On est 10h lundi 19 août 2019, je bavarde avec deux collègues au deuxième étage de l’immeuble qui abrite mon service. Je reçois un appel et je décroche : « Allo, à qui ai-je l’honneur ? » Au bout du fil j’entends : « C’est moi Touré, Ousmane Touré ton ancien collègue, je voudrais te parler en aparté pour une affaire urgente, si tu es avec des gens tu voudras bien te retirer. ».
Je monte à mon bureau au huitième étage et je rappelle: « Allo Touré, je suis à toi, mais ton nom ne me dit pas grand-chose, qui es-tu ? », l’interlocuteur enchaîne : « Mr Guilavogui, je vois que tu ne te rappelles pas de moi, mais moi je te connais bien, j’ai travaillé quelques années dans ce même service où tu es, je te connais un homme mûr, sage et discret. Je voudrais te confier une affaire urgente qui profitera à nous deux toi et moi, ça ne prendra que quelques heures. Si tu veux bien m’écouter. »
« Eh bien, je t’écoute, mais mon nom n’est pas Guilavogui, je suis Bilivogui, Walaoulou Bilivogui, lui réponds-je », il reprend la parole : « Excuse-moi pour ton nom Mr Bilivogui, l’affaire est simple mais exige beaucoup de discrétion, ça ne peut réussir que si tu n’en parles à personne autour de toi. Je travaille maintenant dans l’entreprise GUICOPRES, mon équipe est présentement à Sambaïlo dans la préfecture de Koundara, on est en train de bitumer un tronçon routier. Je suis l’assistant du contremaître, Mr William, un expatrié canadien qui est descendu à Conakry pour acheter une quantité de goudron liquide que vend une usine chinoise ; l’usine était anciennement installée sur la corniche de Coléah, mais elle a transféré à Coyah. Est-ce que tu me suis bien Mr Bilivogui ? OK. Pendant que je résidais à Conakry, je fesais de la transaction entre l’usine et Mr William, j’achetais le fût de goudron à 1 500 000 FG et le revendais à 2 500 000 FG Mr William est logé à l’hôtel Sheraton à Kipé, il a besoin de 40 fûts et je suis dans l’impossibilité de me déplacer. Je te donne le contact du gardien du chinois, Elhadj Bah, à qui tu diras que c’est moi qui t’envoie. Tu vas lui faire un transfert de 4 000 000 de FG, après quoi il te recevra à l’usine, embarquera la marchandise dans un camion et tu iras avec le chauffeur procéder à la livraison au lieu qui te sera indiqué par Mr William. Celui-ci ne doit pas connaître le vrai prix d’achat et le chinois non plus ne doit connaître le prix auquel la marchandise a été livrée. Au bout de la transaction, toi et moi aurons un gain de 40 000 000 de FG que nous partagerons fifty-fifty Voilà donc l’affaire que je tenais à te confier, je sais que tu peux l’exécuter en toute discrétion. Te connaissant bien, je te fais plus confiance qu’à un parent ou un ami. »
Avant de reprendre la parole, je passe en revue en un éclair la misère dans laquelle je végète depuis des années, j’entretiens difficilement ma petite famille avec pour tout revenu 3 000 000 de FG dont 1 000 000 pour ma pension de retraite et 2 000 000 pour mon salaire de contractuel dans mon nouveau service. Lorsqu’il y a trois ans j’ai perdu mon fils aîné des suites d’un accident de circulation, mon service, ma communauté de ressortissants et mes voisins de quartier m’ont promptement assisté à travers des frais de condoléances. Le montant encaissé m’a permis d’acheter une parcelle de terrain entre Coyah et Manfréyah. J’ai ensuite sollicité un prêt auprès de ma banque qui me l’a refusé en raison, m’a-t-on dit, de mon âge, on ne prête pas à un client qui as plus de 65 ans. Je sollicitais 20 000 000 de FG pour débuter la construction d’un pied-à-terre pour trouver un abri à ma famille. Entre temps mon service a décidé de mettre à pied de février à juillet 2019 tout le personnel pour raison de pléthore; un test de recrutement est ensuite organisé et je suis parmi les heureux retenus. En attendant de renouer avec le salaire fin août, cet appel téléphonique sonne à mes oreilles comme une aubaine.
