La condamnation de Dr Mohamed Diané, ancien ministre de la défense sous la présidence Alpha Condé ne passe pas chez ses avocats. Dans un entretien qu’il a accordé à Mosaiqueguinee.com, Me Almamy Samory Traoré n’est pas passé du dos de la cuillère pour dénoncer ce qu’il qualifie de décision injuste et inéquitable. Me Traoré qui annonce un appel, rappelle qu’il n’est pas non plus surpris d’une décision jugée scandaleuse. Il répond aux questions de Mohamed Bangoura.
Interview !
Mosaiqueguinee.com : Bonjour Me Almamy Samory Traoré ? Votre client Dr Mohamed Diané, l’ancien ministre de la défense sous Alpha Condé a été condamné pour détournement de deniers publics à 5 ans de prison et à une amende de 5 milliards de francs guinéens et à dédommager l’Etat guinéen à hauteur de 500 milliards de francs guinéens. Quelle est votre réaction ?
Me Almamy Samory Traoré : Écoutez, d’abord, moi je qualifie cette décision comme la plus injuste et la plus inéquitable que la justice guinéenne n’ait jamais rendue de son histoire pour plusieurs raisons. La première raison, c’est que docteur Diané, ses droits les plus élémentaires ont été violés depuis le début de ce procès. Notamment par le refus par l’État d’exécuter une décision de justice rendue par la cour de justice de la CEDEAO depuis le 16 octobre 2023. Et docteur Diané également n’a pas bénéficié du droit à l’assistance d’un avocat. Il n’a pas bénéficié de son droit à un procès juste et équitable. Deuxième raison, il n’y a pas eu de débat contradictoire. Les pièces qui ont été versées au dossier de la procédure n’ont jamais été contradictoires. Aucun témoin n’a été convoqué. Et ce qui est hallucinant, c’est que du début du procès, au jour du prononcé du jugement, si docteur Diané apprend qu’il a détourné un montant de 500 milliards de francs guinéens, à la limite en fait, pour nous c’est grossier en fait. C’est vraiment grossier. À un moment donné, on a même l’impression que la notion même de détournement de deniers publics n’a pas été bien compris. On dit que docteur Diané a géré le budget de ses ministères de 2011 jusqu’en 2020 et qu’il doit justifier la différence entre le crédit alloué et les dépenses effectuées. C’est ce qui est encore scandaleux. Un budget, c’est une prévision sur un exercice bien déterminé. Il n’est pas dit par exemple qu’un budget qui a été alloué à un ministère, que ce budget est complètement décaissé. On peut parler de détournement si le montant décaissé, par exemple, ne correspond pas aux dépenses effectivement exécutées. Mais il n’y a même pas de rapport, ne serait-ce que provisoire, qui dit que docteur Diané aurait décaissé tel montant et que tel montant est sorti et que ce montant n’a pas été exécuté et qu’il ne s’est pas retourné au trésor public. On aurait compris ça au moins dans la décision du juge. Mais si le juge se contente simplement de dire que tel crédit a été alloué et que la différence entre le crédit alloué et les dépenses effectuées est que le docteur n’a pas justifié cela et que le Dr Diané aurait détourné plus de 500 milliards de frais guinéens à un seul individu, le comptable, le DAF du ministère n’ont pas été concernés, l’intendant n’a pas été concerné ; ces personnes-là n’ont même pas été entendues, ne serait-ce qu’à titre de témoins.
Dans la décision, on a l’impression que le juge du siège a systématiquement repris et accepté toutes les demandes du parquet ?
Et c’est ce qui est encore plus scandaleux, c’est que le jugement reconduit tout ce que le parquet a demandé et tout ce que l’agent judiciaire de l’État a demandé. Même une virgule n’a pas été changé. Quand vous regardez très bien la lecture du jugement, le juge n’a fait que reproduire tout ce qui a été dit au niveau de l’instruction. Je vous donne juste un exemple. Par rapport aux 28 véhicules pickups qui ont été vendus par la société Dioma Group au ministère de la Défense, le juge considère que la procédure de passation de marché public n’a pas été respectée. Mais la conclusion devait être une condamnation pour corruption. Mais puisque le juge d’instruction n’a pas retenu, par exemple, le motif de corruption contre Dr Diané, parce que le juge d’instruction a considéré que ce marché a été fait en toute légalité. Pour ne pas le condamner encore pour la corruption, il a considéré que le non-respect de la procédure de passation de marché public est un détournement de deniers publics, ce qui est inédit, parce que la loi ne dit pas ça. Le détournement de deniers publics, c’est l’utilisation des fonds ou des biens de l’État à des fins personnelles. C’est ce qui n’a pas été démontré. C’est vraiment scandaleux. Nous, on n’a pas compris cela.
