Sa sortie médiatique le 26 mai 2021 sur le sujet relatif à la subvention du carburant avait mobilisé le gouvernement à le démentir sur les mêmes plateaux. Ce qui n’a d’ailleurs pas surpris l’économiste qui maintient que « l’État n’a jamais perdu dans le carburant ». Dans l’interview qu’il a accordée à mosaiqueguinee.com, Dr Ousmane Kaba dit ce qu’il pense de cette réplique gouvernementale, évoque l’opportunité et les conséquences d’une augmentation du prix du litre de carburant à la pompe. Le président du parti PADES répond aussi à la question : est-il toujours intéressé au poste de premier ministre dans cet entretien, fait le bilan des 10 années de gestion du pouvoir par Alpha Condé, le dialogue politique ou encore les prochaines élections locales. L’enseignant et fondateur d’université ne manque pas non plus de propositions pour faire avancer le secteur de l’enseignement supérieur.
Mosaiqueguinee.com : Le gouvernement vous dément et martèle que l’État subventionne le prix du carburant. Que pensez-vous de cette réplique ?
Dr Ousmane Kaba : Je n’en pense rien du tout. Je ne suis pas parmi les décideurs, je ne sais pas ce qui se passe dans le domaine du carburant. La seule chose que j’ai dite la dernière fois c’était pour dire que l’État n’a jamais perdu dans le carburant, donc il n’y a pas lieu de parler de subvention. La flexibilité du prix dont on parle c’est s’entendre sur un revenu spécifique de l’État, une fiscalité donnée lorsque le prix est supérieur, l’État enregistre la plus-value, lorsque le prix est inférieur, l’État enregistre la moins-value. Alors pour passer de la plus-value à la moins-value à la population, c’est ce qu’on appelle la flexibilité. Enfin, je ne commente pas les déclarations de qui que ce soit. D’abord je n’ai pas écouté, honnêtement, je ne peux donc pas commenter. Si vous me dites qu’aujourd’hui, l’inflation est en train de repartir, est-ce que c’est opportun d’augmenter le prix du carburant ça c’est une question à part.
Mosaiqueguinee.com : Alors, est-ce opportun d’augmenter le prix du litre de carburant à la pompe ?
Dr Ousmane Kaba : Je ne peux pas répondre à votre question, parce que je ne suis pas décideur et je n’ai pas la disposition budgétaire en main. Ce que je puis vous dire, c’est que, de mon expérience d’économiste, quand il y a déjà une inflation, il faut éviter d’en rajouter pour ne pas accélérer cette inflation.
Mosaiqueguinee.com : S’il ne faut pas augmenter le prix du carburant, que faut-il faire ? Quelle est la proposition de l’ancien ministre de l’économie et des finances, président du parti PADES ?
Dr Ousmane Kaba : Ce n’est vraiment pas à moi de vous répondre, allez-y leur poser la question. Je n’ai pas réfléchi à la question.
Mosaiqueguinee.com : Dans l’interview que vous avez accordée à FIM FM dans l’émission Mirador, vous avez confié que plus de 2000 milliards ont été injectés dans le budget lié au cycle électoral en 2020. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Dr Ousmane Kaba : Tout ce qui est création monétaire en 2020, agit sur le premier semestre de 2021, c’est comme ça. Si vous créez beaucoup de monnaies en 2020, évidemment que vous aurez l’impact sur les prix. Vous savez, il y a une proportionnalité entre la quantité de monnaie créée et la quantité des biens et services. Dès que cet équilibre est brisé et qu’il y a le déséquilibre, c’est ce qu’on appelle l’inflation. En termes simples, si la croissance de l’économie est à un niveau, lorsque vous devez créer de la monnaie qui est compatible à ce niveau, même si la création monétaire est trop forte par rapport à l’accroissement de la richesse, et bien c’est un déséquilibre. C’est ce déséquilibre qu’on appelle inflation.
Mosaiqueguinee.com : Est-ce que vous maintenez toujours votre disponibilité à briguer le poste de premier ministre du président Alpha Condé ?
Dr Ousmane Kaba : D’abord je ne l’ai jamais brigué. Encore une fois, i y a eu un sondage à l’approche de la mise en place de l’actuel gouvernement dirigé par Kassory, et une grande majorité des guinéens ont présagé ou pensé que j’ai le profil idéal pour être premier ministre. Je n’ai jamais demandé à quelqu’un d’être son premier ministre, moi.
Mosaiqueguinee.com : Oui, mais Dr Kaba, c’est vous qui aviez dit que vous êtes prêts à travailler avec votre grand frère, Pr Alpha Condé et que vous êtes prêts à être le premier ministre de la 4ème république ? Si Pr Alpha Condé vous fait appel, accepteriez-vous le poste ?
