Malgré les multiples pressions dont il a fait l’objet, le jeune juge est connu pour ses condamnations exemplaires, car les condamnées s’impliquent désormais dans la promotion de l’abandon de l’excision.
Ousmane Koulibaly, 38 ans est le juge de paix de la préfecture de Lélouma, située à 65km du chef-lieu du gouvernorat de Labé. Depuis 2020, il arbore une double casquette de juge de paix et juge pour enfants dans la préfecture de Lélouma.
Pour la petite histoire, Ousmane Koulibaly est brièvement passé en 2019 par le tribunal pour enfants (TPE) de la commune de Kaloum à Conakry avant d’être muté à Lélouma l’année suivante. Depuis ce bref passage dans ce TPE, Ousmane Koulibaly nourrit un grand amour pour la défense des droits de l’enfant. « Je suis très sensible aux violations des droits de l’enfant consacrés par les conventions internationales auxquelles la Guinée fait partie. Car, c’est une couche vulnérable, dépourvue de tout moyen de défense et qui constitue la relève de notre pays », nous dira t-il.
Au lendemain de sa prise de fonction à Lélouma en 2020 en qualité de juge de paix, Ousmane Koulibaly a marqué les esprits de la préfecture lors du procès d’une femme âgée de 85 ans qui avait excisé ses petites-filles de 4 et 14 ans, avec la complicité de son fils, leur papa.
Cette infraction avait été commise à Manda Saran, une commune rurale située à 75km du centre-ville de Lélouma. Il a fait usage de toutes les stratégies possibles pour déplacer cette femme de son village à Lélouma. Il n’a pas eu recours aux moyens coercitifs pour le faire, car elle s’est librement présentée au tribunal sans être convaincue qu’elle serait jugée pour l’infraction qu’elle avait commise. « La vieille femme a, dans un premier temps, mis en avant son ignorance des dispositions interdisant la pratique de l’excision et dans un second temps, elle a plaidé coupable. J’ai fait jouer l’excuse d’ignorance nonobstant le principe de droit qui dit que personne n’est censé ignorer la loi, pour la condamner à un an de prison assorti de sursis », nous raconte le juge de paix .
« Son fils écopera de la même peine puisqu’étant reconnu coupable de complicité d’excision », ajoute-t-il.
Ousmane Koulibaly , Juge de paix de Lélouma
À l’image d’autres sociétés africaines, celles Guinéennes aussi perçoivent l’excision d’une fille comme le moyen de prévenir le désir sexuel et d’empêcher aussi qu’elle ait des expériences sexuelles avant son mariage. Elle était également perçue comme un passage obligé pour toute jeune fille à l’effet d’être non seulement purifiée, mais aussi, préparée à une vie de couple plus responsable.
Mais depuis 2018, l’UNICEF accompagne, avec l’appui financier du Comité National Suisse pour l’UNICEF, la mise en œuvre successive des 2 projets de promotion d’abandon des mutilations génitales féminines portant sur la « construction des évidences innovantes pour un changement accéléré ».
Ces projets qui couvrent tout le pays, y compris le gouvernorat de Labé dont relève Lélouma, ont pour objectif d’amener les communautés bénéficiaires à abandonner la pratique des mutilations génitales féminines. Pour y parvenir, l’UNICEF a appuyé le Ministère de la promotion féminine, de l’enfance et des personnes vulnérables à travers ses structures déconcentrées dans les régions et préfectures et les structures du système de protection de l’enfant en Guinée, à organiser des séances de sensibilisation, des causeries éducatives et des dialogues communautaires au sein des communautés. Parallèlement, l’UNICEF a appuyé le renforcement des capacités des personnes en charge de l’application des textes et lois, notamment les magistrats, les avocats et les officiers de police judiciaire qui font partie du dispositif de la chaîne pénale.
Fort de ces capacités et désormais convaincu de la portée du combat que mène le gouvernement contre les MGF, Ousmane Koulibaly est plus que déterminé à lutter contre cette pratique dans sa sphère juridique. C’est pourquoi, saisi d’un deuxième cas de pratique de l’excision par l’action des structures de protection de l’enfance mises en place au niveau de la préfecture, le jeune juge, est resté droit dans ses bottes et a résisté aux pressions demandant l’abandon du dossier et son règlement à l’amiable. « Le jugement a publiquement été rendu ici. La sage-femme, la principale auteure de l’infraction ainsi que ses complices, ont vite reconnu les faits et ont plaidé coupables. Je me souviens, cette sage-femme avait fondu en larmes ce jour. Comme pour dire qu’elle regrettait son acte. Je l’ai condamnée à un an de prison assorti de sursis avec 500 000 FG d’amende. Quant à ses complices, notamment les mamans des filles excisées, elles ont écopé d’un an de prison assorti de sursis », raconte le jeune magistrat.
Ousmane Koulibaly , Juge de paix de Lélouma
Au terme de ce jugement, la sage-femme a volontairement décidé de s’impliquer dans les séances de sensibilisation pour l’abandon de la pratique de l’excision dans sa communauté. Depuis son engagement, Kadiatou Diallo comptabilise à son actif, 7 séances de sensibilisation volontairement menées sur le terrain. « Toutes les occasions sont bonnes pour moi. Par exemple, j’ai profité de la communication sur la vaccination contre la COVID-19, pour faire passer mon message sur les effets néfastes de l’excision préjudiciables à la santé psychologique et sexuelle de la jeune fille une fois excisée. Et chaque dimanche, la Directrice préfectorale de l’action sociale, de la promotion féminine et de l’enfance et moi-même, allons vers les communautés pour les sensibiliser », dira-t-elle.
Pour permettre de renforcer les capacités de ses collaborateurs de la chaîne pénale, les acteurs clef au niveau décentralisé et toutes les populations, le juge s’est proposé pour continuer la dissémination du code de l’enfant adopté en décembre 2019, et promulgué en février 2020. Cela avec l’appui du Comité National Suisse pour l’UNICEF, afin de couvrir toutes les collectivités de Lélouma à travers des séances de formation et de sensibilisation sur la radio, avec un accent sur les dispositions relatives aux MGF et mariages d’enfants.
Saa Momory Koundouno