Dans cette réaction sur le psychodrame qui agite la Cour constitutionnelle, le président de l’Union des forces démocratiques (Ufd), Mamadou Bah Baadiko, ne porte pas de gants. Pour lui cette institution est tout comme toutes les autres, à la botte de l’exécutif.
La crise qui sévit au sein de la Cour constitutionnelle vient de connaître un tournant avec l’élection d’un nouveau président, par les frondeurs, décidés coûte que coûte à tourner la page Kéléfa Sall. Quelle est votre lecture de ce psychodrame ?
Mamadou Bah Baadiko: Nous n’avons cessé de dénoncer le fait que notre pays fonctionne en marge des lois. Nous avons toute une batterie d’institutions de pure façade, sans aucun pouvoir réel et assujetties à un exécutif tout puissant et omnipotent, exactement comme dans une véritable dictature. Ce qui arrive à la Cour Constitutionnelle ne devrait étonner aucun observateur tant soit peu averti de la scène politique guinéenne : c’est « bouffe et tais toi » ou alors tu seras démis. Sur le plan du droit, nous assistons à un véritable coup d’Eta constitutionnel. Le président de ce corps est démis, en violation de toutes les lois régissant son organisme. Et pourquoi ? Bien que le principal intéressé ne l’ait pas encore dit, il paie certainement le prix de son refus de faciliter le tripatouillage de cette constitution pour faire sauter le verrou de la limite des deux mandats pour chaque président élu. Mais ne nous méprenons pas. Il n’y a pas que cette disposition qui dérange le pouvoir : l’article 36 sur la déclaration des biens, violé ouvertement en toute insolence par le pouvoir devrait lui aussi passer à la trappe. Les deux compères du condominium politico-ethnique qui règne sur le pays, le RPG et l’UFDG n’en veulent pas. C’est le lieu de dénoncer le fait que la fameuse Cour Constitutionnelle, depuis son installation en 2014, n’a jamais pris aucune action pour obliger le pouvoir à se soumettre à cette obligation, sous peine de destitution. Le pouvoir actuel est en position d’illégalité et d’illégitimité en violant un article clairement énoncé dans la constitution et qui ne souffre d’aucune ambigüité.
Dans le même ordre d’idée, cette affaire devrait faire réfléchir nos juges, tous grades confondus. En acceptant de valider les élections truquées par le pouvoir, ils risquent un jour d’être emportés par les retournements de l’histoire.
Face au refus des frondeurs de renoncer à leurs velléités, la société civile et l’opposition, réunis dans un front commun, projettent de marcher pacifiquement ce lundi, dans la capitale et à l’intérieur du pays. Pensez-vous M. Bah que cela en vaut la peine ?
Notre parti, l’UFD avait participé avec d’autres au sit-in devant la Cour Constitutionnelle le 19 septembre 2018 pour protester contre cet acte illégal. Mais aujourd’hui le constat est clair : le pouvoir a réussi à corrompre et à vassaliser l’opposition et la plupart des organisations de la société civile, des syndicats, des religieux etc. Il n’a plus aucun contrepoids en face de lui. Il ne reculera donc devant rien pour empêcher toute alternance démocratique. On ne peut pas à la fois être complice direct ou indirect du pouvoir, dépendre de ses prébendes, s’exposer à ses manœuvres et lutter efficacement contre lui, pour l’empêcher de violer la loi. Dans les conditions actuelles donc, je ne crois pas que ces manifestations donneront le résultat escompté par les populations.
Le gouvernement a d’ailleurs réitéré l’interdiction des manifestations, une mesure visant sans doute à dissuader les organisateurs de la marche du lundi. Partagez-vous cette injonction du ministère de l’Administration du territoire ?
Vous connaissez comme moi la force manœuvrière du pouvoir. En 2009, ce sont les mêmes arguties que le CNDD avait avancé pour interdire la grande manifestation du 28 septembre au Stade du même nom. Tous les moyens seront bons pour empêcher le peuple d’exprimer son ras le bol face et sa colère à un pouvoir qui ne lui a apporté que la misère, la faim et le désespoir. Le ridicule ne tue pas. N’oubliez pas : « le Chinois est mort », « les pèlerins ne sont pas rentrés de la Mecque », etc., etc.
Il faut rappeler aussi que le sit-in des forces vives devant à la Cour constitutionnelle a été violemment réprimé jeudi. Peut-on parler aujourd’hui d’une volonté de restreindre des libertés de la part de l’exécutif?
Il est tout à fait clair qu’un pouvoir comme celui-ci qui viole sa propre légalité à la face du monde ne reculera devant aucune extrémité pour se maintenir.
Pour terminer avec ce chapitre de la Cour, avez-vous un message particulier à lancer au président Alpha Condé, qui devra en dernier ressort, valider ou non l’élection du nouveau président de la Cour?
Je suis désolé mais je ne crois pas que le Président puisse écouter ce conseil. Avec ses amis, ils sont murés dans une logique implacable de confiscation du pouvoir et ce n’est que l’Histoire qui lui montrera qu’il a eu tort d’agir ainsi et ce sera trop tard.
Propos recueillis à Conakry par
Baldé et Mamadou Aliou BARRY