Alors que comptez-vous faire ?
Nous allons relever appel contre la décision et nous allons discuter de cette question devant le juge d’appel. On connaissait déjà que le docteur Diané ne va jamais bénéficier d’un processus équitable. C’est pour ça que nous ne nous sommes pas associés à cette parodie de justice qu’on vient de suivre.
La CRIEF a également décidé la saisie de tous les biens de Dr Diané y compris ses biens immobiliers ?
Pour ce qui est des biens, la justice n’a pas fait un exercice. Parce que même si vous avez une solution de clôture, qu’est-ce que vous devez faire ? Vous devez au moins, à la limite, vérifier les éléments qui ont été mis à votre disposition par l’autre partie. Quand, par exemple, vous prenez un immeuble, on vous dit prête-nom, on a cité des noms, on a cité un certain Mamadou Aliou, on a cité un certain Mamadou Diallo, qui seraient les prête-noms de Dr Diané. Le minimum pour la justice, c’est de pouvoir identifier ces personnes-là, à qui ou au nom de desquelles personnes les biens de Dr Dianné auraient été attribués. Ces personnes-là auraient pu être convoquées par la justice, les confronter avec ces éléments-là parce que Dr Diané a toujours dit, devant le juge d’instruction, les noms que vous citez, je ne les connais pas, ces maisons-là ne m’appartiennent pas. Donc, les juges auraient pu faire comparaître ces personnes-là devant la justice, les interroger sur est-ce que ces biens les appartiennent ou pas, est-ce qu’ils sont des prête-noms de Dr Diané ou pas. Ce minimum de travail préliminaire n’a pas été fait ni par le magistrat d’instruction ni par les juges du jugement. On se demande sur la base de quoi les juges ont pris cette décision. Mais nous sommes confiants, on savait que ça allait aboutir à ça, et voilà, nous y sommes.
Le juge a ordonné l’exécution de cette décision. Que compte faire la défense ?
Le juge, dans sa décision a ordonné l’exécution provisoire de la décision, en ce qui concerne les dommages et intérêts accordés à l’État, et bien entendu, nous allons non seulement relever appel contre la décision, parce que nous avons un délai de 15 jours pour relever appel, et on ne va pas développer le moyen de l’appel devant la formation d’appel de la CRIEF. On va saisir le juge compétent, le président de la CRIEF, d’une demande d’arrêt de l’exécution provisoire, de la décision, et puisque l’appel est suspensif, les saisies qui ont été opérées sur les biens de Dr Diané ne seront pas exécutées, donc ils demeurent, effectivement, propriétaires de ces biens, et à partir du moment où nous allons faire appel, et je rappelle que Dr Diané à partir du moment où il fera appel, il est toujours présumé innocent. Même après une condamnation, en première instance, vous êtes présumé innocent, (9:47) parce que l’appel a un effet suspensif en matière pénale.
Docteur Diané dispose-t-il des bien immobiliers ou pas ?
Docteur Diané a quelques biens immobiliers. Docteur Diané a des biens qu’il a acquis avant même d’entrer en fonction au ministère de la défense, bien entendu. Mais pas les biens qui ont été cités aujourd’hui par la justice, il ne les a jamais reconnus. Il y a des biens qui ne portent même pas son nom, en termes de titre foncier.
Mais pourquoi la justice les lui a attribuées ? Comment peut-on les lui attribuer ?
C’est pourquoi j’ai dit que la justice devait faire un effort, au moins de vérifier, est-ce que ces biens-là appartiennent ou pas à Dr Diané. Les personnes qu’on a citées comme des prétendants, qu’on les fasse comparaitre devant le juge et les confondre, les interroger. Mais ça n’a pas été fait.
Merci beaucoup Me Traoré
Je vous en prie.