Il y a quelques jours, à la suite de la démission d’un membre du CNT (désigné par le Barreau de Guinée), un certaine idée générale – inspirée par la motivation de la démission – s’est emparée de l’opinion : l’idée selon laquelle le mandat des Conseillers nationaux (les membres du CNT) aurait expiré le 31 décembre et que, conséquemment, quiconque y reste le serait illégalement et pour des considérations pécuniaires.
Le présent texte ne vise pas à opposer une critique personnelle à l’exercice par le membre démissionnaire d’un de ses droits essentiels, pour diverses raisons, y compris celles qui tiennent à la convergence de nos opinions sur beaucoup de questions qui se rapportent aux valeurs démocratiques et républicaines et, surtout, de ma conscience de ce qu’un débat est possible sans critique personnelle de caractère délibérément attentatoire à la réputation des gens.
Le texte vise donc uniquement à remettre en perspective, à tout le moins, à contester, les arguments de droit, au soutien de l’expiration du mandat des conseillers et de la dissolution corrélative du CNT, que la démission a suscité. Ce texte présente donc quelques considérations de droit qui se rapportent aux questions de droit évoquées au soutien de l’allégation de l’expiration du mandat des conseillers nationaux (I) et d’autres considérations de fait afférentes à la marche à suivre (II).
I. CONSIDÉRATIONS RELATIVES AUX ARGUMENTS DE DROIT ÉVOQUÉS AU SOUTIEN DE L’ALLÉGATION DE L’EXPIRATION DU MANDAT DES CONSEILLERS NATIONAUX
Le propos repose sur l’allégation, en général, de l’expiration du mandat des conseillers nationaux et, spécifiquement, de la présentation du 31 décembre 2024 comme la date de l’expiration de ce mandat.
SUR L’EXPIRATION ALLÉGUÉE DE LA DURÉE DU MANDAT DES CONSEILLERS NATIONAUX
Au titre de l’article 58 de la Charte de la Transition « Les membres du Conseil national de la Transition portent le titre de « Conseillers nationaux. Le mandat des conseillers nationaux court à partir de leur nomination par le président de la Transition et prend fin dès la mise en place de l’Assemblée nationale ». Dans le sens de cette disposition, l’article 3 de la Loi organique N° 2022/CNT Portant Règlement Intérieur du Conseil National de la Transition de la République de Guinée est intitulé « Mandat ».
En vertu de l’alinéa 7 de cette disposition explicitement dédiée au mandat des conseillers nationaux, « Le mandat des Conseillers nationaux court à partir de leur nomination par le Président de la Transition et prend fin dès la mise en place de l’Assemblée nationale ». La Charte qui prescrit objectivement la situation mettant un terme au mandat du CNT (Installation de la nouvelle Assemblée nationale), renvoi la question de la définition de la durée de la transition à d’autres organes.
En vertu de l’article 77 de la Charte, « La durée de la Transition sera fixée de commun accord entre les Forces vives de la Nation et le Comité national du Rassemblement pour le développement CNRD ».
Ces dispositions appellent un commentaire.
PREMIÈREMENT, la Charte de la Transition (instrument juridique faisant office de Constitution de crise) prescrit de manière explicite ce qu’est le mandat précis du conseiller national. Ce mandat est également identiquement fixé (ce qui est une exigence d’harmonie constitutionnelle) par la loi organique portant règlement intérieur du Conseil national de la Transition.
En vertu de ces textes, le mandat du CNT, de manière non-équivoque FINIT À LA MISE EN PLACE DE LA NOUVELLE ASSEMBLÉE NATIONALE ÉLUE ; à la suite de l’élection destinée à mettre un terme à la transition.
DEUXIÈMEMENT, la Charte qui fixe de manière explicite le mandat du conseiller national (membre du CNT) renvoi à l’article 77 la question de la définition de la durée de la Transition à l’accord entre les Forces vives et les Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD). La question qui se pose est alors celle de savoir pourquoi le constituant (de la Charte) qui a pu indiquer l’événement marquant la fin du mandat du CNT n’a pas réglé en même temps la question du délai de la Transition ?
