Une page de la Guinée s’est tournée, une nouvelle s’est ouverte, depuis le renversement du régime Condé par le Groupement des Forces Spéciales dirigé par le Colonel Mamadi Doumbouya.
Pour instaurer un véritable État de droit en respectant les principes démocratiques dans le pays, une transition est impérative pour les guinéens qui commencent déjà à s’interroger sur la forme de transition et le type de premier ministre pour la Guinée.
Le sort de l’ancien président Alpha Condé n’est toujours pas connu, certains estiment qu’il doit être libéré sans procès, d’autres exigent à ce qu’il réponde de ses actes, ainsi que tous les membres du gouvernement précédent.
C’est dans cette optique qu’un de nos reporters est allé à la rencontre du célèbre écrivain Tierno Monénembo, pour avoir sa grille de lecture, à ce propos.
Lisez plutôt !
Bonjour M. Tierno Monénembo, vous êtes un célèbre écrivain et vous connaissez bien l’histoire de la Guinée, aujourd’hui il se trouve qu’Alpha Condé est renversé alors que son 3ème mandat très controversé était en cours, une gouvernance dont vous n’avez cessé de dénoncer. M. Tierno quels types de gouvernement et de premier ministre de transition pour la Guinée?
Alors, rêvons puisque vous me le demandez. Par principe, un Premier Ministre de Transition est une personnalité neutre, peu connue, sans aucune ambition politique; un haut fonctionnaire à la retraite par exemple, qui n’a jamais occupé une fonction gouvernementale. En 2010, nos opposants ont commis l’erreur mortelle d’accepter un PM de transition qui était aussi le chef d’un parti politique. Une naïveté qui ne cessera jamais de m’étonner! Alpha Condé ne pouvait pas perdre parce qu’il avait contrôlé la transition de bout en bout. Tout travaillait pour lui: la CENI, l’OIF, la CEDEAO, Kouchner, Compaoré, Abdou Diouf, Jean-Marie Doré, Sékouba Konaté et l’incroyable passivité de ses concurrents. Un remake de la transition de 2010 nous conduirait au même désastre. Les partis politiques et la société civile devraient y méditer dès à présent.
Je rêve comme Premier Ministre, une figure toute nouvelle, compétente et honnête; un monsieur respectable, peu marqué politiquement, un patriote qui met la Guinée au-dessus des partis, des individus et des clans. Cette personnalité existe. Le CNRD peut la trouver si ses intentions sont sincères. Quant au gouvernement, l’idéal serait qu’il soit essentiellement composé de civils. On pourrait laisser à l’armée la présidence de la République, le ministère de la défense nationale, le ministère de la sécurité et celui des transports. On pourrait y ajouter les gouvernorats de Conakry, de Kindia, de Labé, de Kankan et de N’Zérékoré, tout le reste de l’administration devant revenir aux civils. Et évidemment, il faudrait penser aussi à la CENI et au Conseil National de la transition. Comment faire en sorte que ces rouages essentiels soient de véritables organes indépendants et prémunis contre les magouilles de toutes sortes qui caractérisent les mœurs politiques guinéennes? C’est probablement le plus grand défi qui nous attend. Le courage et la clairvoyance des partis politiques et de la société civile seront déterminants. Pour moi, la CENI ne devrait comprendre aucun militaire et son président devrait être accepté par toutes les formations politiques décisives. Quant au CNT, il devrait à mon sens, comporter à égalité, des conseillers issus du monde politique et des conseillers issus de la société civile, auxquels s’ajouteraient quelques représentants du monde religieux.
La période de transition compte beaucoup pour les guinéens qui estiment qu’elle sera clôturée par des élections libres et transparentes, en vue d’un nouveau départ pour le pays. Selon vous, il faut combien de temps pour que la junte puisse honorer ses engagements, à cet effet ?
