plus que jamais besoin d’un compromis salvateur. Comme si souvent, il sera question pour le prochain gouvernement et la classe politique de mettre la survie de la Guinée au-dessus de leurs querelles d’égos et de leurs divergences de visions pour la République.
Au nouveau Premier ministre et au président de la transition : Dans un contexte sociopolitique comme le nôtre, gouverner ne devrait pas se limiter uniquement à imposer votre vision et votre agenda en usant de votre droit au “monopole de la violence légitime.”
La transition étant à la croisée des chemins, il vous incombe de vous rappeler que souvent, presque toujours, gouverner, c’est aussi faire preuve d’humilité et de disponibilité à faire le pas crucial vers l’autre – pour l’écouter et le rassurer. Cette disposition à l’écoute de l’autre est la pierre angulaire d’une gouvernance éclairée, où les décisions ne s’imposent pas, mais se discutent et s’affermissent de l’émanation de l’intelligence collégiale.
Il est des moments où la force d’un dirigeant ne réside pas dans l’exercice de l’autorité ou dans l’arrogance du pouvoir, mais plutôt dans le pouvoir de l’humilité, c’est-à-dire dans la reconnaissance de la nécessité de placer l’épanouissement de la nation au-dessus de tout. La Guinée traverse aujourd’hui un tel moment, et il revient donc au Général Doumbouya et à son gouvernement de faire preuve d’écoute et d’humilité afin de ressusciter le dialogue politique, le véritable.
Ne vous trompez pas sur votre rôle, sur la mission républicaine qui vous incombe. Aujourd’hui, face à vous, il n’y a pas d’opposition et vous ne devez pas en créer. Il y a des citoyens et des citoyennes qui désirent, dans la diversité de leurs visions, inventer quelque chose de différent et de salvateur. Vous devez les accompagner, c’est un devoir pour la République. Le destin vous a choisi comme arbitre pour ouvrir un dialogue entre tous les acteurs politiques de la nation. Il vous faut être à la hauteur de la tâche pour l’histoire, et pour l’avenir qui est déjà là.
À la classe politique : L’heure est à la prise de conscience qu’on ne peut pas continuer à déployer les mêmes tactiques de défiance, à verser dans la radicalité du “moi ou rien”, ou encore “mon leader, ou rien”, et espérer que notre pays s’en sorte, qu’il acquiert une colonne vertébrale démocratique. S’il est vrai qu’aucun Guinéen digne de ce nom n’a intérêt à ce que cette autre transition échoue, il est encore plus vrai que la classe politique sera la grande perdante d’un éventuel échec du CNRD.
Car pour que l’un d’entre vous réalise son rêve d’accéder enfin à la magistrature suprême de notre pays, encore faut-il qu’on aille aux élections. Mais, justement, comment aller aux urnes si, comme du temps du régime déchu — et il faut oser cette critique —, vous vous complaisez encore aujourd’hui dans la suspicion radicale et le boycott systématique ?
Il faut donc faire le deuil de la défiance béate pour entrer de plain-pied dans la critique constructive et citoyenne, celle-là même qui consiste à faire de la politique dans le sens noble de ce terme. Car, au fond, être acteur politique, ce n’est pas verser dans une certaine gymnastique de rejet et de boycott de tout ce qu’on n’aime pas.
Mais c’est surtout s’atteler à faire l’exercice difficile, mais nécessaire de prouver que ce que l’on préfère est mieux que ce que l’on n’aime pas ; c’est formuler une vision et une alternative claires pour remplacer celles auxquelles on s’oppose ; c’est accepter qu’il nous arrive souvent d’avoir tort même quand on croit avoir raison. Empêchez donc ce naufrage annoncé du navire Guinée, chers politiciens : revenez à la table de négociation.
Et quant à nous autres, société civile et citoyens ordinaires concernés par l’issue de la pénible marche de notre pays vers des horizons brumeux, il faut faire nôtre la foi patriotique de nos pères fondateurs. Autrement dit, une grande partie de notre tâche consistera à toujours garder à l’esprit que la Guinée est bien plus que notre patrimoine commun ; c’est le lieu d’expression de la belle diversité qui fonde notre vivre ensemble ; c’est le réceptacle de nos douleurs communes, mais surtout de nos bonheurs partagés.
Nous avons voulu en faire, au lendemain de notre indépendance, une République pour garantir à chaque citoyenne et citoyen un travail digne et une justice égalitaire dans la solidarité retrouvée.
Nous savions, dès l’instant où nous avons proclamé ces valeurs, que ces principes n’étaient pas un acquis, mais qu’il en fallait pour rappeler à chaque génération, qu’en dépit de nos différences identitaires, de nos contrastes idéologiques, de nos divergences religieuses, de grands principes qui tirent leur origine dans chacune de nos cultures et traditions nous liaient pour l’éternité.
En dépit de leurs échecs et égarements, nos pères fondateurs ont sanctuarisé ces idées, peut-être pour nous rappeler, qu’au bout du compte, ce qui importe, c’est notre détermination à rendre réelle cette utopie primordiale de faire nation.
Les moments d’errements et de grande tragédie comme les périodes de jubilation et de rire collectif ne doivent, en aucune façon, nous faire perdre de vue la mission qui est la nôtre, celle précisément que le destin nous a assignée : faire de la Guinée un havre de paix pour tous les Guinéens.
C’est vrai que notre histoire collective n’a pas été rose, comme c’est le cas pour n’importe quel peuple. Notre trajectoire politique, notre odyssée collective, a bien souvent été, il faut avoir le courage de le reconnaître, objet de drames et de grandes tempêtes.
