Le projet de nouvelle constitution présenté au peuple de Guinée le 18 décembre 2019 a accouché la souris en termes de valeur ajoutée démocratique.
Le peuple ne peut approuver un texte préparé en dehors de lui, il doit être associé à la rédaction du texte. Ce texte doit être soumis aux citoyens pour discussion, des débats doivent être organisés également à travers tout le pays. Pour mettre en œuvre cet ambitieux projet, le Président de la République devrait instaurer par décret une commission nationale de réforme des institutions. Cette dernière sera chargée sur la base des termes de référence claire :
– De mener selon une méthode inclusive et participative, la concertation nationale sur la réforme des institutions ;
– Formuler toutes propositions visant à améliorer le fonctionnement de celles-ci,
– à consolider la démocratie,
– à approfondir d’Etat de droit
– et à moderniser le régime politique.
Ainsi, les profils, les bords et les critères de sélection des personnalités chargées d’animer une telle commission seront connus de tous,
Les démocraties libérales sont caractérisées par des systèmes politiques majoritaires qui renvoient à l’exercice du pouvoir par la majorité sous le contrôle de l’opposition et l’arbitrage du peuple. Ce schéma doit être équilibré et renforcé.
Une reforme de nos institutions est nécessaire, non pour tout remettre en question, mais pour assurer une meilleure continuité à notre trajectoire historique déjà tumultueuse, tout en rectifiant les dysfonctionnements qui ont pu menacer la stabilité de notre pays ou amoindrir la portée de nos efforts de développement.
Pour pallier les insuffisances relevées dans le fonctionnement des institutions autant que pour consolider les acquis positifs de la démocratie guinéenne, notre pays a besoin d’une harmonieuse conjugaison de la continuité et de l’innovation constitutionnelle.
Dans ma vision de juriste constitutionnaliste, cette entreprise nécessite, pour sa pleine réussite, que l’accent soit mis sur les fondamentaux et non sur des difficultés d’ordre conjoncturel, encore moins sur les aspérités dues aux péripéties du jeu politique et aux ambitions légitimes des uns et des autres.
Prendre du recul, associer toutes les sensibilités, les écouter, capter l’essentiel de ce qui doit rendre nos institutions plus performantes et adaptées ou inspirer nos politiques publiques, voilà une démarche qui assurément, permet de dégager les solutions les plus appropriées et plus durables pour notre cher pays.
Malgré nos multiples appels, les conseils n’ont pas été entendus ou ne sont pas tombés dans de bonnes oreilles. Nous sommes surpris, car le Président de la République dans son adresse à la nation a dit je cite : « j’ai instruit le Ministre de la Justice, Garde des sceaux, en charge des Relations avec les Institutions Républicaines, de prendre les dispositions pour élaborer un projet de constitution dans le sens des recommandations faites par l’ensemble des acteurs ayant pris part aux consultations ».
Ce passage rassurait plus d’un guinéen qu’on allait nous présenter un projet de constitution dans lequel tous les guinéens allaient se retrouver. Tel n’a pas été le cas l’armature constitutionnelle qui a été présentée n’est pas conforme au standard démocratique universel car toute réforme constitutionnelle doit porter sur deux préoccupations selon les néo-constitutionnalistes, qui sont : – d’une part, l’élargissement des libertés et l’approfondissement continu de l’Etat de droit et la démocratie – d’autre part, l’amélioration qualitative du fonctionnement des institutions.
C’est donc a raison que le Professeur Babacar KANTE voit dans les réformes constitutionnelles une fonction de régulation du système politique. Il écrit dans ce sens « les bouleversements de la constitution permettent dans certains cas, d’assurer paradoxalement la stabilité du système politique » par l’adaptation de « la constitution aux circonstances du moment où à venir » Voir Babacar KANTE « le Sénégal un exemple de continuité et d’instabilité constitutionnelle », art. cit. P.153 Par rapport à la nécessité de l’adaptation, le Président de la République a engagé le processus d’élaboration d’une nouvelle constitution en tirant les leçons de notre passé politique et institutionnel et en permettant à notre nation de faire face aux défis des temps présent et futures. La commission technique qui a travaillé sous la conduite du Ministre de la Justice a produit un avant-projet de constitution qui ne contient aucune innovation motivée par des préoccupations de rationalité démocratique apportant une valeur ajoutée certaine à la démocratie Guinéenne. En effet, cette affirmation ou jugement sera soutenue par l’analyse qui portera essentiellement sur le volet politique ou social de l’avant-projet :
- I) La constitution politique de l’avant-projet du 18 décembre 2019 n’est pas sécurisée.
La constitution politique, est celle qui définit les options fondamentales du régime politique, les attributs de l’Etat et le statut des institutions politiques, c’est celle qui est souvent susceptible d’intéresser les reformes.
Si les options fondamentales du régime et les attributs de l’Etat jouissent d’une stabilité depuis l’indépendance, le statut des institutions politiques en général et celui de l’exécutif en particulier sont, selon les contingences, très mouvants : on reconfigure à loisir l’Exécutif.
Depuis 1990, on écourte ou allonge à souhait, selon les circonstances, le mandat du Président de la République. On instaure, supprime et restaure le poste de Premier Ministre selon le climat politique avant d’être constitutionnalisé en 2010, on structure et restructure le pouvoir judiciaire et d’autres institutions à souhait, la durée du mandat du Président de la République qui fait partie de la clause d’éternité est modifié également selon les humeurs des gouvernants sans que cela ne soit justifié par des mouvements qui doivent être motivés par des préoccupations de rationalité démocratique.
La constitution politique doit être modernisée par des innovations, sécurisée par des intangibilités en vue d’éviter les crises et l’instabilité du régime politique et même du pays par ricochet.
