Elus le 28 septembre 2013 après l’accord politique du 03 juillet 2013, les députés de l’Assemblée Nationale ont été installés le 13 janvier 2014. En considérant cette dernière date, la durée du mandat parlementaire de cinq ans (article 60 de la constitution) a expiré le 13 janvier 2019 ; cette durée du mandat est reprise à l’article 119 de la loi organique portant code électoral et à l’article 2 de la loi organique portant règlement intérieur de l’Assemblée Nationale.
Cependant selon l’article 125 du code électoral, le mandat parlementaire s’achève à l’ouverture de la première session ordinaire qui nuit la cinquième année du mandat, ce qui a pour effet de proroger le mandat parlementaire au-delà du délai constitutionnel de cinq ans.
L’élection législative n’ayant pas été organisée et ne pouvant l’être dans le délai constitutionnel, que ça soit le 13 janvier 2019 ou le 04 avril 2019, le Président de la République a demandé, par lettre du 24 décembre 2018, à la Cour constitutionnelle de lui donner un avis juridique relatif à la fin du mandat des députés.
Le 26 décembre 2018, la Cour constitutionnelle a écrit à la CENI afin de connaître les raisons ou les circonstances de la non-organisation de l’élection législative à date.
Par lettre du 27 décembre 2018, la CENI a justifié l’impossibilité d’organiser l’élection législative à temps par des contraintes tenant à la mise en œuvre des recommandations de l’accord politique du 12 octobre 2016, en particulier :
- la réalisation de l’audit du fichier électronique biométrique et l’intégration des recommandations dudit audit ;
- la révision de la loi sur la CENI et la recomposition de celle-ci ;
- la non finalisation du processus de mise en place des conseils communaux et de leurs exécutifs ;
- l’obligation de procéder à la révision des listes électorales avant l’élection conformément à l’article 19 du code électoral.
Le 10 janvier 2019, la Cour constitutionnelle a émis son avis en ces termes :
« La Cour constitutionnelle, après avoir délibéré à la majorité :
- En la forme, déclare :
- Recevable le recours ;
- Au fond, est d’avis que :
- La périodicité des élections est un principe constitutionnel ;
- Les circonstances exceptionnelles et les difficultés d’ordre juridique et opérationnel liées à la tenue des élections législatives doivent être temporairement délimitées et circonscrites limitativement à la durée de ces circonstances ;
- Les conditions de prorogation du mandat des Députés à l’Assemblée Nationale n’étant pas réunies, telles que prévues à l’article 30 de la loi organique L/2011/006/CNT du 10 mars 2011 relative à la Cour constitutionnelle, il y a lieu d’indiquer dès lors, que la prorogation dudit mandat pourrait s’opérer à travers les moyens tirés de l’article 45 de la Constitution, de l’article 125 du Code électoral révisé N° 0022/2017/AN du 24 Février 2017 et de l’article 2 alinéa 5 de la loi organique L/2017/030/AN du 04 juillet 2017, modifiant certaines dispositions de la loi organique N° 91/15/CTRN du 23 décembre 1991, portant Règlement Intérieur de l’Assemblée Nationale en prenant à cet effet des mesures légales en vue de prévenir le vide juridico-constitutionnel qui pointe à l’horizon afin d’assurer la continuité du mandat des Députés avant le 13 janvier 2019 à zéro (00) heure ;
- Ordonne la notification du présent avis au Président de la République, au Président de l’Assemblée Nationale et au Président de la Commission Electorale Nationale Indépendante ;
- Ordonne sa publication au Journal Officiel de la République ;
- Ordonne sa transcription dans les registres à ce destinés ; »
Par décret du 11 Janvier 2019, le Président de la République a prorogé la durée du mandat de l’Assemblée Nationale sans fixer à la CENI un délai ou une date-limite pour l’organisation du renouvellement du Parlement.
- Analyse critique des positions des institutions de la République
Avant d’évoquer les positions adoptées par la Cour constitutionnelle, puis par le Président de la République, il importe de s’interroger sur la date à retenir en l’espèce pour constater la fin du mandat parlementaire : le 13 janvier 2019 ou le 04 avril 2019.
En se fondant strictement sur la constitution, en son article 60, on retient tout naturellement la date du 13 janvier 2019.
Il convient cependant de ne pas ignorer le fait que la date du 04 avril 2019 résulte des dispositions du code électoral et du règlement intérieur de l’Assemblée Nationale, adoptés tous deux sous la forme de lois organiques prévues par la Constitution (articles 32 et 67), régies par une procédure spéciale (article 83 de la Constitution) et qui font partie du bloc de constitutionnalité (page 7 de l’avis de la Cour constitutionnelle) en tant qu’elles précisent ou complètent la Constitution : elles sont des éléments du droit positif guinéen. Et ce d’autant qu’au moment de l’examen obligatoire de leur conformité à la Constitution, la Cour constitutionnelle n’a pas sanctionné ces rajouts à la durée du mandat parlementaire par les deux lois organiques (Code électoral et règlement intérieur de l’Assemblée Nationale). Toute discussion sur la constitutionnalité des deux textes relève du débat d’école. Dès lors, par application du principe chronologique entre la Constitution et les lois organiques qui en font corps, la date du 04 avril 2019 devait être retenue.
La solution avait l’avantage de permettre à l’Assemblée Nationale de fonctionner en toute légalité jusqu’au 04 avril 2019 mais aussi et surtout de faire adopter par l’institution parlementaire, en session extraordinaire, un projet ou une proposition de loi prolongeant le mandat parlementaire avec fixation d’une date-limite pour l’organisation du scrutin législatif, le tout sous le contrôle de la Cour constitutionnelle.