C’est aussi vrai que nous nous sommes égarés de nombreuses fois et avons piétiné au sol des principes que nous avons acquis au prix de la vie de bien de nos frères et sœurs.
Et à chaque fois que nous avons eu l’occasion de réparer nos torts, nous avons causé d’autres forfaits encore plus grands. Tout ceci explique, à n’en point douter, la complexité de tenir nos promesses de départ, de faire peuple et surtout nation pour nous et pour les générations futures.
Aujourd’hui, plus que jamais, le vivre ensemble est écartelé, conséquence de gouvernances successives injustes. Le sentiment d’appartenance à la Guinée n’a jamais été aussi faible.
Une crise est donc là, visible et têtue. Elle trouve racine dans nos démissions collectives et dans nos indifférences mortifères. Ce n’est donc pas le moment de tourner le dos à notre joyau commun.
La République se construit par le courage des citoyens et la responsabilité des gouvernants. Chacun doit jouer son rôle pour garantir l’équilibre démocratique. Des deux côtés, la tentation de la dérive est forte et inévitable. Les citoyens, en dépit de leur diversité d’opinions, veulent imposer au pouvoir une conduite, à tous les coups, non homogène. Les gouvernants, convaincus de la sincérité de leur engagement, tombent bien souvent dans l’ivresse totalitaire.
Dans ces circonstances, seul le compromis peut restaurer l’ordre républicain.
La transition doit sortir de sa surdité et les citoyens de la défiance. Une crise politique — si elle perdure — crée la fracture et amplifie le malentendu. C’est la République, au bout du compte, qui perdra l’occasion de se réparer.
Cette transition doit être l’occasion rêvée de réconcilier nos mémoires, d’harmoniser nos belles visions.
Il n’y a pas d’opposition aujourd’hui, ni de mouvance. Il y a seulement des Guinéens qui veulent, par des chemins différents, inventer une nouvelle voie pour le bonheur de cette Guinée que nous aimons tant. L’heure n’est donc pas à la chamaillerie. Il faut arrêter nos oppositions stériles et faire la paix pour construire notre paradis.
Signataires :
1. Amadou Oury BAH, Premier ministre guinéen. À noter que l’actuel Premier ministre de la transition a signé, avant qu’il ne soit nommé à la primature, la version initiale de ce manifeste qui n’incluait pas l’interpellation faite à son encontre.
2. Abdourahmane BARRY, Spécialiste en Développement communautaire (Organisation internationale)
3. Amadou Sadjo BARRY, Philosophe, universitaire et essayiste
4. Jean-Marc TELLIANO, Homme politique
5. Fatoumata Kouyaté, Artiste et auteure (Lettres vagabondes)
6. Abdoulaye Oumou SOW, Responsable de communication du FNDC
7. Al SOUARE, Journaliste chez Cis Médias
8. Aminata Paoula BARRY, Journaliste à Africa 24
9. Association ABLOGUI
10. Mohamed Damaro CAMARA, Journaliste à Espace TV
11. Aboubacar Sidiki KABA, Doctorant en gestion des ressources humaines
12. Ibrahim Kalil DIALLO, Journaliste FIM FM et secrétaire général adjoint du Syndicat professionnel de la presse en Guinée (SPPG)
13. Almamy Samory TRAORÉ, Avocat et enseignant dans les universités de Guinée
14. Ali CAMARA, Juriste et analyste politique
15. Intelligentsia 3.0, Cercle de réflexion
16. Alkaly Daouda DAFFE, Journaliste Fim Fm
17. Abdourahmane DIALLO, Journaliste chez Hadafo Médias
18. Alpha Ousmane BAH, Banquier d’affaires
19. Sekou DIOMANDE, Communicant et ex-Responsable de la communication digitale du CNT version Mamadi Doumbouya
20. Dian BAH, consultant compliance chez MAZARS France
21. Alimou SINTA, Écrivain et chargé de cours dans les universités de Guinée
22. Alpha SECK, Économiste et écrivain
23. Alpha Amadou DIALLO, consultant politiques publiques et Affaires publiques
24. Ahmed Tidiane SIDIBE, Responsable financier (Cabinet d’études)
25. Alpha Abdourahmane Diogo DIALLO, consultant Organisation internationale
26. Alpha Djoudjouba DIALLO, Auteur
27. Dinimba BEAVOGUI, Médecin
28. Docteur Abdoulaye BARRY, Médecin
29. Mamoudou DIAKITE, Juriste
30. Maxim HABA, Doctorant et chercheur en droit public
31. Oumoul Khairy DIALLO, Expatriée consultante en développement communautaire
32. Michel Mathieu TOLNO, Consultant et analyste politique
33. Daouda Loua KANTÉ, Économiste et Business Manager
34. Ismaël TRAORÉ, Juriste
35. Kadiatou DOUMBOUYA, Juriste
36. Hafsatou Abass BAH, Spécialisée en journalisme et en Communication
37. Ibrahima DIALLO, Consultant sur les grands enjeux numériques
39. Mamady DOUMBIA, Linguiste
40. Thierno DIALLO, Rédacteur en chef chez Ledjely.com
41. Saikou BAH, Rédacteur en chef à FIM FM
42. 34. Mamadou Saïdou BARRY, Journaliste et communicant
43. Alpha Saliou DIAKITE, Public Contract Manager et cofondateur du magazine Les Concernés
44. Tamba François KOUNDOUNO, cofondateur et éditeur en chef du magazine Les Concernés
44. Mamadou Kossa CAMARA, Responsable du service communication de la ville de Lectoure et cofondateur du magazine Les Concernés
45. Mory Saifoulaye DIABATE, Data analyste et cofondateur du magazine Les Concernés
46. Perspective Guinée, Cercle de réflexion