Présente en Guinée depuis 2008, la société américaine Catalyst Business Solutions dont le contrat courait jusqu’en fin octobre 2023 n’est plus l’opérateur chargé de la mise en œuvre et de la gestion du BESC (Bordereau électronique de suivi des cargaisons).
Les autorités de la transition ont mis fin au contrat du groupe américain qui l’avait paraphé en octobre 2018 suite à un appel d’offres international lancé en 2017 pour le recrutement d’un nouvel opérateur pour la mise en œuvre et la gestion du BESC (Bordereau électronique de suivi des cargaisons).
Et pour cause, le 18 octobre 2022, une correspondance du Ministre Secrétaire Général de la présidence dénonçant ladite convention a été adressée à cet effet au Premier Ministre Dr Bernard Goumou.
La correspondance mentionne que « plusieurs irrégularités ont été constatées dans l’attribution du marché à Catalyst »
Le Ministre Amara motive sa lettre par la décision de l’ARMP en date du 9 novembre 2018 réclamant la reprise de la procédure et la dénonciation faite par le ministre de l’Economie et des finances Mamadi Camara qui a soutenu « que la convention n’a pas été soumise à son approbation ».
Comment en est-on arrivé là ?
Depuis 2002, Catalyst a accompagné plus de 200 groupes et institutions majeures dans plus de 25 pays en Afrique et au Moyen-Orient dans leurs projets de digitalisation et de transformation numérique. En Guinée, Catalyst a été sélectionné comme opérateur officiel et unique pour la mise en œuvre et la gestion du BESC en Guinée en août 2018 et a signé le contrat avec les autorités guinéennes (Conseil Guinéen des Chargeurs, CGC) le 28 septembre 2018. Les opérations ont officiellement démarré le 28 octobre 2018 pour une durée de 5 ans (jusqu’en octobre 2023) et la durée a été prolongée en 2020 pour 3 ans supplémentaires (jusqu’en octobre 2026) grâce à un avenant au contrat formel étant donné que les autorités guinéennes n’avaient pu mettre en application la législation BESC uniquement sur les importations et non également sur les exportations, ce qui était stipulé dans le contrat initial, et ce qui a privé Catalyst de 50% de son chiffre d’affaires pendant 4 ans. L’application du BESC sur les exportations a finalement été appliquée par les autorités guinéennes le 1er novembre 2022, soit 4 ans après le début du contrat.
Il faut rappeler ici que ce contrat de gestion du BESC a été constamment attaqué par les concurrents ayant perdu l’appel d’offres international tout au long de la durée de vie du marché. D’abord en novembre 2018, lorsque la société ATPMS, qui était l’ancien opérateur en Guinée, a demandé à l’ARMP (Autorité de régulation des marchés publics), d’annuler l’appel d’offres et le contrat de Catalyst. Cette décision du CRDS de l’ARMP de résilier le contrat a été suspendue dans un premier temps le 04 avril 2019 par la Cour Suprême (sursis à exécution, voir annexe) puis a été définitivement annulée par la Cour Suprême dans son arrêt rendu le 2 mars 2023 (voir annexe).
Il faut faire remarquer que malgré la suspension de la décision de l’ARMP par la Cour suprême dans son arrêt n°004 du 04/04/2019, l’ARMP a publié un deuxième rapport en mai 2022, réutilisant largement les arguments de son premier rapport et « oubliant » de mentionner que leur première décision avait été suspendue par la Cour suprême pour recommander une nouvelle fois la résiliation du contrat Catalyst et de faire réaliser par l’IGF (Inspection Générale des Finances) un audit détaillé sur la gestion de Catalyst pour le contrat BESC. Cet audit de l’IGF s’est déroulé d’août 2022 à octobre 2022, avec des conclusions positives, indiquant essentiellement que le contrat Catalyst, compte tenu de son efficacité financière pour l’État Guinéen, devait aller jusqu’au terme de sa durée légale.
Deux autres audits du contrat Catalyst en plus de celui mené par l’IGF ont été menés par les autorités guinéennes :
Un audit du ministère des Transports en mars 2022 dont les conclusions étaient fondamentalement les mêmes : le contrat devrait aller jusqu’à son terme (octobre 2023) sans prise en compte de l’avenant
- Un audit du Conseil guinéen des chargeurs, en septembre 2022, confirmant que le contrat Catalyst était performant, après avoir étudié en profondeur et analysé toutes les obligations de Catalyst stipulées dans le contrat et tous les critères de l’appel d’offres international initial de 2017.
Ces trois audits étant globalement positifs pour Catalyst, aucun d’entre eux n’a pu être utilisé par les autorités guinéennes pour justifier l’annulation du contrat. Au lieu de cela, le Ministère des Transports a utilisé les arguments du deuxième rapport de l’ARMP pour résilier le contrat le 15 février 2023 (Lettre reçue par Catalyst officiellement et légalement par huissier le 7 mars 2023).
Les arguments évoqués (principalement 2) sont les suivants :
- Les décisions du premier rapport du CRDS I’ARMP (c’est-à-dire l’annulation du contrat Catalyst et la relance de l’appel d’offres) en novembre 2028 n’avaient pas été mises en œuvre. Cela ne tient pas puisque la Cour Suprême de Guinée, en avril 2019, a suspendu cette décision (sursis à exécution) et, le 2 mars 2023, a définitivement annulé cette décision de l’ARMP sans aucun recours possible en rendant son jugement sur le fond.
