L’accord cadre GUINÉE/CHINE prévoit le financement par la Chine de 20 milliards de dollars d’infrastructures en Guinée. La somme pouvant être progressivement décaissée entre 2017 et 2036. En échange, la Guinée accordera des concessions minières à des entreprises chinoises.
Parmi les projets prévus dans l’accord figurent une raffinerie d’alumine de China Power Investment Corp et deux mines de bauxite pour Aluminium Corp of China (chinalco) et China Henan International Cooperation Group, rapporte Reuters, qui précise que ces trois projets seront situés près de la ville de Boffa.
Projets d’infrastructure: L’argent doit financer la reconstruction de la route Coyah-Mamou-Dabola d’un coût de 329 millions ; la réhabilitation des voiries et de l’assainissement de Conakry pour 200 millions de dollars ; le démarrage de la reconstruction de quatre universités pour plus de 300 millions de dollars ; l’interconnexion du réseau électrique avec la Haute-Guinée pour 250 millions de dollars.
Les fonds prévus dans cette première enveloppe sont principalement destinés à la construction d’un parlement guinéen et à l’extension de l’hôpital de l’amitié sino-guinéenne, selon le ministre des Investissements. Le ministre a en outre annoncé que la construction du barrage hydroélectrique de Souapiti allait faire l’objet d’une signature entre les deux gouvernement dans les prochains jours.
QUEL EST CE NOUVEAU MODE DE FINANCEMENT DU DÉVELOPPEMENT ?
Au cours du boom des matières premières sur les vingt dernières années, de nombreux gouvernements et entreprises publiques des pays en développement ont signé d’importants accords de « prêts adossés à des ressources naturelles » (en anglais resource-backed loans, ou RBL). Grâce à ces prêts, les gouvernements ont accès à des financements en échange de futurs flux de revenus issus de leurs richesses naturelles telles que le pétrole ou les produits miniers, ou d’une garantie s’appuyant sur ces ressources. L’étude 2020 de NRGI sur les RBL, qui explore l’expérience des emprunteurs de RBL en Afrique subsaharienne et en Amérique latine entre 2004 et 2018, a révélé que le montant des prêts RBL octroyés par des entités chinoises s’élevait à 152 milliards de dollars, soit plus de 90 % du montant total des prêts identifiés comme RBL.
NRGI et d’autres organisations ont fréquemment critiqué l’opacité des opérations RBL. Lors de notre étude, nous ne disposions pas de toutes les informations essentielles, telles que le taux d’intérêt, de 33 contrats sur les 52 étudiés, et un seul document de prêt était accessible : le prêt de Sicomines signé en 2011 par la République démocratique du Congo (RDC). Cependant, depuis la publication de notre rapport il y a un an, des signes de progrès vers la transparence sont visibles.
Au début du mois, AidData a rendu accessible un nombre important d’accords de prêt entre des entités chinoises et des emprunteurs souverains de pays en développement. Les chercheurs ont examiné en détail les systèmes de gestion des informations sur les dettes, les registres officiels et les gazettes, et les sites Internet parlementaires et ont trouvé 100 accords de prêt avec des entités chinoises mis à la disposition du public dans 24 pays. La base de données AidData, ainsi que le rapport connexe intitulé « How China Lends » comparant les conditions avec d’autres accords de prêt, confirment et élargissent notre compréhension des accords de dette souveraine impliquant des prêteurs publics chinois.
L’une des principales conclusions du rapport d’AidData est l’utilisation courante de clauses de confidentialité de grande portée dans les accords avec les prêteurs chinois qui limitent la divulgation des informations sur les prêts par les emprunteurs, ce qui confirme les inquiétudes quant à l’opacité et le besoin de limiter les dispositions de confidentialité des accords de dette souveraine, tel que souligné précédemment. Cependant, le fait qu’un nombre important d’accords avec les prêteurs chinois était accessible au public malgré ces dispositions de confidentialité pourrait aider à identifier les leviers pour promouvoir la transparence. Une piste prometteuse consiste à s’appuyer sur les lois et procédures des pays emprunteurs exigeant une ratification parlementaire et/ou une divulgation des accords de dette souveraine. Les exceptions à la confidentialité, lorsque la loi exige une divulgation, sont relativement communes, ce qui explique probablement les pratiques actuelles de divulgation et notamment la présence dans la base de données AidData de nombreux accords malgré les clauses de confidentialité.
