La société Forêt Forte vient de remporter la palme de la surenchère et du chantage de la décennie en Guinée. Menaçant de fermer ses portes en laissant sur le carreau près de 1500 employés, elle se voit aujourd’hui accorder le droit de décimer le principal poumon écologique de notre pays. Une situation qui pourrait déboucher, si on n’y prend garde, sur des remous en région forestière.
La loi de la tronçonneuse l’emportera-t-elle finalement sur les forêts de Ziama et de Diécké ? Tout porte à le croire, puisque les réactions restent molles depuis l’annonce de l’autorisation accordée à la société Forêt Forte de dévaster (le mot est loin d’être abusif) ces deux espaces, qui sont des derniers à donner encore un sens au qualificatif ‘’forestière’’ au sud de la Guinée. Notre Etat mou a fini par céder au chantage de la Société dirigée par Jean Marie Le Petit. On le sait, l’argument selon lequel il fallait préserver quelques centaines d’emplois ne tient pas la route. Il suffit de voir les salaires de lance-roquettes qu’elle ventile comme des oboles pour s’en convaincre.
Laisser Forêt Forte trucider le Ziama en particulier est un crime contre notre environnement, le développement durable, notre culture… bref, notre avenir. Erigée en forêt classée en 1932, Ziama est la principale réserve forestière de notre pays avec 120 mille ha de superficie, et bénéficie des statuts de patrimoine mondial de l’humanité (depuis 1980) et de réserve de la biosphère universelle (1981). Autrement dit, cette réserve génère non seulement le micro climat tant prisée dans cette région, mais participe aussi à l’équilibre environnemental de la planète. Elle abrite plus de 1300 espèce végétales et 547 espèces animales, dont 22 sont protégées par la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction. En 2004, on y dénombrait encore 214 éléphants, dont les fameux éléphants nains.
Mais décidément, c’est toute cette richesse que notre gouvernement, avec la complicité tacite ou active de nos parlementaires, partis politiques, plateformes de la société civile et surtout les syndicats. L’appel lancé par les populations de Macenta, lors des GG Tour de mai dernier, semble être tombé dans des oreilles de sourds. Pourtant, leur inquiétude est fondée si l’on prend en compte les liens identitaires entre certaines pratiques culturelles de la région et l’existence de ces forêts. L’Etat serait plutôt bien inspiré de prêter attention à ces protestations qui sonnent par ailleurs comme une menace. Le développement de l’écotourisme et la vulgarisation de l’espèce Café Ziama feraient beaucoup plus de bien à l’économie locale, que cette coupe de bois qui a déjà fait perdre tout sens à l’appellation Guinée Forestière et même au qualificatif Forestiers, douteusement affublé aux populations autochtones.
Faut-il rappeler l’incohérence entre le discours de l’exécutif qui met l’agriculture en tête de ses priorités, et la dévastation de nos forêts qui nuit à l’équilibre de notre environnement et à cette même agriculture ? Ne revendiquons-nous pas depuis peu le leadership en matière de lutte contre les changements climatiques ? Ou avons-nous tout simplement oublié la place du développement durable dans les Objectifs du Millénium pour le Développement ? Que fait notre pays des engagements pris au plus haut niveau devant les instances internationales ?
Déjà plusieurs fois épinglée pour non-respect de la Convention CITES, la Guinée sera-t-elle cette fois-ci indexée par l’Unesco, qui avait déjà à l’œil le mauvais élève pour les concessions minières dans le Nimba ? Ou alors, comme le climato sceptique Donald Trump, allons-nous aussi penser que « le concept du réchauffement climatique a été créé par et pour les chinois » ?
Mohamed Mara