La page n’est pas tournée, et l’histoire n’est que suspendue. Notre Peuple est comme condamné à revivre les affres de ses caprices houleuses. Tant qu’on se soustraira à notre devoir collectif de restaurer la vérité historique en nous complaisant dans un lâche silence, notre Etat restera violent, inique et le socle de toutes les divisions dans notre société.
L’Etat guinéen a un passé de violences aigue contre ses propres citoyens, et l’incurie perdure faute de thérapie adéquate. On nous rabâche souvent les oreilles avec des formules empruntées comme ‘’il faut pardonner, il faut oublier, les guinéens doivent se réconcilier’’ ou encore ‘’la Guinée est une famille’’. Tout ceci est bien beau, mais peut-on demander à un homme lucide de tourner une page qu’il n’a pas encore lue ?
Or c’est généralement ce que fait l’Etat guinéen depuis des décennies, en demandant à notre Peuple d’oublier un passé qui reste sanguinolent, suinte et ruisselle toujours sur notre faciès déconfit par la furie de nos gouvernants successifs. Ce refus de regarder notre histoire commune en face, dans ses splendeurs mais aussi ses pires atrocités, nous empêche tous d’aller de l’avant et de restaurer une Nation en pleine déconfiture.
La conséquence la plus connue est cette défiance perpétuelle des citoyens guinéens vis-à-vis de l’Etat. Cette attitude est le plus souvent encouragée par notre personnel politique, qui trouvera dans les entrailles de notre passé de quoi nourrir le récit de la victimisation et du repli identitaire. Bien naturellement notre pays a ainsi été divisé en quatre régions aux intérêts présentés comme inconciliables, et leurs élites comme adversaires voire ennemis. Il faut absolument les priver d’arguments.
Le 25 janvier 1971, les ministres Baldet Ousmane, Barry III, Magassouba Moriba et Keita Kara Soufiane ont été honteusement pendus au pont Moussoudougou. Comme eux, des dizaines d’autres guinéens ont été à tout jamais arrachés à l’affection des leurs par les sbires d’un régime intolérant et sanglant. On ne peut se permettre d’oublier une telle lâcheté de notre Etat sur l’autel d’une réconciliation nationale, qui exclut toute lumière sur notre passé.
L’histoire de la Guinée reste ainsi suspendue, attendant que ses fils osent enfin la regarder en face, avant de se redonner la main. Le Camp Boiro, les évènements de Juillet 1985, les violences communautaires de 1990 en région forestière, l’agression rebelle de 2000, les événements du 22 janvier 2007, les massacres du 28 septembre 2009 et les multiples violences qui ont émaillé l’élection présidentielle de 2010 doivent être revisités, avec courage et opiniâtreté, pour exorciser le mal.
En ce 25 janvier 2018, il convient de s’arrêter au bord de cette route poussiéreuse et jonchée de péripéties douloureuses de notre histoire, pour nous rappeler d’où nous venons. Des familles attendent toujours le retour d’un père, d’un mari, d’un fils… ou simplement la vérité pour faire leur deuil. Notre Nation attend la vérité.