- Le contrat Catalyst n’a pas été officiellement validé par le Ministère des Finances (article 87 du Code des marchés publics) :
– Lors de la première décision du CRDS de l’ARMP en novembre 2018, ATPMS s’était attiré les bonnes grâces du ministère des Finances pour tenter d’annuler le contrat Catalyst et le ministère des Finances était donc initialement réticent à valider le contrat, car le jugement de la Cour suprême était en attente. Après le premier arrêt de la Cour Suprême annulant définitivement la demande d’ATPMS que soit sursis à exécution l’Arrêté Ministériel n°2018/7358/MT/SGG du 15/10/2018 instituant Catalyst comme l’unique opérateur officiel du BESC en Guinée, le Premier Ministre avait officiellement demandé au Ministère des Finances, par courrier du 04 février 2019, de valider formellement ce contrat compte tenu du fait que la Cour Suprême avait pris une décision définitive sur la légalité du contrat de Catalyst.
– Par ailleurs, en août 2019, le Ministère des Finances, compte tenu du démarrage effectif des opérations et des performances financières de Catalyst, a signé avec le Ministère des Transports un Arrêté Ministériel conjoint 5032/MET/MEF du 01 Aout 2019 qui organise le partage des revenus du BESC entre les différents Départements de l’Etat (Trésor Public, CGC et Marine Marchande). Dans cet arrêté interministériel, le contrat Catalyst est clairement mentionné et précisé dans l’avant-propos de ce document légal officiel, prouvant que le ministère des finances avait officiellement approuvé le contrat Catalyst.
– Enfin, le Ministère des Finances nomme dans chaque Entreprise Publique Administratif de Guinée (EPA) un membre statutaire de son effectif pour superviser toutes les activités financières de ces entreprises publiques. Ce fut le cas en août 2018 avec l’agent comptable du ministère des Finances officiellement détaché par arrêté ministériel à l’OGC (ancien nom du CGC) qui était notamment membre de la commission de négociation de la convention avec Catalyst. Ainsi, le ministère des Finances a reçu à ce moment-là des informations quotidiennes en temps réel sur l’avancement de la négociation du contrat avec Catalyst et cet agent comptable a signé le procès- verbal de la commission de négociation du contrat.
En termes de revenu, le contrat du groupe américain a permis à l’Etat d’engranger 36,1 millions d’euros de recettes grâce à sa plateforme de gestion du BESC en Guinée en 4 ans d’activité, soit un rythme de collecte annuel deux fois supérieur à l’opérateur précédent (ATPMS).
Les arguments avancés dans la lettre d’annulation officielle envoyée par le Ministère des Transports le 07 mars 2023 à Catalyst sont juridiquement très discutables et laissent à penser que tout ce processus n’est qu’une simple confiscation arbitraire d’un contrat performant signé par un groupe américain.
Lorsque le Ministre des Transports a demandé au Ministre des Finances de valider la résiliation du contrat Catalyst, le Ministre des Finances fut tout d’abord très réticent, pour ne pas violer le Code des Marchés Publics, ni paraitre trop favorable à ce qui ressemble à une malversation. Dans une sa lettre de réponse définitive, sous pression, le ministère des Finances accepte finalement la résiliation au titre de l’article 87 mais recommande tout de même qu’un nouvel appel d’offres soit lancé rapidement pour éviter toute interruption du service de gestion du BESC en Guinée.
Aussi, le 28 février 2023, le ministère des Transports a formellement demandé par écrit au ministre des Finances de l’autoriser à signer un contrat de 12 mois avec une société locale appelée SYSTEM FIRST GUINEA SAU (SFG-SAU) qui a été enregistrée en Guinée très récemment et à la hâte en novembre 2022 sous le nom de Leo Grosman, de nationalité belge, qui représentait la société belge TC&T lors de l’appel d’offres international 2017 (TC&T était deuxième dans le classement de cet appel d’offres international de 2017) avec un objet social pour le moins vague. Donc un contrat signé de gré à gré, par entente directe, contraire à toutes les règles des marchés publics où l’on essaie de faire re-rentrer par la petite fenêtre un opérateur qui avait été sorti par la grande porte d’un appel d’offres international régulier. Dans quel but ? Des accords en dessous de table ont-ils été passés discrètement avec cette société ?
Encore plus étonnant, le 2 mars 2023, le ministère des Transports a demandé par écrit à tous les agents maritimes en Guinée de cesser de payer la redevance du BESC sur le compte bancaire officiel de règlement ouvert depuis 2013 à cet effet à la BCRG, mais, au contraire, de payer sur le compte bancaire de la société SFG-SAU nouvellement créée, hébergé dans un compte d’une banque commerciale, sans sécurité, ni traçabilité ni piste d’audit possible. Le Ministre des Finances qui était dans la boucle de l’ensemble des demandes du Ministère des Transports n’est curieusement pas en copie de ce dernier courrier. Cette disposition est contraire à toutes les recommandations officielles communiquées par la Présidence depuis plus de 18 mois, à savoir domicilier les fonds publics à la Banque centrale. Cette obligation a été récemment réitérée avec fermeté par le Président de la République de Guinée lors du Conseil des ministres du 16 février 2023. Que cache cette demande peu orthodoxe ? Pourquoi vouloir détourner des fonds publics sécurisés à la Banque Centrale ?
La Guinée pourrait se voir donc attaquer très prochainement devant les juridictions supranationales pour avoir rompu un contrat régulier, en bonne et due forme.
Mohamed Bangoura