La Commission électorale nationale indépendante, CENI, a été dissoute le 5 septembre. Malgré tout, sa gestion budgétaire notamment a attiré l’attention des nouvelles autorités. Pour excès de visibilité et de transparence des ressources financières qu’elle engloutit.
Entre 2015 et 2020, les élections ont englouti pas moins de 1 695 milliards de francs guinéens, près de 139 millions d’euros (taux du 5 février 2021). Ce montant représentait plus du tiers du budget prévu pour la construction de la route nationale Numéro 1 Coyah-Mamou-Dabola de 370 km, évalué à 357 302 942 euros. Mais sa gestion n’a connu aucune visibilité et s’est déroulée dans une opacité inédite. Il n’a connu d’audit, ni interne ni externe. Or, la loi, L 044, alors en vigueur, modifiant certaines dispositions de la loi organique L/016 du CNT, portant composition, organisation, attributions et fonctionnement de la CENI, indiquait en son article 26, alinéa 1 : «Dans l’exécution de son budget, la CENI procède au moins une fois par an à un audit interne, afin de s’assurer de l’application correcte des règles de gestion budgétaire en vigueur.» Les alinéas 2 et 3 du même article ajoutent : «La CENI est soumise annuellement à un audit externe du budget réalisé par un auditeur recruté par voie d’appel d’offres ouvert. L’audit externe est commandité par le Ministère de l’Economie et des Finances. Le rapport issu de cet audit est transmis au Président de la République, à l’Assemblée nationale et à la Cour des comptes. Il est publié au Journal Officiel de la République.» Ces dispositions étaient également mentionnées dans les alinéas 3, 4 et 5 de l’article 23 de la Loi L016 du CNT 2012. Sur papier, cela paraît facile. Sur le terrain, la réalité était tout autre. Des infos glanées çà et là, avec un appui de OSIWA (Open Society Initiative for West Africa) montrent que la vaillante CENI guinéenne ne s’est jamais soumise à un tel contrôle. Malgré les difficultés, comme vous pouvez le lire dans notre enquête parue dans Le Lynx N°1504 du Lundi, 8 février 2021, pages 6 ou via ces liens : https://lelynx.net/2021/02/budgets-electoraux-ce-nul-la-gestion-premiere-partie/ et https://lelynx.net/2021/02/budgets-electoraux-2015-2018-2020-ce-nul-la-gestion-fuite-et-faim/ , le laxisme des acteurs concernés était quasiment à tous les niveaux.
De plus en plus remise en cause !
Comme par hasard, après la chute d’Alpha Grimpeur, les nouvelles autorités du bled, après avoir dissous la CENI, ont choisi de « transférer » ses compétences au MATD, le ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation. Pour excès de transparence dans sa gestion financière. Un décret du Colonel Mamadi Doum-bouillant, Prési de la Transition, a été lu sur la Télébidon nationale le 31 décembre 2021.
Le 10 janvier, à l’occasion d’une rencontre avec la classe politique, le ministre de l’Administration du trottoir et de la Décentralisation, Mory Condé, a confirmé le transfert. Dans ses explications justifiant la décision des nouvelles autorités, est évoquée comme motif principal, la saignée financière que subissait le budget de l’Etat via la CENI. «… Aujourd’hui, nous voulons tous moraliser la gestion de la vie publique, diminuer le train de vie de l’Etat, assurer un certain nombre de conditionnalités du citoyen guinéen. Lorsque nous prenons cette CENI en place, l’Etat doit débourser encore 52 milliards de francs guinéens pour faire face à des dépenses de son fonctionnement».
Et le ministre de la Décentralisation, pour enfoncer le clou, a révélé que le bâtiment qui abrite la CENI coûtait 65 000 euros soit 650 millions de francs guinéens par mois à l’Etat. Le bâtiment appartiendrait à un guinéen qui a occupé une haute fonction au sein de l’administration publique, a-t-il précisé, estimant c’est un acte qui vise à créer des saignées financières, pour assouvir des intérêts personnels. Et Mory Condé de disserter : « Lorsque j’ai demandé à monsieur le Président de me permettre de résilier le contrat de bail, le propriétaire a revu à la baisse le prix du loyer d’abord à 40 000 euros, ensuite à 25 000 euros. Lorsque je prends la question liée aux imprimés, il y a plus de 11 sociétés qui ont le même contrat pour faire le même travail dans les mêmes localités pour la même CENI, la facture la plus petite est 1,6 millions de dollars. J’ai reçu, il y a trois jours (7 janvier 2022 Ndlr), de DHL qu’une compagnie chinoise a déposé pour réclamer son argent. Lorsque vous prenez le coût de location des démembrements de la CENI. Le coût mensuel de location du siège de la CENI à Dalaba est de 76 millions de francs guinéens. La CENI nous a présenté un personnel de plus de 900 personnes. Les cadres de la CENI qui se font appeler des techniciens sont tous des fonctionnaires du MATD, ils sont payés sur le fichier de la fonction publique et au même moment, ils sont contractuels au niveau de ministère du Budget. Je ne pense pas que dans cette salle, quelqu’un souhaite hériter de cette situation que nous sommes en train de gérer aujourd’hui ». Et toc !
De son manque de visibilité de la gestion financière des élections, l’organe de gestion des élections est accusé de mauvaise gouvernance dans ses dépenses internes. D’où, la décision du CNRD de ramener la gestion des élections à la maison mère, le MATD. Ce, selon Mory Condé, pour permettre aussi aux politiciens d’être dans un Comité de veille où ils seront associés à tout le processus, comme s’ils avaient leurs commissaires à la CENI.
Pourvu que la transparence ne souffre d’aucune carence.
La gestion de la CENI interroge, la justice s’en mêle
La gestion de la CENI interroge davantage. Le 13 avril, à son siège à Kaloum, la Cour de répression des infractions économiques et financières, CRIEF, a tenu sa première audience publique. Un étrange dossier est inscrit au rôle de l’audience : la surfacturation des billets de voyage des commissaires de la CENI à l’Etranger. Plusieurs petits milliards de francs auraient glissé dans les mailles des filets, pour atterrir dans les poches de quelques acteurs dont Mohamed Kébé, le frère cadet de l’un des défunts prési de la CENI, Me Amadou Saliflou-flou Kébé. Apparemment, la gestion opaque des ressources par la CENI est loin de livrer tous ses secrets.
La gestion des futures élections sera assurée par le MATD. Seulement voilà ! Des craintes sont exprimées partout. Après les déboires et les magouilles des divers présidents de la CENI en termes de tricheries électorales, que risquons-nous avec les gouverneurs, préfets, sous-préfets, dont la quasi-totalité relève de la hiérarchie militaire ? Les Guinéens préféreront-ils une CENI «civile » ou «militaire» ? Le Cntêtard de Dansa Kourouma donnera sûrement la réponse, avant la fin de la transition à durée encore inconnue.
Mamadou Siré Diallo pour le Lynx