Dr Ousmane Kaba : Je ne peux pas répondre à cette question mais ce que je peux vous dire, c’est qu’il reste mon grand frère. Tout dépend de ce qu’on va dire, mais moi je ne peux pas vous répondre à une question qui n’est pas posée.
Mosaiqueguinee.com : Vous n’avez pas été contacté par des éléments de son entourage ?
Dr Ousmane Kaba : Je n’ai jamais parlé avec Alpha Condé pour le poste de premier ministre ni avec son entourage. Je n’ai discuté avec qui que ce soit, d’une histoire de premier ministre.
Mosaiqueguinee.com : Vous n’êtes donc plus intéressé par le poste de premier ministre ?
Dr Ousmane Kaba : Je ne suis intéressé à rien du tout. Pour le moment, je suis chez moi. À la présidence, on parle de son intérêt pendant l’élection, mais après c’est fini.
Mosaiqueguinee.com : Après plus de 10 années de pouvoir, quel bilan faites-vous de la gestion de Pr Alpha Condé ?
Dr Ousmane Kaba : Je pense qu’il faut être un peu objectif lorsqu’on fait une analyse purement politique. Si je jette un regard sur ce pays, et me demande au bout de 11 ans gestion d’Alpha Condé qu’est-ce que je pense de tout ça, honnêtement, je pense qu’il y a des progrès çà et là. Mais, la première chose qui me semble évidente, c’est l’effort d’investissement dans le domaine de l’énergie. Parce que, il y a eu quand même des grands barrages construits même si la demande totale n’est pas satisfaite, mais il y a un effort. Mais comme je le dis souvent, cet effort est un tout petit peu déséquilibré. Puisqu’en ce qui concerne les barrages, il n’y en a pas un qui a été construit en Guinée-Forestière ni en Haute-Guinée. Ce que je trouve déplorable, puisque tout ça représente 60% du territoire guinéen. Ceci dit, il y a eu un effort, c’est déjà un acquis et ce n’est pas mal. C’est ce que moi je vois. Le reste ? Le réseau routier se porte plutôt mal, ça se porte plus mal qu’avant 2010. Je ne dis pas qu’il n’y a pas d’effort dans ce domaine car il y a eu beaucoup de dépenses. Malheureusement, la construction des routes n’a pas été suivie, il n’y a pas eu de contrôle, la qualité laissait à désirer. Ce qui fait qu’autant on a dépensé, autant les résultats sont insignifiants dans le domaine routier.
Mosaiqueguinee.com : Il n’y a pas eu de progrès dans le secteur des mines?
Dr Ousmane Kaba : Mais si. Mais c’est évident, nous sommes passés de 20 millions à 80 millions de tonnes de production de bauxites. Ce que moi je dis, c’est que un, il n’y a pas autant d’impact financier dans le domaine de la contribution budgétaire, ça ne génère pas beaucoup d’emplois malheureusement et troisièmement, c’est demeurer des enclaves, c’est-à-dire l’effet d’entraînement sur l’économie n’est pas ce que l’on pense. C’est vraiment peu par rapport à la production sur le terrain. Ceci a des conséquences. Ces conséquences s’appellent impact environnemental et social. L’impact environnemental est déjà sérieux pour notre pays, faisons très attention. De grandes quantités de couvert végétal sont sacrifiées à tel enseigne qu’on risque une accélération de changement climatique dans le Nord de la Guinée. Vous savez, le monde est actuellement confronté au réchauffement climatique mais ça risque de s’accélérer dans cette partie de la Guinée et aussi Boké, Boffa, Telimelé, etc. Et, les terres cultivables se font rares, le déséquilibre climatique est là et bientôt, il sera difficile pour les paysans de faire l’agriculture, les éleveurs de faire l’élevage des bétails, etc. Ceci en est un impact très important et aussi un impact social du coup, parce qu’il s’agit des populations. Soit qui sont déplacées, soit que c’est la vie rurale qui est perturbée et ce sont des milliers de personnes. C’est pourquoi, je n’ai pas la même vision que beaucoup d’autres parce que moi j’ai une vision macroéconomique. C’est-à-dire, quand je vois le nombre d’emplois créés que je résume d’ailleurs à des manœuvres parce c’est la terre rouge qu’on transporte même s’il y a quelques cadres, mais de l’autre, il y a des milliers de paysans qui sont déplacés qui perdent leur opportunité de subsistance. Alors, quand on fait une analyse globale, il faut prendre en compte les uns et les autres. C’est la raison pour laquelle depuis des années, j’ai toujours dit que le gouvernement devrait faire un effort pour avoir des unités de transformation en Guinée. A la signature des contrats avec des compagnies, ces compagnies disent, à la demande des autorités, deux ou trois ans après, nous allons avoir une usine d’alumine. Mais aucune compagnie ne l’a encore fait. Ce n’est pas un problème qui a commencé au temps du professeur Alpha Condé, ça fait très très longtemps. Toute l’équipe qui a précédé son régime, les guinéens ont été incapables d’amener les grandes compagnies à faire des usines d’alumine. Je le sais puisqu’à un moment donné, j’étais membre du conseil d’administration de la CBG. Il faudra que nous fassions un effort, du côté de nos autorités, pour que la Guinée soit une terre de transformation de la bauxite, pas une terre d’extraction seulement.