Il y a deux éléments de réponse à cette question. Le premier se rapporte au temps. Au moment de la publication de la Charte le 27 septembre 2021, la question de la durée de la Transition a été considérée comme fondamentale et ne pouvait conséquemment être réglée uniquement par l’organe auteur de la Charte, quoique certains acteurs avaient fait des propositions. La solution de renvoi apparaissait conséquemment comme la plus appropriée du point de vue de l’exigence fondamentale de dialogue entre dirigeants et acteurs socio-politiques. Le deuxième élément de réponse, c’est le renoncement à une solution de rigidité constitutionnelle.
En insérant dans la Charte la durée du mandat, toute extension, même justifiée au regard des acteurs socio-politiques, devrait imposer la révision de la Charte. En ce sens, on peut considérer que la solution du renvoi de la question de la durée de la Transition au CNRD et aux Forces vives était à la fois une solution pragmatique et de responsabilité en raison de la prévisibilité – en période de crise en général et de Transition en particulier – des extensions probables déterminées par telle ou telle contingence politique, institutionnelle, administrative ou technique.
Le non-dit politico-juridique du renvoi prescrit à l’article 77 de la Charte est la souplesse ; la souplesse y compris dans la possibilité d’extension de la durée initiale. Car, il est évident qu’il est plus facile de réviser ou d’amender une résolution adoptée par un organe de la Transition que de réviser la Charte pour les mêmes raisons. In concreto, en faisant le renvoi, l’intention du constituant est de rendre le dialogue possible sur le sort de la Transition en termes de durée, à une condition fondamentale : la posture de responsabilité et de transparence des dirigeants dans les actions accomplies en vue du retour à l’ordre constitutionnel.
TROISIÈMEMENT, l’article 77 de la Charte renvoie au CNRD et aux Forces vives de la Nation la responsabilité de définir de commun accord NON PAS LA DURÉE DU MANDAT DU CNT mais la DURÉE DE LA TRANSITION. Or, en vertu de l’article 36 de la Charte de la Transition, « Les organes de la Transition sont : le Comité National du Rassemblement pour le Développement (CNRD); Le Président de la Transition ; le Gouvernement de la Transition ; le Conseil National de la Transition ». Il en résulte que l’article 77 ne renvoie pas à d’autres organes la définition de la durée du mandat du CNT mais la durée de la Transition. Conséquemment, le CHRONOGRAMME définit sur la base de ce renvoi s’applique à et vaut pour tous les organes de la Transition.
Sur le plan strictement juridique, il n’existe qu’une seule condition à laquelle le mandat du CNT pourrait finir avant celui des autres organes de la Transition. Cette possibilité ne repose pas sur l’article 77 mais sur l’article 58 (l’installation du nouveau parlement). Si les élections législatives sont organisées avant l’élection présidentielle, alors le mandat du CNT arrivera à expiration avant celui du CNRD.
Il n’y a donc dans le droit constitutionnel guinéen actuel aucune possibilité – sous réserve d’une dissolution expresse au nom du parallélisme des formes – que le mandat du CNT expire avant celui des autres organes de la Transition. Il s’agit, conséquemment d’une erreur d’interprétation que de considérer – à supposer même qu’on venait à suivre le raisonnement non fondé en droit alléguant une expiration de mandat – que le mandat du CNT aurait expiré, sans jamais appliquer le même raisonnement aux autres organes de la Transition.
En l’état de la Transition, il n’y a pas de situation d’illégalité ou d’illégitimité s’appliquant au CNT au nom d’un dépassement de mandat, a fortiori isolément. Le fait que le CNT soit resté quasi-intégralement composé comme dans sa configuration initiale ne peut dès lors être interprété traduisant une triste réalité de Guinéens qui seraient désespérés de leur avenir, moins responsables, moins convaincus par les valeurs démocratiques et républicaines. Les membres d’une institution parlementaire ont le droit – heureusement d’ailleurs – d’avoir des visions différentes sur des sujets même s’ils sont tous motivés par l’intérêt général.
SUR DES CONSIDÉRATIONS SE RAPPORTANT À LA PRÉSENTATION DE LA DATE DU 31 DÉCEMBRE 2024 COMME DATE D’EXPIRATION DU MANDAT DES CONSEILLERS NATIONAUX
Sur la base de l’article 77 précité – sans soulever les débats ayant marqué ce contexte – un chronogramme a été proposé par le CNRD (dans son discours du 30 avril 2022). Celui-ci a été validé par le Conseil national de la Transition, par une Résolution n°001/CNT/2022 du 11 mai 2022 relative au Chronogramme du retour à l’ordre constitutionnel.
