Depuis que le parti au pouvoir a exprimé sa volonté d’accorder un autre mandat au président actuel, la Guinée traverse une crise politique profonde.
La création du front national pour la défense est d’ailleurs une réponse donnée par des acteurs politiques de l’opposition et d’activistes de la société civile à ceux qui veulent un mandat de plus pour le Pr Alpha Condé.
Depuis, de nombreuses personnes ont perdu la vie suite aux différents appels à manifester pour empêcher le locataire de se représenter comme candidat du RPG Arc-en-ciel.
Pour mieux cerner la situation du pays, un de nos reporters est allé à la rencontre de l’ancien président de l’INIDH.
Avec Dr Mamady Kaba Bonjour, enseignant chercheur et ancien président de l’INIDH, nous allons faire un survol de l’actualité sociopolitique du pays.
Lisez !
Mosaiqueguinee.com : Dr Kaba, vous suivez de près la situation politique de la Guinée est-ce que la démocratie tant recherchée par les guinéens depuis l’indépendance est aujourd’hui menacée ?
Dr Mamady Kaba : La Guinée avance dangereusement vers l’inconnu et l’on se pose de nombreuses questions sur l’aboutissement du scenario politique que constitue la question d’un troisième mandat pour le Président Alpha Condé. Les doctrinaires et les chercheurs semblent à bout de souffle et des prédictions fusent de partout et vont dans tous les sens. La question au centre de toutes les préoccupations est celle de savoir ce que l’avenir réserve à la pauvre Guinée. L’hypothèse la plus plausible et qui fait consensus, peut se résumer en un mot : « DANGER ».
Et pourquoi cela représente un danger ?
Après les indépendances, la Guinée s’est vue prise entre plusieurs courants et les choix politiques étaient plus basés sur la nécessité que sur la conviction. Un Parti-Etat sans contrepouvoir a accouché d’une nation résignée, habitée par la peur du lendemain et totalement désespéré de toute perspective démocratique, au vrai sens du terme. Ce puissant régime bâti pierre sur pierre durant vingt-six années, dont une grande partie dans le tâtonnement, s’est effondré avec le décès de son fondateur, le Président Ahmed Sékou Touré. Sur les ruines du Parti Démocratique de Guinée, une junte militaire a émergé et a promis plus de démocratie et de droits humains au peuple afin d’abuser de la naïveté de celui-ci. Une puissante opposition constituée d’intellectuels de haut niveau et de militants convaincus et déterminés a profité de la conférence de Baule pour susciter un renouveau démocratique et une constitution garantissant l’alternance démocratique. Cette dynamique va souffrir d’élections frauduleuses, de répression ou d’usage disproportionnée de la force contre les militants pro démocratie, d’arrestation d’opposants, puis, de modification rétrograde de la constitution pour servir les intérêts du clan au pouvoir. Cet autre régime va s’effondrer avec le décès de son fondateur, le Général Président Lansana Conté. Une junte dirigée par le capitaine Moussa Dadis Camara a promis monts et merveilles au peuple (…). En lieu et place de ces belles promesses, le peuple de Guinée a eu droit au Dadis show et à la tentative de confiscation du pouvoir au détriment de la Démocratie et de l’alternance, les massacres du 28 septembre, la tentative d’assassinat du Capitaine Dadis et le lot de psychose qui s’en est suivi.
Arrivé au pouvoir à la faveur d’une élection démocratique, le Professeur Alpha Condé a promis d’être le Mandela de la Guinée, de combattre la corruption et la mal gouvernance, de conduire un processus fiable de Réforme des armées, de la justice, ainsi qu’une réconciliation nationale irréversible. En lieu et place, le peuple a eu droit à la remise en cause des acquis de la transition, la caporalisation des institutions républicaines, la promotion du militantisme et du prosélytisme au détriment de la compétence et de l’attachement aux valeurs républicaines, la répression violente des manifestations politiques entre autres.
Selon de nombreux observateurs les guinéens se battent aujourd’hui contre un président et non contre un système. Est-ce que vous avez la même appréhension des choses ?
Les guinéens se sacrifient pour obtenir le départ d’un Président qu’ils jugent mauvais et non pour l’avènement d’un Président capable d’agir autrement : le nouveau reproduit toujours les comportements de son prédécesseur et pousse le peuple à recommencer la même lutte, pour les mêmes raisons et avec les mêmes conséquences macabres. Les guinéens font du pilotage à vue et non de la gestion par anticipation. Les guinéens se servent des instruments de la démocratie pour promouvoir le culte de la personnalité et, à terme, l’autocratie et la dictature. Les guinéens servent des individus et non des valeurs. Les partis politiques guinéens produisent des autocrates et non des républicains. Les partis politiques sont des entreprises privées au service du leader et non des alternatives en faveur de la consolidation de la démocratie. Les partis politiques promeuvent des personnes providentielles au détriment de l’alternance démocratique. Les pouvoirs guinéens refusent la critique, de même que les partis d’opposition. Pour le pouvoir, comme pour l’opposition en Guinée, celui qui n’est pas avec soi est nécessairement contre soi : la neutralité est synonyme de lâcheté. La société civile est nécessairement un appendice, soit du pouvoir, soit de l’opposition et jamais une entité à part entière qu’il faut accepter comme juge et non partie.
Dr Kaba si je comprends bien les piliers de la démocratie en Guinée, que sont les institutions républicaines et les partis politiques ne croient pas en la démocratie ?
Les institutions d’Etat sont au service de celui qui est au pouvoir et méprisent les lois de la République, notamment quand celles-ci vont à l’encontre de l’être providentiel au pouvoir. Les partis politiques travaillent à faire remplacer celui qui est au pouvoir par leur leader au lieu de défendre des valeurs, c’est d’ailleurs ce qui explique les transhumances nauséabondes et les animosités entre militants de bords différents ; ce sont les êtres providentiels produits par les partis politiques qui deviennent les êtres providentiels au pouvoir. Comment voulons-nous que des leaders prophétiques, incontestés, incontestables et inamovibles à la tête des formations politiques à la conquête du pouvoir puissent accepter d’être contestés et amovibles une fois au pouvoir.
Dr Kaba pensez-vous qu’un dialogue et une période de transition seraient nécessaires pour la Guinée ?
Plus que jamais, les guinéens finiront par se convaincre de la nécessité d’un dialogue politique profond (une sorte de conférence nationale à la guinéenne), suivi d’une période de transition destinée à la refondation de l’Etat guinéen afin de garantir l’égalité des chances quel que soit l’origine ethnique ou régionale du candidat, ainsi que des règles solides en faveur de la consolidation de la démocratie et de l’Etat de droit en Guinée.
Selon vous, pour que la Guinée sorte de cette crise, l’alternance doit prendre sa source au sein des partis politiques ?
Les partis politiques doivent cesser d’être des industries à produire des leaders providentiels, incontestés et inamovibles, ayant droit de vie et de mort sur les militants de leurs formations politiques. Le départ du Président Alpha Condé, oui, oui et oui, mais vivement son remplacement par un leader non providentiel, sorti d’une école qui enseigne l’importance de la dialectique et de la lutte des contraires comme fondement du progrès républicain fondé sur l’alternance démocratique à la tête des États.
Entretien réalisé par Hadja Kadé Barry