L’année 2019 ne s’est pas achevée dans une ambiance de fête de fin d’année en République de Guinée. Grève des administrateurs civils (enseignants), question de mandat des élus, les démonstrations de force entre les pour et les détracteurs d’une révision constitutionnelle, la création d’un front contre un éventuel mandat du président Condé, etc.
La société exacerbée par la paralysie fréquente de ses activités quotidiennes, exprime son inquiétude sur l’avenir du système de gouvernance (alternance politique). Du coup on ne peut qu’espérer que l’année 2020-2021 soit meilleure et pas pire pour notre pays, dont nous avons tous intérêt à préserver la paix et quiétude sociale.
Passons sur la complexité technique d’un projet de la loi mère, que le gouvernement a trop tardé à rendre explicite. Concentrons-nous sur le processus. Dans un pays qui se veut démocratique que soit le gouvernement ou de l’opposition en passant par les acteurs sociaux, devraient être capables d’engager une négociation sur un sujet aussi important que celui de la constitution. Une négociation peut être difficile mais doit viser au final un consensus dans l’intérêt supérieur de la république. D’une part, un président et son gouvernement qui ont engagé une réforme constitutionnelle sans préciser en profondeur tout de suite certains articles et leurs conséquences, notamment ceux liés à la succession du pouvoir. D’autre part, nous avons une opposition dépourvue du sens de négociation, par principe, à ce qui vient d’en haut. Du coup, la résistance s’organise alors autour de la rue, un droit tout à fait légitime dans un régime démocratique comme définie dans la charte des droits de l’Homme : « Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association ». Alors, distinguons de la manifestation de l’attroupement, qui est un rassemblement de personne sur la voie publique ou dans un lieu public susceptible de troubler l’ordre public. Il y a en démocratie un principe fondamental : le respect de l’autre (ceux ou celles qui ne souhaitent pas manifester ne doivent à n’aucun cas être perturbé(e)s), l’interdiction de la violence. Ce système de gouvernance, au sens rigoureux du terme, ne désigne aucunement la souveraineté populaire, mais le type de gouvernement dans lequel, c’est le peuple lui-même dans sa totalité qui applique les lois. De même que le principe de la liberté d’expression est inaliénable, cependant il doit être exercé dans le respect strict des lois en vigueur. La réalité est toute autre, parce que, lors des manifestations autorisées ou non, c’est tout un pays ou toute une ville qui est paralysé(e) accompagnées parfois par la destruction des biens et des pertes des vies humaines. Parce que, le concept de démocratie est très mal appréhendé. Pour la bonne pratique de ce système de gouvernance, les valeurs sociologiques de notre société doivent être prises en compte.
Rappelons l’analyse de J. J. Rousseau dans « le contrat social » concernant l’avis particulier et la volonté générale au sein du parlement : « quand on propose une loi dans l’assemblée du peuple, ce qu’on leur demande n’est pas précisément s’ils approuvent la préposition ou s’ils la rejettent, mais si elle est conforme ou non à la volonté générale qui est la leur ; chacun en donnant son suffrage dit son avis là-dessus, et du calcul des voix se tire la déclaration de la volonté générale. Quand donc l’avis contraire au mien l’emporte, cela ne prouve autre chose sinon que je m’étais trompé, et que ce que j’estimais être la volonté générale ne l’était pas. Si mon avis particulier l’eût emporté, j’aurais fait autre chose que ce que j’avais voulue, c’est alors que je n’aurais pas été libre ». Ce qui montre que la volonté générale n’est pas, en effet, la volonté de tous. Autrement, la volonté générale (peuple) servie par la loi et guide la politique conduite par l’État, dont la mission principale est de déterminer et de défendre l’intérêt de tous.
Dans un pays démocratique comme le nôtre, la volonté générale doit être élaborée grâce au jeu des instances représentatives. Cependant, le scrutin constitue une période essentielle dans la prise des décisions collectives. De la somme des voix résulte alors une majorité et une minorité. C’est ainsi que le principe de légitimité repose sur la majorité. Ce fait majoritaire clarifie la prise de décision et remplace l’exigence d’unanimité.
