De par son style de vie de citadin cosmopolite, très ouvert, bon vivant, élégant, sympathique, généreux, humain, sociable, attachant avec les humains mais peu attaché au matériel et à l’argent, de par ses qualités d’animateur, digne des grands humoristes, et de rassembleur, Sanguinaire était une véritable légende urbaine vivante.
Sangui, comme ses proches l’appelaient affectueusement, est né au début des années ’70 en Côte d’Ivoire et plus précisément à Abidjan, dans la famille Kaba. Originaire de Karifamoria, tout près de Kankan, ses parents étaient des Maninka Mori conservateurs, imprégnés des valeurs religieuses de l’Islam et d’une culture libérale du commerce, qui avaient quitté la Guinée pour s’établir en Cote d’Ivoire . Son père, Bakary Dian Kaba, était un grand marabout et un sage notable de la communauté guinéenne en Cote d’ivoire, C’est suite à l’avènement de la deuxième République, qui favorisa le retour des Guinéens vivant dans les pays limitrophes, qu’Amara Diakite Kaba rentra en Guinée où, dans les années 90, il fut hebergé et scolarisé au lycée 2 octobre par son cousin maternel, Dr Ousmane Kaba . Suite au déménagement de son tuteur à Nongo, il pousuivuit ses études secondaires au lycée Kipe . Après l’ obtention de son bac, il intégra l’ institut de formation professionnelle de l’Université Kofi Annan à Nongo, où il décrocha un Master en gestion et en informatique.
En raison de sa maîtrise de l’outil informatique et sa loyauté envers Dr Ousmane Kaba , son mentor le recruta comme un proche collaborateur en tant qu’ assistant et chef protocole pendant plus de vingt ans . Il a toujours exprimé pour son grand frère et employeur Dr Ousmane Kaba sa reconnaissance, sa loyauté et fidélité. En dehors de ses occupations professionnelles, ce natif du grand quartier cosmopolite de Youpougon à Abidjan, était très impliqué dans les activités de loisirs où se côtoyaient ses amis, ses ai^nés et ses cadets; avec Sangui, les hauts cadres étaient assis aux côtés des ouvriers et des chômeurs, sans aucune distinction en termes de rang social et du point de vue ethnique. Ses amis appartenaient à toutes les catégories professionnelles, toutes les régions et ethnies de Guinée, sans compter ses amis ivoiriens, togolais et béninois. Partout où il passait, il devenait animateur en faisant rire tout le monde avec son sens de l’humour ivoirien. Dans un contexte de surcommunautarisation et de forte bipolarisation de la vie politique , où les clivages sont amplifiés et entretenus par les leaders politiques, Sangui fait partie de ces jeunes Guinéens qui ont pu transcender la division ethnique, en réfusant de s’inscrire dans un camp contre un autre pour adhérer à une pensée unique. C’est en cela qu’Amara Diakite Kaba est un rassembleur. Certains de ses amis partageaient cet esprit: Hassane Bah, Billy Nankouma Condé, Dr Diallo Gentile, Djiba Traoré Jr, Mama Sow, Lamine Sackho dit Prési, Fori Boubah Dramé, Commandant Donzo, Baldé dit Baldini, Serge Ntamak et ses petits Aliou Bah de l’impôt, Petit Bah policier, Abdoulaye Bah sénateur, Kalil Kaba dit Général, Madou Kaba
Avec moi, il a toujours montré une amitié sincère qui transcendait nos différences, d’un point de vue ethnique mais aussi dans notre parcours existentiel. En me sachant intellectuel (on s’est rencontré à l’Université Kofi Annan, où j’étais un jeune Doyen de la Faculté des Sciences Sociales ) il m’offrait tous les livres qui lui tombaient sous la main, tout en me taquinant: « Docteur, il faut sortir de ta bouquinerie avec Ester! »
Sangui était très grand, mince, élancé et toujours tiré à quatre épingle. Imprégné de la culture urbaine d’Abidjan, caractérisée par la sape et le boucan, il a initié un style vestimentaire qu’il qualifie de sapologie dont il faisait la promotion sur les réseaux sociaux. Son élégance et son talent de séducteur ne laissaient pas indifférentes la gente féminine et il aurait pu se servir de son charme pour partir en Occident ou vivre de manière aisée et paisible dans des contextes luxueux. Mais ce n’est ni le luxe, ni l’argent qui intéressaient Sangui. Il ne voulait pas se détacher de sa communauté urbaine du milieu populaire, imprégnée de culture du ghetto et caractérisée par la solidarité. Sangui n était pas non plus un arriviste prétentieux, à l’image de beaucoup de Guinéens qui courent après les promotions en vue de s’enrichir rapidement de manière illicite. Il faisait plutôt la promotion de ses amis intellectuels, tel que moi même ou le ministre Bill de Sam, qui lui a d’ailleurs rendu la monnaie en s’occupant de lui lorsqu il était malade.
Sangui se contentait de ce qu’il gagnait pour vivre heureux: comme il aimait le dire, sa philosophie de la vie était ecupurienne, visant à savourer .la joie de l’instant présent. Beaucoup de gens n’ont pas compris Sangui, surtout les membres de sa communauté, parce qu’ils étaient très différents. Il faisait parfois semblant de se montrer sévère et dur envers les plus jeunes, en particulier les étudiants. Il respectait tout le monde, mais n’acceptait pas non plus d’être toisé et humilié en public. Il demandait rarement des services ou de l’argent aux gens: il était très fier à sa manière, comme un timide qui protège son orgueil et sa dignité. Il cachait certainement un malaise, un désespoir qu’il transformait en énergie positive et en sympathie, qu’il partageait avec tout le monde. Sa courte vie ressemble à une mise une mise en scène théâtrale où il jouait le rôle d’un personnage qui a été utile pour tout le monde. Étant divorcé, Sangui s’est retrouvé dans une solitude adoucie par son grand frère Djibril et son unique fille, qui étaient constamment à son chevet. Malgré cela il a affronte cette maladie avec courage et dignité, sans demander ni faire de reproches à qui que ce soit et en se contentant parfois de petites aides apportées par ses amis et ses petits. Son repos éternel sera sans doute accompagnée par la bénédiction de sa mère, Fatoumata Kaba, de laquelle il s’est occupé avec affection, en l’accueillant chez lui pendant les dix dernières années de sa vie.
Que son âme repose en paix!
Abdoulaye Wotem Sompare |