Il y a deux ans, le Comité National du Rassemblement pour le Développement prenait le pouvoir, à la suite d’un coup d’Etat.
Ces militaires ont pris le pouvoir dans un contexte où les droits et libertés des citoyens étaient malmenés par le régime d’Alpha Condé.
D’ailleurs, lors du discours de prise du pouvoir le 5 septembre 2021, les nouvelles autorités avaient mis en exergue certaines de ces allégations. Ils s’étaient donc engagés à changer la donne en faisant de la justice, la boussole de la transition, rappelle l’OGDH à travers son chargé de communication.
Dans un entretien accordé à mosaiqueguinee.com, Alseny Sall, a fait le bilan des deux ans du CNRD au pouvoir, en matière des droits de l’Homme.
Mosaiqueguinee.com : ce 5 septembre 2023 marque l’an 2 de la prise du pouvoir par le CNRD. Quel état des lieux faites-vous de la situation des droits humains en Guinée ?
Alseny Sall : Nous pensons qu’il y a quelques efforts à saluer et à encourager. C’est le cas notamment de la création des conditions pour l’organisation du procès dans l’affaire des massacres du stade dont le procès s’est ouvert le 28 septembre 2022, ce, 13 ans après les faits qui pour nous est un point positif qu’il faut mettre à l’actif du CNRD, même s’il reste encore plusieurs phases importantes qui n’ont pas encore été abordées dans ce procès emblématique ! Il y a notamment la question des fausses communes, du transport judiciaire au stade, la confrontation entre les accusés ou encore entre les accusés et les victimes sans oublier les témoins. Pour nous, un des défis qui reste posé aujourd’hui pour la continuité de ce procès reste la capacité des autorités à continuer à mobiliser des ressources financières pour supporter les charges du procès car vous n’êtes pas sans savoir que ces derniers temps le procès a connu des perturbations dans ce sens. Nous espérons que la même volonté politique qui a conduit l’ouverture de ce procès en cette phase de transition pour juger des crimes commis à l’occasion d’une autre transition qui sonne pour nous comme une espèce de rupture va continuer jusqu’au bout de ce procès conformément aux engagements de notre pays devant la communauté internationale.
Concernant la lutte contre les crimes économiques, nous avons apprécié l’idée de la mise en place de la CRIEF. Mais, la lenteur qui caractérise le traitement de la plupart des dossiers visant des anciens hauts commis de l’Etat privés de leurs libertés depuis plusieurs mois poursuivis par devant la CRIEF est également préoccupante. Car comme vous le savez, le droit d’être jugé dans un délai raisonnable figure parmi les droits fondamentaux de chaque citoyen.
Pendant ce temps, on reproche aux autorités de la transition le fait de n’avoir pas déclaré leurs biens. Est-ce qu’une préoccupation pour vous aujourd’hui ?
La non déclaration des biens du Président de la transition, des premiers responsables des institutions républicaines, des membres du gouvernement et des responsables des régies financières conformément à l’esprit de la Constitution de 2010, même si cela n’a pas été prévu par la Charte de la transition est une préoccupation. Car, à notre avis, une telle mesure allait donner le ton dans ce domaine. Le constat dans notre pays, c’est la vitesse à laquelle les conditions de vie de nos hauts commis de l’État changent lorsqu’ils arrivent aux affaires pendant que la majorité du peuple tire le diable par la queue. Pour nous donc, une telle déclaration contribuerait à renforcer la bonne gouvernance et lutter contre les enrichissement illicites.
Les manifestations sont interdites depuis la prise du pouvoir par le CNRD. Quelle lecture en faites-vous ?
Sur le cas spécifique de la restriction de l’espace civique et le harcèlement judiciaire des militants pro-démocratie, la situation reste également préoccupante pour nous. Car, la plupart des pratiques dénoncées dans l’ancien système a refait surface malheureusement. C’est-à-dire, l’interdiction systématique du droit de manifestation, la réquisition des forces de défense de sécurité pour assurer le maintien d’ordre, le harcèlement judiciaire contre les militants pro démocraties ou encore la lenteur des enquêtes sur les allégations de violations des droits humains commis par les forces de maintien d’ordre.
Après tout ce que vous venez de citer, est-ce qu’on peut dire que la justice est indépendante ?
Nous pensons que des efforts doivent être fait pour réduire l’influence de l’Exécutif sur le judiciaire par le renforcement de l’indépendance des magistrats dans l’exercice de leur fonction. Nous pensons aussi que l’indépendance de la justice suppose que nous avons des magistrats compétents et aguerris, dont les nominations doivent tenir compte des critères de compétences et de probité. Nous pensons également que l’indépendance de justice dépendra de la capacité de nos magistrats à prendre leurs responsabilités pour jouir de l’indépendance que la loi leur confère dans l’exercice de leur fonction pour la protection des droits et libertés des citoyens.
Quelle solution pour protéger les droits humains en Guinée ?
Pour nous la solution réside dans la volonté politique, car tout dépend de l’intérêt ou encore de l’importance que les autorités accordent à chacun de ces sujets. Nous rappelons qu’en matière des droits de l’homme, c’est l’État qui a l’obligation de respecter, de faire respecter et de réaliser les droits de tous et de chacun. C’est pourquoi nous pensons que la volonté doit se matérialiser par des politiques et programmes cohérents qui peuvent être soutenus par nos partenaires dans le domaine des droits de l’homme.
Entretien réalisé par Doura