Les événements de la vie politique en République de Guinée ont impacté la cohésion sociale dans le quotidien. Cette fragilisation de la sphère politique est visible à travers des termes « ismes » notamment le repli en soi des uns aux autres dans une République indépendante, souveraine, unitaire, laïque, indivisible, démocratique et sociale. Chose qui ne devrait en effet s’interposer entre les citoyens. En outre, le lien social, au sens large, c’est ce qui construit et renforce la capacité de vivre-ensemble. Cette fragilisation se caractérise par une méfiance des uns aux autres. D’ailleurs, aux yeux de nos concitoyens, ce qui vient des politiques est sale, ce qui vient des journalistes est douteux mais ce qui vient des acteurs sociaux est réputé et pur. Cherchons les éléments de réponse à des difficultés liées à la question d’alternance politique dans la composition et l’organisation des primaires au sein des partis politiques de notre pays.
La manière dont les primaires sont entamés ne permet pas d’avoir une succession à la magistrature suprême. Une élection primaire consiste à désigner le candidat qui représentera le parti à une élection, réservée aux seuls détenteurs de la carte du parti. C’est-à-dire, les militants. Certains partis élargissent le nombre d’électeurs afin d’avoir quantitativement un nombre représentatif pour plus de légitimité du candidat au niveau national. D’où l’idée d’une élection ouverte aux sympathisants comme le cas de la gauche en France. Cette désignation n’est qu’une simple formalité par manque d’un véritable concurrent comme lors des primaires des Démocrates aux États-Unis ou des Républicains en France. Or ce qu’on constate lors des congrès électifs en République de Guinée, le phénomène du « grand homme » par lequel le parti devient son fief. Ce dernier a tendance à considérer le parti comme leur bien au même titre qu’une voiture personnelle. Dans ce contexte, le président du parti influence à travers son poids sur la désignation des personnes censées diriger le parti. Pour ce faire, certains militants auront la peur de contester son leadership lors des congrès électifs de leur famille politique par crainte d’être considérés de rebelles, voire de traîtres. Ceux qui trouvent ce comportement du chef comme injuste sont et seront prêts à prendre des risques de démissionner du parti pour rejoindre le camp adverse ou créer leurs propres mouvements politiques. Cette imposition a occasionné, d’une part, le conflit interne entre les membres du bureau exécutif. D’autre part, certains cadres ont claqué la porte, parce que, les principes du consensus n’ont pas été démocratiques. Il faut signaler que les présidents des partis politiques sont des principaux bailleurs du parti dans la plupart des partis politiques de notre pays. Or cette influence du chef peut non seulement déposséder les militants de leur pouvoir symbolique, mais elle enracine des modes de gouvernance contraire à l’épanouissement d’un parti souverain. Elle provoque aussi le manque de compétition à l’interne du parti, ce qui ne favorise pas la promotion de nouvelles figures.
D’autres constats que nous pouvons faire est dans l’exercice du pouvoir de manières globales, les adversaires politiques reproduisent les mêmes défauts qu’ils reprochaient au gouvernement antérieur. Que soit l’opposition ou le pouvoir, nous avons l’impression que le pouvoir social est subordonné à l’occurrence du pouvoir politique et économique. En conséquence, la vie politique s’inscrit dans un registre divers, d’où on peut retrouver les éléments comme : le régionalisme, l’instrumentalisation politique de l’ethnicité, la prévarication, le communautarisme, la prédominance des avantages individuels par rapport à l’intérêt général. Or, le vivre ensemble s’oppose à tout ce qui peut fragiliser ou rompre la sociabilité et tend à diviser la société à des groupes d’individus isolés et désolidarisés qui impactent négativement la société tout entière.
Les mouvements de contestations socio-politiques ont participé à l’affaiblissement du tissu social au sein de notre société. La manière dont les leaders politiques mènent la lutte pour l’intégration des normes de gouvernance par les principes démocratiques ne permet plus de faire une distinction entre une promotion de l’entre-soi et les causes démocratiques. L’affirmation de droits individuels comporte, toutefois, des menaces qu’on retrouve dans le terme de « communautarisme ». Affirmer l’existence de normes particulières risque d’enfermer les individus dans leur particularisme, de les assigner à un groupe, à l’encontre de leur liberté personnelle (Dominique Schnapper, La République face aux communautarismes, 2004/2)
Comment pourrait se reconstituer un système politique garantissant l’alternance politique à l’interne des mouvements politiques jusqu’à la magistrature suprême ? Seule la lutte de toutes et de tous dans l’union pourrait mettre fin à des violations perpétuelles des normes juridiques et morales de notre pays.
Sory KOUROUMA, sociologue