Sur le plan contextuel, relevons que l’entente générale entre la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest et le Comité national du Rassemblement pour le développement conduisait ce dernier organe à proposer un chronogramme de 39 mois. Ce chronogramme – sans s’y étaler – a été validé par le Conseil national de la Transition, avec un amendement substantiel consistant dans la réduction du chronogramme initial de trois mois, passant ainsi de 39 mois à 36 mois.
Au regard de ces considérations, la présentation de la date du 31 décembre 2024 comme date d’expiration du mandat des conseillers nationaux appelle des observations.
PREMIÈREMENT, le chronogramme de la Transition a été adopté à la date du 11 mai 2022. Or, ce chronogramme a prévu comme durée de la Transition, 36 MOIS. Il est mathématiquement impossible que pour un chronogramme adopté le 11 MAI 2022, que la DURÉE DE 36 MOIS ARRIVE À EXPIRATION LE 31 DÉCEMBRE 2024. La durée de 36 mois arrive à expiration au MOIS DE MAI 2025. De la même manière, il est juridiquement impossible que la durée de la transition telle que définie par le chronogramme remonte à une date antérieure à son adoption par le CNT ; la loi ne disposant que pour l’avenir. Au surplus, quiconque dit que le chronogramme de la Transition s’étend sur 36 mois reconnaît implicitement et absolument, sans qu’une exception ne soit possible, que celui-ci (le chronogramme) commence à compter de son adoption par le CNT. Car, celui proposé par le CNRD s’entendait sur 39 mois.
Il en résulte que même si on suivait l’erreur de droit qui consiste à considérer que la durée de la Transition telle que définie dans le chronogramme ne vaudrait que pour le CNT (et non pour tous les organes de la Transition), la durée de 36 mois arrive à échéance EN MAI 2025 et non LE 31 DÉCEMBRE 2024. Ceci n’a rien d’une logique complexe de démonstration juridique ; ce sont des faits, des données concrètes. L’argument du 31 repose, dès lors, sur une erreur de droit et une inexactitude matérielle des faits.
DEUXIÈMEMENT, à supposer même qu’une durée fixe soit déterminée par le Chronogramme, celle-ci ne concerne absolument pas seulement le CNT – cela a été dit en amont – mais la Transition. Or, au-delà du CNT, il y a d’autres organes de la Transition. Pour ne pas s’y étaler, il a été relevé que la condition objective de l’expiration du mandat du CNT est l’installation du nouveau parlement et que, le seul moyen suivant lequel le mandat des conseillers nationaux cesserait d’être valide avant celui des autres organes de la Transition est que les élections législatives et sénatoriales soient organisées avant l’élection présidentielle.
Il en résulte que les conseillers nationaux sont encore dans l’exercice absolument légal de leur mandat et que celui-ci n’est pas du tout arrivé à échéance au point de justifier des demandes de retrait de la part de leurs entités originelles de désignation. Celles-ci peuvent conséquemment reposer sur d’autres considérations mais pas sur l’allégation de l’expiration du mandat des conseillers nationaux.
II. CONSIDÉRATIONS SE RAPPORTANT À LA MARCHE À SUIVRE
Ce texte ne peut pas être confiné aux éléments de réponse aux questions de droit et d’inexactitude matérielle de faits évoquées ça et là au soutien de l’expiration du mandat des conseillers nationaux.
CONSIDERATIONS GENERALES
La conduite de la transition impose l’exigence de la promotion d’une logique professionnelle et de responsabilité dans les rapports entre gouvernants et acteurs socio-politiques. Cette conduite en toute responsabilité commence par la communication. La logique de la responsabilité dans la communication, ce n’est pas le silence ; la logique de la responsabilité, ce n’est pas le discours incendiaire ; une telle logique est aux antipodes du discours qui donne l’impression d’un mépris à l’égard des gouvernés et des acteurs socio-politiques.