Alors que de nombreux pays en développement sont de plus en plus endettés, une transparence accrue sur les prêts avec des acteurs chinois et en particulier les financements adossés à des ressources naturelles est de la plus haute importance. L’accès aux informations sur les précédents accords permettra aux pays emprunteurs qui recherchent de nouveaux financements ou qui envisagent une renégociation de leur dette de mieux les structurer et d’obtenir des conditions plus favorables. D’autres prêteurs pourront également s’en inspirer pour accorder des financements à des conditions plus viables. La transparence sur les dettes souveraines est également essentielle pour les organisations de la société civile et d’autres acteurs qui assurent le contrôle et la veille. D’après les auteurs du rapport « How China Lends » :
CAS DE LA GUINÉE ( extraits du rapport ITIE 2018)
Tout d’abord, avec 4 903 milliards de GNF (env. 544 millions d’USD), la Guinée a enregistré en 2018 une augmentation de 7,8% de ses revenus miniers par rapport à l’année précédente, d’après ce rapport ITIE publié fin 2020 et qui porte sur l’année 2018. L’augmentation modérée (comparée à 2017) des revenus miniers en Guinée en 2018 semble due à un double recul de l’impôt sur les sociétés (-8.4%) qui contribue pour près d’un tiers aux revenus miniers et des droits de douane (-28%), qui a fait passer presque inaperçue l’explosion (+55%) des taxes à l’extraction et à l’exportation : L’évolution de l’impôt sur les sociétés (nous y incluons la TSPM-Taxe spéciale sur les produits miniers appliquée à la CBG-Compagnie des Bauxites de Guinée) semble due à la poursuite en 2018 des travaux d’extension de la CBG, premier contributeur historique à ce flux. Elle reflète aussi la retenue de 6,2 millions d’USD par CBG sur ses paiements à l’Etat pour se rembourser des sommes versées en 2016 à l’agence publique nationale d’aménagement des infrastructures minières (ANAIM). Le rapport explique ce mécanisme et révèle un reste à déduire de 11,4 millions d’USD à fin 2018. Les revenus miniers 2018 proviennent majoritairement de la bauxite (62%) dont les exportations ont grimpé de plus d’un quart à 62,3 millions de tonnes, et de l’or (Graphique 2). Première entreprise du secteur avec 56% des exportations, la Société Minière de Boké (SMB) est également en tête des paiements à l’Etat avec 25%, suivie de CBG (24%) et de la SAG-Société AngloGold Ashanti (15%).
Dans ce rapport, et pour la première fois, l’accord-cadre de 20 milliards d’USD signé en 2017 entre la Chine et la Guinée est présenté de manière détaillée et éclairante pour les citoyens. On y apprend que le Ministre des Mines et de la Géologie a fourni en 2020 à un collectif d’organisations de la société civile qui l’avait sollicité de nouvelles informations qui ont été complétées par le Ministère de l’économie et des finances. En 2018, la Guinée a tiré sur cette importante ligne de crédit deux emprunts de 829 et 186 millions d’EUR, auprès d’ICBC-Industrial and Commercial Bank of China, chacun de 19 ans dont 4 de différés, pour financer des infrastructures routières. Ces travaux, en cours de réalisation, concernent la voirie de Conakry et la route nationale N°1 Coyah-Dabola, et la Guinée remboursera sur la base des redevances minières relatives aux projets attribués aux entreprises chinoises CDM Henan, Chalco et SPIC (ex CPI). Le remboursement démarre bientôt, en 2022, dans un contexte encore marqué par la crise sanitaire et un prix de l’aluminium toujours à la baisse. Il serait donc prudent pour l’Etat et les parties prenantes de passer en revue les conditions de ces emprunts pour anticiper d’éventuelles difficultés. En tout état de cause, notons que les trois entreprises minières
Le gouvernement a divulgué des informations sur les deux prêts adossés aux ressources déjà tirés en 2018 de cette ligne. Ces deux prêts, d’un montant respectif de 329 millions EUR et de 186 millions EUR, sont assortis d’une période de grâce de quatre ans. Le remboursement qui s’appuie sur les redevances provenant de la production de trois sociétés minières chinoises est donc censé commencer en 2022, date de livraison des infrastructures que ces prêts ont servi à financer (à noter que les infrastructures sont réalisées par d’autres entreprises chinoises). En raison du ralentissement de ces travaux d’infrastructures à la suite des restrictions de déplacements, ainsi que des répercussions de la pandémie sur les recettes minières publiques, il est peu probable que le plan de remboursement soit respecté.
RECOMMANDATIONS :
La divulgation de tous les contrats de dette, aussi difficile soit-elle sur le plan politique, doit devenir la norme plutôt que l’exception. Elle permettrait aux citoyens de demander des comptes aux gouvernements au sujet des contrats de dette signés en leur nom. La dette publique doit être publique.
Le gouvernement pourrait envisager une revue de ses deux prêts adossés aux ressources. Grâce à la publication des conditions de ces accords en 2020, le gouvernement a créé les conditions pour que l’ensemble des parties prenantes contribue utilement à la réflexion et au débat. Une telle révision peut être justifiée au regard des retards attendus dans la livraison des infrastructures, du risque de baisse des revenus miniers, et du fait que la Chine envisage de rééchelonner la dette de divers pays en réponse aux effets de la pandémie.
Étant donné la similarité des questions d’intérêt public concernant la gestion de la dette publique et la gouvernance des richesses naturelles, les acteurs engagés dans le renforcement de la transparence sur la dette souveraine devraient capitaliser sur ces acquis. Les RBL sont particulièrement importants, car ils sont à l’intersection entre la transparence des industries extractives et la transparence sur les dettes. Le mouvement vers une transparence accrue sur la dette souveraine s’accélère, ce qui ne peut que contribuer à une meilleure gouvernance des ressources naturelles.
Mohamed CAMARA Associé Gérant Cabinet Conseil MOCAM CONSULTING)