Vacances judiciaires, détérioration de la santé des détenus politiques en prison, programmation de leur dossier, saisine des juridictions supranationales, voilà autant de sujets que nous avons abordés avec Me Mohamed Traoré, un des avocats en charge de la défense de plus d’une quarantaine d’opposants en détention préventive à la maison centrale ou ayant bénéficié d’une libération conditionnelle. Dans cette interview exclusive, l’ancien bâtonnier évoque aussi un des sujets qui a fait grand bruit dans la presse, l’interdiction qui serait faite aux avocats de la défense des détenus politiques de communiquer dans les médias.
Mosaiqueguinee.com : Les vacances judiciaires ont débuté ce mois d’août. Quel est le sort réservé à vos clients ?
Me Mohamed Traoré : C’est avec beaucoup de peine que nous constatons que les détenus vont devoir attendre un mois supplémentaire avant d’être situés sur leur sort. Les vacances judiciaires s’étendent sur la période du 1er au 31 août. Très généralement, le mois de septembre qui est considéré comme celui de la rentrée judiciaire est un mois » creux ». Les activités ne reprennent pas de façon effective après le retour des vacances. Il y a toujours une période de flottement avant la reprise effective des audiences. C’est dire qu’il y aura en réalité deux mois pendant lesquels les intéressés seront encore détenus sans procès. C’est pénible. On a l’impression que tout cela est fait dans le but de les faire craquer. Je trouve même qu’il y a un peu de cynisme dans tout cela. Sinon ce procès aurait pu se tenir déjà et on aurait avancé dans les débats à défaut d’arriver à une décision. En tout cas, nous, avocats, sommes prêts depuis longtemps et nous n’attendons que l’ouverture du procès pour démontrer la vacuité de ce dossier. Mais c’est peut-être ce que certains ne veulent pas. Ils ne souhaitent pas que la vérité éclate au grand jour. C’est pourquoi, ils retardent la tenue du procès. Peut-être qu’ils ne veulent même pas qu’il y ait un procès.
Mosaiqueguinee.com : Quel est aujourd’hui l’état de santé des détenus encore en prison ?
Me Mohamed Traoré : Beaucoup d’entre eux sont malades. Et cela se comprend. Quand on n’est pas habitué aux conditions de vie carcérales, on est exposé à toutes sortes de difficultés au plan de la santé. Le souhait de tous ces détenus aujourd’hui, c’est d’être jugés afin qu’ils soient situés sur leur sort. Il est anormal qu’on continue à les priver de liberté sans procès, dans le seul but de les briser moralement et d’en tirer un profit politique par la suite.
Mosaiqueguinee.com : Avez-vous demandé au parquet la programmation de leur dossier pour jugement ?
Me Mohamed Traoré : Au début, nous avions demandé au procureur de la République de programmer le procès. Il nous avait répondu à l’époque qu’il était à la recherche d’un financement pour la tenue du procès. Mais depuis qu’on a compris que ce dossier est plus politique que judiciaire et que le procureur de la République n’est pas le véritable maître du jeu, nous avons cessé de lui adresser des demandes. C’est difficile pour un avocat de constater dans un dossier que son travail n’a aucun impact sur le cours de la procédure. Malheureusement, c’est cela la réalité aujourd’hui.
Mosaiqueguinee.com : Pourquoi la défense n’a toujours pas saisi les juridictions supranationales ?
Me Mohamed Traoré : On (les avocats en charge de la défense) n’a pas eu l’occasion d’en parler encore.
Mosaiqueguinee.com : Dernière question. Un sujet qui a fait grand bruit dans la presse. Le conseil de l’ordre des avocats de Guinée a-t-il interdit aux avocats de la défense des détenus politiques de communiquer dans les médias ?
Me Mohamed Traoré : Aucune interdiction ne m’a été notifiée dans ce sens. Je peux considérer donc, qu’il n’y a pas d’interdiction. D’ailleurs, nous connaissons et maîtrisons parfaitement les règles qui encadrent la communication des avocats dans les médias. Les institutions ordinales ne peuvent donc interdire à un avocat de s’adresser à la presse dès lors que celui-ci se conforme à ces règles. Le bâtonnier et le conseil de l’Ordre doivent veiller au respect scrupuleux de ces règles pour préserver la dignité de la profession. Ils peuvent dans ce sens faire des recommandations, donner des conseils, faire des admonestations paternelles, et éventuellement sanctionner, quand il le faut mais ils ne peuvent pas interdire l’intervention des avocats dans les médias. Et je crois que le bâtonnier s’est limité au rappel des règles prévues en la matière. C’est tout.
Interview réalisée par Mohamed Bangoura