Ainsi on s’attendait dans les grandes lignes de la réforme constitutionnelle à,
– Une République démocratique participative ;
– Des institutions d’avantage séparées et mieux équilibrées et dotées de moyens d’action réciproques.
Cela pour permettre un bon encadrement juridique de l’institution de la Présidence de la
République, tels devraient être les fondements du projet d’élaboration de la nouvelle constitution.
Les quelques observations du contenu de l’avant-projet de la nouvelle constitution qui portent sur un certain nombre de titres dudit texte confortent cette affirmation :
1) Le Titre Ier
: De la Souveraineté :
L’article 3 du titre 1er est mal rédigé et il n’affiche aucune volonté politique à définir clairement les droits de l’opposition dans le but d’équilibrer le jeu politique démocratique
2) Le Titre II : Les Droits, Libertés et Devoirs :
La charte des libertés a connu un véritable tsunami car depuis la constitution de 1990 jusqu’en
2010, la charte des libertés a été véritablement enrichie et élargie. Il est vrai que la constitution de 2010 avait élargie les libertés, cependant, il a fait montre d’une grande générosité en introduisant la notion moderne de droits fondamentaux, en érigeant les libertés politiques de la personne humaine, les droits économiques et sociaux et droits collectifs en droits fondamentaux objet du titre c’est bien cette avancée significative qui a été supprimée par le projet de constitution annoncé le 18 décembre 2019. Un recul démocratique sans pareil.
3) Le Titre III : le Pouvoir Exécutif
On dit que le pouvoir exécutif est composé du Président de la République du Premier Ministre et du Gouvernement mais on ne précise nulle part qui est le gouvernement.
– Les prérogatives du Président de la République ne sont pas rédigées avec clarté, cette lacune rend difficile l’encadrement de l’institution du Président de la République
– En plus, on a réduit les prérogatives du Premier Ministre, or sa constitutionnalisation en 2010 permettait d’atténuer les prérogatives exorbitantes du Président de la République.
– « L’article 40 » du titre 3 porte à polémique, il ouvre la brèche de rallonger ou d’écourte la durée du mandat à souhait du Président de la République. Ce mouvement de vas et vient du constituant va négativement affecter la stabilité du régime politique et le pays.
4) Le Titre IV : Du Pouvoir Législatif
Il reste et demeure le parent pauvre des reformes, ces prérogatives sont restées les mêmes.
La seule valeur ajoutée à ce niveau : c’est l’évaluation des politiques publiques du gouvernement par l’Assemblée Nationale.
– Plus grave, aucun titre n’a été consacré à l’opposition et son chef, en conséquence, si cette constitution passe, l’opposition ne pourra plus s’acquitter de ses missions constitutionnelles et législatives.
5) Le Titre V : La Cour Constitutionnelle ;
On a changé le mode de désignation des membres de la cour constitutionnelle pour consacrer la mainmise totale de l’exécutif sur la cour constitutionnelle.
Ces observations démontrent à suffisance que le régime politique qui sera institué par ce projet de constitution sera permanemment instable car il ouvre des multiples brèches de crises pour l’avenir. Or les reformes sont entreprises pour juguler l’instabilité du système politique, élargir les libertés et approfondir la démocratie et l’Etat de droit.
- II) La Constitution Sociale de l’Avant-Projet du 18
Décembre 2019 n’est pas Enrichie
En général, les révisions constitutionnelles, connues dans notre histoire politique, se sont le plus souvent intéressées à la constitution politique, la constitution séparation des pouvoirs, celle qui traite des institutions politiques, du statut des pouvoirs et des rapports entre ceux-ci.
Il est vrai que la constitution de 1990 avait déjà enrichi la charte des libertés. Cependant, c’est l’élaboration de la constitution de 2010 qui, faisant montre d’une grande générosité, a introduit la notion moderne de droits fondamentaux en érigeant les libertés publiques de la personne humaine, les droits économiques et sociaux et les droits collectifs en droits fondamentaux objet du titre II de la constitution de 2010, est modifié et remplacé par l’intitulé suivant : « Titre II des droits, libertés et devoirs ».
Clairement le recul démocratique de cette réforme est tellement négatif, que le citoyen ne se retrouve plus au cœur de ses préoccupations, les droits et libertés des citoyens ne sont plus qualifiés de droits fondamentaux, la charte des libertés n’est plus enrichie. La grande innovation de 2010 est supprimée, les libertés sont prochainement fragiles et même les nouveaux droits introduits par cette réforme ne seront plus fortement protégés.
Le recul démocratique introduit par cette réforme retire au citoyen le statut d’acteur du développement économique et social de la nation.
Plus grave, l’armature constitutionnelle du projet de constitution sort des standards démocratiques universels.
La suppression de cette avancée significative permet d’apprécier que la réforme n’apporte aucune valeur ajoutée sur l’ordonnancement juridique et le progrès de l’Etat de droit. Ainsi en matière de droits fondamentaux il convient toujours de se soucier de ce qui reste à faire. A cet égard, l’Etat doit continuer à prendre des mesures qui rassurent les guinéens car leur participation aux processus politiques et de développement est largement fonction des conditions de jouissance de leurs droits.
Cette tribune est une contribution à l’édifice de la nation au côté des réformateurs de mon pays comme pour dire que ce projet de constitution mérite d’être retravaillé pour honorer l’image de notre pays car les ressources humaines locales existent bel et bien pour relever tous les défis dans ce domaine. C’est en cela que l’armature constitutionnelle du projet sera conforme aux standards démocratique universel.
Fayimba MARA Constitutionnaliste
Professeur de Droit Public à l’Université Général Lansana Conté de
Sonfonia
Doctorant à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar
Conakry le 27/12/ 2019