Je suppose que vous me demandez combien de temps doit durer la transition. Plus une transition est brève, plus elle est bénéfique. Transition, cela veut dire un court moment entre deux épisodes. Ce qui est transitoire est forcément bref. Pour moi, elle devrait être de 6 mois au minimum et d’un an au maximum et il va de soi qu’aucun membre du gouvernement de transition ne sera autorisé à se porter candidat aux prochaines élections (qu’il soit civil ou militaire). Le rôle essentiel du gouvernement de transition est de mener le pays vers des élections régulières qui ne souffrent d’aucune anomalie, d’aucune contestation. Le reste, (je veux dire les grandes questions engageant l’avenir du pays) relèvent du gouvernement qui sortira des urnes. J’espère bien que nos militaires n’ont pas envie de s’éterniser au pouvoir. J’espère qu’ils ont conscience que dans le monde d’aujourd’hui, le pouvoir kaki n’est plus de mise. Si le Colonel Doumbouya nous assure une bonne transition, je suis sûr que s’il revient par les urnes, un ou deux (2) mandats plus tard, il serait élu dès le premier tour. Mais s’il a la mauvaise idée d’imiter Dadis Camara, eh bien, je peux jurer qu’il finira pire que lui.
Les défis sont énormes, parce que c’est un secret de polichinelle, l’ancien gouvernement était aux abois et ce sont les populations qui en ont payé les frais, par quoi le gouvernement de transition devrait-il commencer, pour réparer les erreurs du passé?
Les erreurs du passé sont tellement nombreuses qu’un gouvernement de transition n’y suffirait pas. Nous avons passé notre indépendance à commettre non pas seulement des erreurs mais aussi des fautes et des crimes. Il faudrait des décennies pour revenir à la normale, à condition que les guinéens se réconcilient avec la notion de vertu et que le civisme et le sens de l’effort gagnent enfin le sommet de l’État. Encore une fois, tout cela est parfaitement possible si nous réussissons une transition porteuse de paix, respectueuse de la vie humaine et soucieuse des intérêts de tous les fils de ce pays.
Le Comité de Rassemblement et du Développement à la tête le Colonel Mamadi Doumbouya a entamé des concertations avec tous les acteurs du pays, avant la mise en place de l’équipe qui va diriger cette transition, dites-nous ce que vous attendez de ces consultations nationales?
J’attends de ces discussions, un large consensus national, un nouvel état d’esprit, une nouvelle manière de penser et d’agir. Je souhaite qu’après tant de faux-problèmes, de misère collective et d’espoirs déçus, les Guinéens remontent la pente, qu’ils se dotent d’une vision nouvelle, qu’ils réunissent toutes les filles et tous les fils de ce pays autour d’un projet grandiose et exaltant.
Alpha Condé et son équipe doivent répondre de leurs actes, ce sont les propos de plusieurs observateurs qu’en pensez vous M. Tierno Monénembo?
Bien sûr, qu’ils doivent répondre de leurs actes! Ce sont des voleurs, des criminels! Ils ont violé la constitution et dangereusement mis à mal la cohésion nationale. On doit les juger devant de véritables tribunaux, avec des magistrats dignes de ce nom, pas ces rats coiffés d’une toque, qui avaient fait de la justice guinéenne, un immonde foutoir. Encore une fois, ne répondons pas aux coups de pied de l’âne, ne leur faisons pas subir ce qu’ils ont fait subir aux guinéens. Ils doivent être jugés en toute sérénité et sur des faits établis, en veillant à tout moment à la régularité de la procédure. Ne pas les juger serait une injure au peuple de Guinée! Quant à la question de savoir, s’il faut libérer Alpha Condé ou pas, le CNRD n’a aucun droit d’en décider seul. Les Africains en ont marre que le sort de leurs despotes soit décidé en catimini et sous l’injonction de cette poufiasse de Communauté Internationale. Et puis, le Colonel Doumbouya et ses hommes devraient faire preuve de prudence. Alpha Condé libre et hors de la Guinée, pourrait se révéler particulièrement dangereux pour eux. Il a des amis partout. Il est riche et ses amis fidèles sont forts et bien armés.
Entretien réalisé par Hadja Kadé Barry