Dans un contexte socio-politique tendu, le peuple de Guinée s’est massivement déplacé hier pour aller voter à l’élection présidentielle. Le taux de participation n’étant pas, curieusement, encore connu, néanmoins, il ne fait pas doute qu’il doit tourner largement au-delà des 65% voire 70%.
Cette mobilisation presqu’inattendue appelle quelques réflexions sur l’état de l’opinion dans notre pays où en l’absence de sondages réguliers et d’études qualitatives fiables, la politique politicienne prend le dessus sur l’analyse politique. Dans cet article, j’en partage quelques-unes :
- Par cet acte civique et citoyen accompli dans le calme et quelque fois en bravant les affres de la pluie pour aller voter pour leur candidat de leur choix, le corps électoral a prouvé une certaine maturité. Désormais habitués aux différentes échéances électorales, les 5 millions d’électeurs guinéens ont intériorisé ce rituel citoyen et l’exprime pacifiquement. Cela est d’autant remarquable que les dernières élections du 22 mars 2020 se sont passées dans un climat de convulsions sociales et de violences ayant occasionné la mort d’une dizaine de nos compatriotes.
- Cette maturité politique est la résultante d’une campagne électorale qui s’est bien passée avec un phénomène nouveau, celui de voir affleurer dans des bastions traditionnels – supposément ou réellement – acquis à tel ou tel parti, des affiches de partis jugés hostiles. Des fiefs traditionnels n’étant plus des chasses-gardés exclusives de telle ou de telle formation politique. Néanmoins, on ne pourra pas passer sous silence les épisodes fâcheux du caillassage du convoi du PM au Foutah et du blocage inacceptable de celui du leader de l’UFDG à Tôkounô, empêché de rentrer à Kankan. Il faut avoir le courage de dénoncer la violence, d’où qu’elle provienne. Cet exercice est malaisé de la part des acteurs politiques qui ne voient midi qu’à leur porte.
- De plus, la tenue de l’élection présidentielle et son corollaire d’engouement populaire viennent valider la polarisation politique en Guinée où le parti au pouvoir et ses alliés (RPG-ARC) et l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) sont les deux forces monopolistiques du paysage politique. Ce ne sont pas les dix autres candidats, aussi méritoires qu’ils fussent, qui y changeront quelque chose.
- Par voie de conséquence, l’autre leçon, c’est le rabougrissement continu des anciens politiques ancrés et solides naguère comme l’UFR et le PEDN. Quand le leader de l’UFDG décide de participer à un processus électoral aux côtés du pouvoir en place, plus rien ne compte à côté en Guinée.
- Un certain rajeunissement et une féminisation des candidatures. Parmi les candidats, nous avons eu affaire à deux candidates femmes, des jeunes, des personnalités de la société civile – médecins, entrepreneurs –. Tout ceci est à saluer et régénère notre compétition politique qui était vue comme un nids de vieux briscards, professionnels de la politique.
- Autre fait marquant, non des moindres, cette élection éclaire d’un jour nouveau ce que j’ai toujours écrit et pensé au plus profond de moi concernant la faiblesse idéologique et le peu d’ancrage populaire du FNDC. Cette « force » socio-politique n’a jamais été le fruit long et construit d’une mobilisation de la base de nos concitoyens. Il s’est toujours agi de mon point de vue, d’un conglomérat de leaders autoproclamés, d’activistes de la société civile plus ou moins politisés, d’une bonne partie de l’opposition politique et de quelques citoyens honnêtes. Ces derniers étant un peu grugés et manipulés par l’appétit politique des premiers cités. Le peuple dont le mouvement se gargarise n’a jamais été le socle de la contestation contre l’idée d’une Nouvelle Constitution. L’illusion d’optique n’avait fait que trop durer pour un mouvement plutôt urbain, peu ou très peu représenté à l’intérieur du pays et dont le gros du contingent de manifestants n’était rien d’autre que les militants et sympathisants politiques de l’UFDG. La centralité de la société civile dans le FNDC, brandie comme gage de crédibilité devant l’opinion publique internationale n’était qu’une énième farce.
- Sur le plan de la communication et des médias, l’une des leçons intéressantes de la séquence qu’on vient de vivre, c’est l’implication active de la presse nationale privée à travers par une couverture médiatique totale de l’événement sur l’étendue du territoire national. La syntonie des principaux médias (radios et télévisions privées) hier montre qu’on a changé d’époque où les médias traditionnels ne sont plus les seuls pourvoyeurs d’informations. De ce point de vue, il faut féliciter le travail remarquable de l’Union des radios et télévisions libres de Guinée (URTELGUI) et de ses partenaires.
- Le pendant de cette démocratisation de l’information, c’est la place prépondérante des réseaux sociaux dans ce processus. Pour le meilleur comme pour le pire. D’une part, il y a un partage d’informations instantané et l’existence d’une communauté de citoyens qui interagit, discute, échange des sujets d’intérêt national. Cette forme d’émancipation est un rempart contre des velléités contre les libertés publiques et individuelles. D’autre part, ces plateformes peuvent se révéler être porteuses de « fake news » et de toutes sortes de rumeurs susceptibles de mettre le pays en danger tant les crispations sociales et politiques y sont vives. Ce trouble informationnel, comme le dirait les spécialistes, généré par ces fausses informations assombrit l’apport pourtant vital des nouveaux canaux de communication. Au mépris de l’article 162 du code électoral révisé, nul n’a le droit de proclamer des résultats hormis la CENI qui en a la seule habilitation. Or, pullulent sur Facebook, Twitter et autres plateformes des pseudos résultats ou des fausses tendances en faveur du pouvoir ou de l’opposition. Ceci est regrettable et surtout dangereux car le risque d’une non acceptabilité des résultats est grand. Celui-ci est un levain pour tout basculement dans la guerre civile. C’est pourquoi, la justice doit sévir contre les contrevenants à cette disposition consacrée par le code électoral.
Sayon Dambélé