Mosaiqueguinee.com : Que faut-il donc faire dans ce cas ? Que propose Dr Ousmane Kaba ?
Dr Ousmane Kaba : Faisons attention ! Je pense que le gouvernement devrait initier de la recherche dans nos universités pour voir vraiment, quel est l’impact de cette exportation très importante de la bauxite dans notre pays. Mettre des cercles de réflexion pour connaître par exemple quel est l’impact financier, environnemental. Des cercles de réflexions pour qu’on en parle, les guinéens ont besoin de connaître ces choses là. La Guinée appartient à tout le monde, ce n’est pas seulement pour les gouvernants, c’est aussi pour les gouvernés aussi. Mais, ce n’est pas seulement pour nous, c’est aussi pour nos enfants et nos petits enfants. Pensons-y donc.
Mosaiqueguinee.com : En 2022, la Guinée devrait organiser les élections locales ? Comment se prépare le PADES ?
Dr Ousmane Kaba : Le PADES se prépare comme tous les autres partis politiques pour ces élections si elles se tiennent à date. Nous nous réunissons et essayons de mener des activités sur le terrain. Mais, personnellement, je pense que le PADES se porte très bien sur le terrain, en termes d’acceptation par les guinéens. Quand je regarde ce qui s’est passé lors de la dernière élection présidentielle, le PaDEs a eu de bons résultats sur l’ensemble du territoire national. Cela m’encourage beaucoup même si les résultats publiés sont très différents des résultats qu’on a eus sur le terrain.
Mosaiqueguinee.com : Le PADES n’est-il pas sorti fracturé, peut-être même avec un pied cassé, à l’issue de la dernière élection présidentielle ?
Dr Ousmane Kaba : Non, pas du tout ! Simplement, le PaDEs a toujours existé, c’est moi qui parle un peu moins parce que j’ai estimé que nous avons suffisamment parlé pendant la présidentielle et que si le peuple a fait son choix, c’est decent donc de laisser un peu les choses se faire, j’ai appelé ça les vacances politiques.
Mosaiqueguinee.com : Dans l’émission Mirador, Dr Ousmane Kaba a justifié son acceptation de la victoire d’Alpha Condé afin d’éviter au pays la guerre civile. Pouvez-vous être plus clair ?
Dr Ousmane Kaba : Il n’y a aucune précision à apporter. J’ai jugé en ce moment que la situation était très tendue, on avait le risque d’une radicalisation. C’est pour cela que j’ai accepté de le faire. Si à l’époque on ne l’avait pas fait, j’ai pensé en tout cas, à tort ou à raison, que la Guinée allait avoir au-delà, de grandes difficultés, c’est tout.
Mosaiqueguinee.com : Aujourd’hui, quelle doit être la priorité du gouvernement ?
Dr Ousmane Kaba : Je pense qu’aujourd’hui, la priorité dans notre pays, c’est le dialogue politique. Parce que quand il n’y a pas d’apaisement politique dans un pays, le reste des politiques sectorielles devient un peu difficile et compliqué. La Guinée est dans l’impasse sur le plan politique et social. Je trouve ça dommage parce que quand on gagne une élection dans les conditions dans lesquelles cette élection s’est déroulée, on doit chercher beaucoup plus à apaiser, en parlant du côté du gouvernement. Puisque c’est le professeur Alpha Condé qui a gagné les élections, il faudrait tendre les mains pour apaiser le climat sociopolitique.
Mosaiqueguinee.com : A la mouvance, beaucoup estiment que le problème, c’est l’UFDG et l’UFR? Est-ce votre avis ?
Dr Ousmane Kaba : Il se trouve que c’est des grands partis de l’opposition. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que ces partis politiques représentent des proportions importantes de la population guinéenne, et c’est très important.
Mosaiqueguinee.com : Avec la crise de confiance entre acteurs politiques, le dialogue est-il toujours possible ?