Je m’engage donc à collaborer, je descends au sixième étage voir le chef du SAF. Comme c’est le premier service que je lui demande, je l’amène à me prêter 4 000 000 de FG à lui rembourser le lendemain avec un intérêt de 10% proposé par moi-même. L’argent m’est versé à 17h 45 ce 19 août 2019, je me précipite dans un transfert d’argent et expédie le montant par Mobile Money à Elhadj Bah le gardien du chinois. Il me confirme l’envoi puis me passe son chef qui me tient ce propos dans un français approximatif : « J’ai reçu les 4 000 000 mais il te reste à payer 5 000 000 pour disposer de la marchandise. »
J’éclate de colère et appelle Touré qui m’exhorte : « Les chinois sont comme çà, très compliqués. Tu vas te décarcasser pour payer le reste de l’argent, dans tous les cas je m’engage à te rembourser tous les frais de la transaction. » Par ailleurs, durant tout le temps que dure la transaction, Mr William m’appelle heure par heure pour que je lui livre la marchandise à l’endroit de ma convenance. Je finis par embarquer dans l’affaire un neveu qui me prévient : « Oncle, tu es tombé dans le piège des arnaqueurs, tu n’auras ni la marchandise ni ton argent, mais comme tu insistes, je vais t’assister à deux conditions : primo je t’accompagne avec le reste de l’argent qu’on va verser main à main, secundo tu nous feras protéger par un agent des forces de sécurité. » J’accepte les conditions du neveu et lui donne rendez-vous pour le lendemain matin au Km36. A la suite de cet entretien, j’appelle le chef des agents de sécurité de mon service et je lui promets un prix de jus de 300 000 FG. Il décide de me faire accompagner par deux agents, un policier et un gendarme. Ousmane Touré de son côté tente de me convaincre d’envoyer le montant restant par transfert d’argent avant d’aller à l’usine, je crie sur lui et il arrête de m’appeler. Je ne réussis pas à fermer l’œil toute la nuit, écartelé que je suis entre obtenir un gain inespéré et une aventure qui se solde par l’échec et l’amertume. A 6h je téléphone à Elhadj Bah et à Touré, les contacts ne passent plus. Mais ne pouvant plus réculer, je parts avec les deux agents de sécurité rejoindre mon neveu, celui-ci me rassure qu’il est venu avec l’argent. Elhadj Bah m’a dit la veille, à la réception du premier montant, que son usine se trouvait précisément dans le village de Kouriah sur la nationale n° 1 après le pont KK.
Nous débarquons à Kouriah où nous tournons dans tous les sens, pas trace d’usine de goudron, on nous conseille de chercher à Coyah, là aussi pas l’ombre du chinois et de son gardien. On est 16h30 fin de mission, mon neveu me rappelle : « Oncle, je t’ai bien prévenu, tu t’es laissé gruger par des arnaqueurs. » Les deux agents réclament aussitôt leurs frais de mission, ils téléphonent à leur chef qui exige que je leur paie les 300 000 FG promis à lui-même. Je prends en aparté mon neveu et lui demande de me prêter 4 300 000 FG afin que je me libère des agents et m’acquite auprès du service, je lui rembourserais son argent au bout de cinq jours parce que je suis programmé pour une mission dans la région administrative de Mamou. Le neveu paie à contrecœur les 300 000 FG et exige d’être remboursé dans les cinq jours, je comprends qu’il ne me fait nullement confiance.
Le matin du 21 août je me rends au siège de MTN Areeba où j’expose mon problème. Les deux employés qui me reçoivent s’apitoient sur mon sort et me disent que ce genre de problème est récurrent à Conakry et dans tout le pays ; ils me conseillent de porter plainte à la DPG qui transmettra un dossier pour enquête à l’ARPT. Ils me préviennent néanmoins que dans la plupart des cas il y a peu de chance d’obtenir gain de causse parce que, disent-ils les arnaqueurs se débarrassent de leurs puces après forfaiture, impossible donc de les situer. Ils me tendent 100 000 FG et me souhaitent bonne chance. La DPG enregistre ma plainte et me soutire 250 000 FG pour frais de traitement de dossier. Dans les semaines qui suivront, j’appellerai plusieurs fois à la DPG sans suite. Pour finir je négocie le remboursement de la dette à raison de 500 000 FG par mois à prélever à la source sur mon salaire.
Moralité : 1- Une misère accentuée est la porte ouverte à des aventures regrettables. 2- Ne vous dites pas que cela n’arrive qu’aux autres, vous pouvez vous retrouver un jour ou l’autre dans le piège des arnaqueurs, des arnaqueurs qui polluent de plus en plus la vie dans la cité.
Walaoulou BILIVOGUI
Moralité: ne jamais aimé l’argent facile
L’argent gagné sans mérite!
L’argent est la récompense d’un travail!!!
Puisse Dieu nous donne un travail décent!
Malheureusement pour vous Monsieur. Vous avez été trop crédule, que Dieu punisse ces malfaiteurs, Amine !