La première revue annuelle des entreprises publiques et mixtes, organisée par l’État guinéen, constitue un jalon important dans l’amélioration de la gouvernance des sociétés publiques en Afrique. Cette initiative ambitieuse met en lumière les défis complexes auxquels ces entreprises font face tout en ouvrant la voie à des réformes indispensables. À travers une analyse rigoureuse et des exemples concrets tirés de l’Afrique, cette démarche éclaire les solutions possibles pour transformer ces entités en moteurs de développement économique et social.
Les entreprises publiques africaines jouent un rôle stratégique dans des secteurs vitaux tels que l’énergie, les infrastructures, les mines et les télécommunications. Cependant, leur contribution au développement est souvent freinée par des problèmes structurels. En Guinée, sur 40 sociétés publiques, seulement 27 ont conformé leurs statuts à la loi N°56 sur la gouvernance financière. Ce taux de conformité de 67% reflète une faiblesse institutionnelle qui freine leur efficacité et augmente les risques budgétaires pour l’État.
L’expérience guinéenne illustre un défi commun en Afrique : la faible rentabilité des entreprises publiques. En Guinée, seulement 7 sociétés ont versé des dividendes à l’État au cours des cinq dernières années. Cette situation n’est pas unique. Au Nigeria, par exemple, la Nigerian National Petroleum Corporation (NNPC) a longtemps été critiquée pour son opacité et ses pertes récurrentes, malgré son monopole sur un secteur aussi stratégique que le pétrole.
Pour résoudre ces lacunes, la Guinée propose des réformes ambitieuses. L’objectif de cette revue annuelle est de renforcer la gouvernance, d’instaurer une culture de reddition des comptes et d’améliorer la transparence. Des mécanismes tels que l’audit externe régulier et la publication des rapports financiers annuels peuvent inspirer d’autres pays africains. L’exemple du Botswana est édifiant : sa société publique de diamants, Debswana, est reconnue pour sa transparence et sa contribution significative au budget national.
Un levier essentiel de transformation réside dans les partenariats stratégiques. La Guinée pourrait s’inspirer de pays comme le Kenya, où la société publique de télécommunications Safaricom, en partenariat avec Vodafone, a révolutionné l’industrie grâce à des services comme M-Pesa. De tels partenariats permettent de moderniser les infrastructures, d’améliorer la qualité des services et de mobiliser des capitaux privés pour alléger la pression sur le budget de l’État.
Le renforcement des capacités humaines est également décisif. Les sociétés publiques africaines souffrent souvent d’une gestion inefficace due au manque de compétences techniques et managériales. En Guinée, il est essentiel de former les dirigeants à la gestion moderne et à l’utilisation des outils numériques. Le Rwanda a montré l’exemple en créant l’Africa Management Institute, qui forme les cadres des sociétés publiques pour en améliorer la performance.
Les indicateurs de performance doivent devenir des outils incontournables dans l’évaluation des entreprises publiques. Des KPI (Key Performance Indicators) mesurant la rentabilité, la croissance des actifs et l’impact social peuvent guider les politiques de redressement. L’Afrique du Sud, avec ses entreprises publiques comme Eskom, a démontré que l’introduction de KPI favorise une gestion plus rigoureuse et des interventions précoces en cas de défaillance.
Le cas des sociétés publiques dans l’énergie est particulièrement révélateur. En Guinée, le secteur énergétique reste en relative mutation malgré un potentiel hydroélectrique énorme. Le barrage de Souapiti, financé en partie par des partenariats public-privé, illustre l’impact positif de ces collaborations sur l’accès à l’énergie. Ce modèle pourrait être étendu à d’autres secteurs stratégiques, comme les transports et l’agro-industrie.
La digitalisation représente un autre levier de transformation. Les sociétés publiques africaines doivent adopter des technologies modernes pour améliorer leur efficacité. Le Sénégal, par exemple, a introduit des systèmes de gestion numérique pour ses entreprises de transport public, réduisant ainsi les pertes financières et améliorant les services aux usagers.
Institutionnaliser des revues annuelles comme celle initiée par la Guinée peut avoir un impact durable. Cela permettrait d’identifier les faiblesses structurelles, de proposer des solutions concrètes et de mesurer les progrès réalisés chaque année. Le Maroc a adopté une approche similaire avec son Plan Maroc Vert, qui évalue régulièrement les performances des entreprises publiques dans le secteur agricole.
La question des risques budgétaires est également cruciale. Lorsque les sociétés publiques ne sont pas rentables, elles deviennent un fardeau pour l’État. En Angola, la mauvaise gestion de la Sonangol, société publique pétrolière, a exacerbé les pressions financières sur le pays. Une réforme de la gouvernance financière des entreprises publiques guinéennes pourrait prévenir de tels scénarios.
Le changement de culture managériale est essentiel pour garantir le succès des réformes. Les dirigeants doivent être tenus responsables de leurs actions et des résultats obtenus. Le Ghana a instauré un système de contrats de performance pour les PDG des entreprises publiques, une initiative qui pourrait être reproduite en Guinée pour renforcer l’engagement envers l’excellence.
La création d’un fonds de restructuration est une autre piste prometteuse. Ce fonds pourrait soutenir les entreprises publiques en difficulté, à condition qu’elles s’engagent dans des réformes structurelles rigoureuses. Le cas du Rwanda, où un tel mécanisme a été utilisé avec succès, démontre l’efficacité de cette approche.
Enfin, il est impératif d’associer la société civile et les médias aux efforts de transparence. Cela renforcera la confiance du public et encouragera une surveillance citoyenne. En Ouganda, l’implication des organisations de la société civile dans la gestion des entreprises publiques a permis de réduire la corruption et d’améliorer la transparence.
Incontestablement, la revue annuelle des entreprises publiques en Guinée constitue une initiative exemplaire pour renforcer la gouvernance et la performance des sociétés publiques en Afrique. En s’appuyant sur des réformes ambitieuses, des partenariats stratégiques et une culture de transparence, la Guinée peut transformer ses entreprises publiques en moteurs de croissance. Ce modèle, s’il est bien exécuté, pourrait inspirer d’autres nations africaines à relever les défis similaires qu’elles rencontrent dans leurs secteurs stratégiques.
Aboubacar Makissa CAMARA