En période de transition, la logique de la responsabilité dans la gouvernance, c’est la logique du dialogue continu, de l’information, de la présentation des entraves éventuelles à la tenue des délais et de sollicitation, par le dialogue, de leur extension ; mais des extensions de délais uniquement circonscrites par des strictes nécessités de retour à l’ordre démocratique (sur la base du dialogue entre le CNRD, le Gouvernement et les acteurs socio-politiques (forces vives). Ces nécessités sont de deux ordres fondamentalement : le CNRD et le Gouvernement s’organisent à reprendre le dialogue avec les acteurs socio-politiques.
Si la reprise de ce dialogue aurait pour but la finalisation du processus de retour à l’ordre constitutionnel dans des conditions de légitimité raisonnable, elle aurait trois fonctions, au moins.
LA PREMIÈRE FONCTION de la reprise du dialogue consiste dans l’invitation des acteurs socio-politiques et dans la création par le gouvernement des conditions de leur mobilisation en vue de leur présenter l’état exact de la situation du point de vue des actions (vérifiables) vraiment menées pour le retour à l’ordre constitutionnel (par le CNT et le Gouvernement). Cet exercice impliquerait l’évaluation rigoureuse par les divers acteurs du temps requis pour la finalisation des actions restantes.
LA DEUXIÈME FONCTION de la reprise de ce dialogue consiste dans l’évaluation, avec les acteurs et les experts électoraux, du temps raisonnable requis par l’organisation – en toute transparence de l’ensemble des opérations référendaires et électorales destinées au retour à l’ordre démocratique. Cet exercice permet une évaluation cumulative du temps raisonnable nécessaire au retour à l’ordre constitutionnel.
LA TROISIÈME FONCTION serait ainsi, sur la base d’une évaluation objective de la situation, de proposer un réaménagement du chronogramme de la Transition tel que défini par la Résolution adoptée par le CNT. Cela va sans dire que la procédure suivie initialement serait la même pour toute révision ou amendement de chronogramme.
Parler de responsabilité en l’état de la situation, c’est nécessairement compter d’abord sur l’humilité des gouvernants eu égard aux contingences qui peuvent déterminer une demande de réaménagement de délais. Cela exige l’adoption de toutes décisions de nature à constamment favoriser un climat de confiance entre gouvernants et gouvernés. C’est ensuite compter sur la bienveillance (il n’est pas écrit complaisance) et la poursuite de la bonne foi par chaque acteur socio-politique dans la détermination ensemble des modalités finales (en termes de temps) du retour à l’ordre constitutionnel.
À la suite de la définition d’un délai raisonnable, aucun organe ne peut insuffisamment se consacrer à la tâche qui lui est assignée, sans être jugée d’avoir une conduite aux antipodes de la logique de responsabilité et de bonne foi. Car, il faut bien que la Transition finisse et dans les délais strictement raisonnables nécessaires pour un bon retour à l’ordre démocratique.
PROPOS CONCLUSIFS
Il résulte, en définitive, de ces considérations,
1. Que le Chronogramme de la Transition ne définit pas le mandat du CNT isolément mais celui de la Transition telle qu’elle est conduite par tous les organes de la Transition ;
2. Qu’il n’y a pas de moyen que – du fait d’une expiration de mandat – que les conseillers nationaux soient illégitimes alors que les autres organes ne seraient pas considérés ainsi, puisque seule l’installation du nouveau parlement détermine explicitement la fin du mandat du CNT. Celui-ci ne peut cesser d’exister avant le CNRD et le gouvernement de la Transition qu’à la condition que les élections législatives et sénatoriales soient organisées avant l’élection présidentielle. Car, la durée générale définie dans le chronogramme vaut et s’applique à tous les organes de la transition, sans exception.
3. Qu’il n’y a pas d’expiration du mandat des Conseillers nationaux à la date du 31 décembre ; cette affirmation ne repose ni sur des arguments de droit ni sur un quelconque argument de fait. Car, la durée de 36 mois, à compter de la date d’adoption de la résolution expire en mai 2025 et non en décembre 2024.
4. Que rien dans ce texte ne doit pas être lu ou interprété comme appelant à une continuation déraisonnable ou illimitée de la transition, mais à un dialogue entre dirigeants et acteurs socio-politiques pour un retour apaisé et ordonné à l’ordre constitutionnel.
Jean Paul Kotembèdouno,
Docteur en droit public de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne,
Membre du CNT/Rapporteur de la Commission Constitution, Lois organiques et Avocat au Barreau de Guinée