Installé depuis près de vingt ans à Paris, le griot qui a voyagé dans toute l’Afrique de l’Ouest avec sa voix rauque et sa kora rend un bel hommage à son continent.
À bientôt soixante ans, Djeli Moussa Condé a bien roulé sa bosse. Mais où qu’il soit, ses origines ne sont jamais très loin. « Partout où je vais, j’emmène l’Afrique avec moi. J’ai des enfants métis, j’ai des enfants noirs. Je suis africain, je vis en Europe. Je vis avec l’Afrique dans mon cœur, en Europe », glisse-t-il.
Chanteur et joueur de kora, le Guinéen s’est installé à Paris depuis près de vingt ans. Il imagine une musique métisse qui ne relève pas de la tradition stricto sensu.
La kora de Dejli Moussa Condé porte en elle ses voyages. Il y a de la musique mandingue, des échos du blues, de l’afro-cubain, du reggae et une multitude de styles glanés tout au long de sa route. Pour son troisième album, Africa Mama, le chanteur enregistre dans un premier temps un disque avec des « sonorités modernes ». Mais il repart de zéro pour imaginer onze chansons plus recueillies et c’est un heureux mélange qui s’opère. Ce virage est venu d’une demande de son nouveau label, Accords croisés, et du percussionniste et multi-instrumentiste, Gérald Bonnegrace, qui a produit son disque.
« Je voulais entendre sa voix »
« Djeli Moussa a une empreinte vocale très forte et c’est un fabuleux joueur de kora, explique Gérald Bonnegrace. Je trouvais dommage de repartir sur un disque électrique. Les mélodies étaient étouffées jusqu’ici par le grand ensemble qu’il y avait derrière : la batterie, les guitares électriques et les machines. Ce que j’avais envie d’entendre, c’est sa voix. Le mieux pour cela était de mettre en place une formule acoustique, épurée, pour que cette voix, ces mélodies, et la kora ressortent. » Le musicien d’origine martiniquaise, vu dans le groupe Arat Kilo, a trouvé des ponts évidents entre les Antilles et l’Afrique de son compère.
Leur méthode de travail est plutôt simple. Djeli Moussa Condé envoie ses maquettes kora/voix ou guitare/voix enregistrées au dictaphone au producteur. En retour, Gérald Bonnegrace habille les chansons, ajoutant des percussions, du piano, des cuivres et des chœurs. L’enregistrement se fait en quatre jours de studio, répartis entre juillet et septembre 2022. « J’ai composé ce disque comme un retour au pays. Je parle des difficultés de l’Afrique : le pillage des ressources, la pollution, 400 ans d’esclavage. Africa Mama parle de tout cela. Malgré tout, Mama est encore debout ! Je chante pour cette Afrique du courage, de l’humanité et de la résistance », assure Djeli Moussa Condé.
Les morceaux sont nés d’un retour du musicien à Conakry, à l’occasion de vacances en famille. Chantés en soussou, en malinké, en bambara, en wolof comme en français, ils témoignent des évolutions de son pays. « À chaque fois, je vois le changement, mais ce n’est pas positif. Le pays n’avance pas. L’éducation, l’hôpital et les soins se sont dégradés. La politique de mon pays, aussi. Il y a énormément de souffrance, les gens n’arrivent pas à manger trois fois par jour », déplore le musicien. Quand Jaman évoque les changements de comportement de la nouvelle génération, Wemaly est un hommage à la jeunesse guinéenne autant qu’un appel à l’aide.
« J’ai grandi dans l’aventure »
Dans un Yelema, en quelques accords de guitare, le chanteur appelle à un maintien de la tradition et au respect des anciens. « Quand je vois des jeunes de même pas 30 ans, qui lancent des injures à leurs pères et leurs mères, ce n’est pas notre culture ! Ce n’est pas notre éducation. L’Afrique, nous sommes un continent de joie, d’amour et d’humanité. C’est nous qui devons donner l’exemple aujourd’hui et tenir le monde avec nos valeurs », tonne le chanteur. Révolté par l’injustice, le chanteur guinéen est un idéaliste. Il rêve d’une journée de concert pour la paix, chaque année, « comme la Fête de la musique ».
C’est que le monde, Djeli Moussa Condé l’a parcouru. Issu d’une famille de griots, il est envoyé en Gambie à l’âge de 7 ans pour étudier dans une école coranique. Mais sa rencontre avec la kora, son instrument fétiche, scelle sa vie. Après quatre ans d’apprentissage avec un maître, il parcourt toute l’Afrique de l’Ouest sans papiers, avec sa kora pour seul passeport. À son retour au pays, en 1987, il obtient pour la première fois ses papiers. Il rejoint son père, qui a déménagé en Côte d’Ivoire, et intègre bientôt l’ensemble Koteba.
En 1993, il décide de rester à Paris où il collabore avec Alpha Blondy, Manu Dibango, Salif Keita, Cesaria Evora ou Cheick Tidiane Seck. Le tout, en connaissant les galères d’un sans-papiers, dormant çà et là dans des chambres exiguës, ou dans des cafés après ses concerts, quand il ne passe pas ses nuits à déambuler dans les rues parisiennes.
Après un coronavirus qui a mis beaucoup de musiciens à terre, le griot guinéen va repartir en concert avec Gérald Bonnegrace et une petite équipe de trois musiciens. Il espère que ce disque et cette collaboration le mèneront vers d’autres routes. Il le mérite sans aucun doute.
Avec RFI