En renvoyant la détermination d’un délai ou d’une date-limite pour l’organisation du scrutin législatif à une concertation entre la CENI et les acteurs concernés (lesquels ?), l’article 3 du décret présidentiel crée une incertitude autour de l’organisation des députés en 2019, eu égard à la difficulté de trouver un consensus au sein de la classe politique guinéenne face à une telle question d’importance pour la vie nationale.
En effet, les raisons et contraintes invoquées par la CENI doivent être circonscrites dans le temps comme l’a souligné la Cour constitutionnelle dans le dispositif de son avis. De plus, la périodicité du mandat parlementaire est un principe consacré par la Constitution et dont les aménagements ne peuvent ressortir à la compétence de l’Exécutif par l’édiction d’actes administratifs ; le principe de la séparation des pouvoirs ne le permet pas (article 2 de la Constitution) ; toute dérogation à ce principe doit être expressément prévue par la Constitution comme la mise en vigueur de la loi de finances par ordonnance (article 76 de la Constitution), l’autorisation du Président de la République à prendre des ordonnances dans le domaine de la loi (article 82 de la Constitution), l’initiative et le droit d’amendement des lois (articles 84 et 85 de la Constitution) et la dissolution de l’Assemblée Nationale (article 92 de la Constitution).
Les dispositions de l’article 46 de la Constitution relatives au pouvoir règlementaire du Président de la République ne pouvaient s’appliquer en l’espèce.
Au regard des éléments ci-dessus, force est de constater que l’avis inachevé de la Cour constitutionnelle est à l’origine du décret de prorogation du Président de la République.
En effet, sur la base de l’article 30 de la loi organique sur la Cour constitutionnelle, celle-ci peut être consulté par le Président de la République en matière de prolongation du mandat parlementaire lorsque des circonstances particulièrement graves empêchent l’organisation du scrutin législatif.
Saisie sur la base légale que dessus, la Cour a constaté que les raisons et contraintes invoquées par la CENI ne sont pas constitutives ‘’de circonstances particulièrement graves’’ de nature à justifier une prolongation du mandat des députés : les conditions de prolongation n’étaient donc pas réunies.
La Cour a néanmoins estimé, à juste titre, que pour assurer la continuité de l’Etat, il fallait prévenir un vide à la fois institutionnel et juridique découlant de l’absence d’une Assemblée Nationale et de l’impossibilité de voter les lois, une hypothèse aux conséquences imprévisibles. En conséquence, elle a émis l’avis que sur la base de l’article 45 de la Constitution, l’article 125 du code électoral et l’article 2 du règlement intérieur de l’Assemblée Nationale, des mesures légales pourraient être prises pour assurer la continuité du mandat des députés avant le 13 janvier 2019 à minuit.
L’avis rendu par la Cour appelle cependant deux observations majeures :
- en retenant le 13 janvier 2019, la Cour a fixé la date de l’expiration du mandat parlementaire par rapport à l’article 60 de la Constitution alors qu’elle suggère que les mesures légales de prorogation devraient être fondées, outre l’article 45 de la Constitution disposant que le Président de la République assure le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et la continuité de l’Etat, sur l’article 125 du code électoral et l’article 2 du règlement intérieur de l’Assemblée Nationale en vertu desquels le mandat des députés expire le 04 avril 2019 : il y a manifestement problème pour ne pas dire confusion sur la base légale de l’avis de la Cour et conséquemment sur la date de la fin du mandat parlementaire ;
- en suggérant au Président de la République de prendre ‘’ des mesures légales en vue de prévenir le vide juridico-constitutionnel qui pointe à l’horizon’’, la Cour n’a pas indiqué la nature juridique (loi ou décret) des mesures légales à prendre. Pourtant n’étant pas appelée à rendre un arrêt pour lequel elle serait tenue par la matérialité des faits et leur qualification juridique, la Cour aurait dû, s’agissant d’un avis consultatif (page 3 de l’avis), aller jusqu’au bout de son raisonnement pour indiquer au Président de la République la nature juridique de la mesure légale à prendre ; cela aurait évité le débat actuel sur la légalité du pouvoir du Président de la République de procéder à la prorogation du mandat des députés.
Lorsqu’un avis est demandé, surtout un avis consultatif (non conforme), il ne faut pas renvoyer la question soumise sous une autre forme au demandeur d’avis. Il faut proposer une solution, libre à ce dernier de suivre ou non l’avis.
En agissant ainsi qu’elle l’a fait, la Cour constitutionnelle a laissé ouvertes toutes les options au Président de la République qui a préféré la voie décrétale, plus facile à emprunter, débarrassée qu’elle est de tout débat ou contestation. Or, la voie législative était la plus indiquée pour les raisons développées ci-dessus.
On peut donc dire que le grief fait au Président de la République d’avoir outrepassé ses pouvoirs constitutionnels doit être plutôt adressé à la Cour constitutionnelle en charge de la bonne interprétation et de la bonne application de la Constitution, une Cour qui, par son avis, n’a pas contribué à la clarification d’une situation juridico-politique. On comprend que l’avis n’ait pas été rendu à l’unanimité mais à la majorité des membres de la Cour ayant siégé.
Togba ZOGBELEMOU
Professeur à l’Université de Conakry-Sonfonia
Avocat au Barreau de Guinée