Dr Ousmane Kaba : La réponse se trouve dans votre question. Sans faire jeu de mots, vous avez dit une crise de confiance, commençons alors par rétablir la confiance en essayant d’abord de libérer les prisonniers politiques ou du moins ceux qui sont innocents. Pour savoir qui est innocent et qui ne l’est pas, il faut faire le jugement. Quand on arrête les gens pendant 8 mois sans jugement, c’est qu’il y a un problème. Je ne dis pas que tout le monde est innocent parce que nous avons eu des actes de violence et de vandalisme qu’on ne peut pas nier. Cela n’est pourtant pas une raison pour arrêter et garder les gens sans jugement pendant très longtemps. Il s’agira donc d’aller non seulement vers ces deux partis mais aussi vers l’ensemble des acteurs politiques et sociaux concernés. Il faut parler à tout le monde.
Mosaiqueguinee.com : Le PADES a donc des exigences ?
Dr Ousmane Kaba : Non, d’abord ce n’est pas une question individuelle. Il faut que le gouvernement lance cette invitation et discute avec les gens pour voir dans quelle condition il pourrait avoir un dialogue. C’est un processus. Mais je pense qu’il faut apaiser si on veut aboutir. Vous savez, le problème n’est pas de commencer un dialogue avec le premier venu. Sinon, si on veut même en 48 heures, on peut faire un dialogue, il y aura toujours des partis qui vont se mettre autour de la table. Mais ce n’est pas cela la question. La question, c’est qu’est-ce qu’on veut obtenir et quels seront les résultats, c’est cela. Quand on veut de bons résultats, je pense qu’il faut que ce dialogue soit inclusif.
Mosaiqueguinee.com : Éducation/Depuis quelques années, l’État n’envoie plus de boursiers dans les universités privées. Avec le recul, pensez-vous qu’il a eu tort ? Quelle analyse faites-vous de l’enseignement supérieur en Guinée ?
Dr Ousmane Kaba : J’ai toujours quelques propos à dire sur l’enseignement supérieur en République de Guinée, du fait de ma position de fondateur de la première et de la plus grande université privée en Guinée. Parce qu’il y a ce qu’on appelle le conflit d’intérêt et le fait que ceux qui t’écoutent pensent que tu es guidé par une position partisane. C’est pourquoi, j’ai le scrupule de parler de l’enseignement supérieur en République de Guinée. Le constat que vous avez fait, c’est devant tout le monde, ce n’est pas moi qui l’ai inventé. Ce que je sais, c’est qu’à un moment donné, les autorités n’ont pas compris l’apport des universités privées. On a dit, bon on envoie de boursiers dans les universités privées mais en même, elles avaient dit qu’elles allaient beaucoup investir dans les infrastructures. Vous vous rappelez de, quand le ministre Yéro promettait que quatre grandes universités publiques allaient être construites. Aujourd’hui, où nous en sommes ? Ce que je sais, c’est qu’une bonne université qui travaille bien peut vivre même sans le système boursier de l’État. Ce qui est le cas de l’université Koffi Annan. A cause de la qualité de ce que nous faisons, il y a beaucoup de parents, même si leurs enfants sont théoriquement boursiers, qui préfèrent aller payer à l’université Koffi Annan, pour avoir une éducation de qualité satisfaisante. C’est ce que je fais, mais je ne peux pas donner un avis global sur le système de l’enseignement supérieur guinéen, pour des raisons de conflit d’intérêts.
Mosaiqueguinee.com : La recherche scientifique en Guinée, on en parle moins. Que faut-il faire pour redynamiser ce secteur ?
Dr Ousmane Kaba : En ce qui concerne la recherche, je pense que c’est un impératif pour un pays qui veut se développer. La recherche universitaire comme toutes les recherches, a pour objectif de donner des solutions aux problèmes qui se posent dans le pays. Et aujourd’hui, nous avons suffisamment de problèmes. Je pense que le gouvernement devrait être attentif à la recherche dans les domaines des sciences médicales, pour que la Guinée puisse apporter son expérience. Nous avons des jeunes chercheurs, des personnes capables dans nos universités et centres de recherche. Ces personnes manquent souvent de moyens, je pense qu’il faut le faire. Dans le domaine de la recherche agricole, lorsque le professeur Alpha Condé est venu, nous avons fait un effort dans ce sens dans les centres de recherche des semences améliorées, il y a eu des efforts par rapport à ce qui se faisait auparavant. Ces efforts doivent être soutenus. Pour que notre agriculture puisse se porter mieux, il faudrait faire des recherches, car il faut avoir des semences qui s’adaptent à la pédologie en République de Guinée. C’est-à-dire la nature des sols que nous avons, au climat, etc. C’est ce qui permet d’augmenter les rendements par paysan.
Interview réalisée par Mohamed Bangoura