Dans le vaste programme de réforme de gestion des finances publiques (GFP) entrepris en république de Guinée figure la mise en œuvre de la Loi Organique Relative aux lois de Finances (LORF). C’est une réforme de l’Etat par le budget, un cadre budgétaire rénové dédié à la performance de l’action publique. Son ambition est de faire des lois de finances, lors de leur élaboration, de leur exécution, de leurs contrôles un vecteur puissant de la réforme de l’Etat et traduit une ambition de modernisation et invite à s’interroger sur le périmètre et l’efficacité des politiques publiques. Elle a été adoptée le 27 juillet 2012 par le Conseil National de la Transition (CNT) et promulguée le 6 août 2012.
La LORF présente dans son contenu trois objectifs principaux :
- définir les politiques financées par l’argent public, leur stratégie et leurs contours ;
- inciter les pouvoirs publics à adopter un schéma plus pertinent d’organisation et de pilotage éclairés dans leurs choix, en élargissant leurs marges de manœuvre et en les dotant de nouveaux outils de gestion ;
- améliorer les résultats de la gestion publique, en termes d’efficience, d’efficacité et de qualité de service rendu au citoyen, grâce à la formulation d’objectifs, présentés au Parlement, et à l’introduction d’indicateurs de performance permettant de mesurer les résultats.
« Elle vise une plus grande transparence des informations budgétaires et veut faciliter les choix budgétaires en matière de finances publiques ».[1]
Qualifiée de « Constitution financière » et fixant donc les règles essentielles, pour le cas guinéen, il s’agit d’un texte court comprenant quatre-vingt-cinq (85) articles répartis en sept (7) titres[2]. Elle s’inspire largement de la LOLF française entrée en vigueur en 2006 et de la directive UEMOA (Directive no 06/2009/CM/UEMOA du 26 juin 2009 portant lois de finances au sein de l’UEMOA).
La LORF, abréviation préférée par la Guinée à la LOLF utilisée dans la plupart des pays l’ayant adoptée, apporte plusieurs innovations en matière de GFP et de gestion publique en général. Au rang de ces innovations nous pouvons citer :
- le principe de sincérité. Il se présente comme l’obligation de présenter des comptes ou un budget reflétant une image sincère et fidèle de la situation et des perspectives économiques et patrimoniales nationales au regard des informations dont dispose le gouvernement au moment de leur élaboration. Au plan budgétaire, le principe de sincérité implique de présenter l’ensemble des ressources et des charges de l’Etat de façon sincère. Il permet d’éviter aux autorités chargées de la formulation et de la présentation du budget de dissimuler manifestement des informations financières, de surévaluer les recettes et de sous-estimer les dépenses. Elles doivent garantir une information fiable et complète ;
- la notion de missions, programmes, actions. Les missions correspondent aux grandes politiques de l’Etat. Une mission est créée à l’initiative du Gouvernement et peut être ministérielle ou interministérielle. Elle regroupe des programmes. La mise en place des programmes doit se faire en cohérence avec l’organisation administrative. Le programme est un regroupement de crédits destinés à mettre en œuvre une action ou un ensemble cohérent d’actions représentatif d’une politique publique clairement définie dans une perspective de moyen terme.
Chaque programme relève d’un seul ministère et est confié à un responsable de programme. Un programme peut regrouper tout ou partie des crédits d’une direction, d’un service, d’un ensemble de directions ou de services d’un même ministère. Au sein des programmes, les crédits sont présentés par action ainsi que par nature de dépense. Les actions précisent la destination des crédits ;
- le responsable de programme. Il est l’acteur central de la réforme car il est l’organisateur du nouveau dialogue de gestion au niveau des services qui relèvent de son programme à travers la formulation et l’articulation des objectifs et des indicateurs, la répartition des crédits et des emplois, préparation du rapport de performance. Selon le dispositif managérial de la LORF il est le nouvel acteur dans le pilotage des crédits budgétaires et de l’action de l’Etat ;
- les projets annuels de performance (PAP). Ce sont des annexes obligatoires au projet de loi de finances établis pour chaque programme. Ils présentent pour l’exercice à venir, la stratégie, les objectifs et les indicateurs de performance de chacun des programmes, ainsi que des précisions sur les méthodes de renseignement des différents indicateurs. Ils précisent également la répartition, par grandes catégories, des emplois rémunérés par l’Etat des programmes auxquels ils se réfèrent ;
- les rapports annuels de performance (RAP). Instruments clés pour apprécier la qualité de l’action publique, ils sont annexés au projet de loi de règlement. Ils permettent d’évaluer l’atteinte des objectifs initialement fixés dans les projets annuels de performance, les actions développées et les moyens utilisés. Les RAP doivent être présentés sous le même format que les PAP pour permettre de faire des comparaisons ;
- la déconcentration de l’ordonnancement. Elle implique l’exercice d’un suivi amélioré de la dépense et de l’utilisation des crédits ainsi que l’exercice d’un contrôle approprié à travers la création et le développement du réseau des contrôleurs financiers auprès des ministres sectoriels et des présidents d’institutions ainsi que de postes de comptables. Ce principe fait de chaque ministre sectoriel ou du président d’institution constitutionnelle (Président de l’Assemblée nationale, du CES etc.) l’ordonnateur principal des crédits des programmes de son secteur ministériel ou de son institution. Il pourra, à son tour, déléguer, d’une part, sa signature à des collaborateurs chargés de l’exécution de certaines dépenses centrales, d’autre part, ses compétences à des ordonnateurs secondaires parmi lesquels figureront tout particulièrement les responsables de programme ;
- la fongibilité des crédits. Elle fait que les crédits sont redéployables à l’intérieur d’un
même programme sur décision de l’ordonnateur. Elle permet au gestionnaire de se voir conférer une autonomie pour la mise en œuvre des programmes dont il a la charge et qui est en lien avec ses nouvelles responsabilités en matière de performance. L’ordonnateur est libre de redéployer les crédits par nature dans le respect de certaines contraintes : les crédits de personnels peuvent être utilisés au compte des crédits de biens et services, de transfert et d’investissement ; les crédits de biens et services ainsi que les crédits de transfert peuvent être utilisés au compte des crédits d’investissement ; les crédits d’investissements ne peuvent pas être utilisés au compte d’aucune des autres natures de dépense ; les autres natures de dépense ne peuvent pas être utilisées au compte des crédits de personnel ;
- les compétences accrues du ministre des finances. Le ministre des finances dispose d’un pouvoir de régulation budgétaire qui lui permet de s’assurer du plafond des dépenses et/ou prévenir une détérioration de l’équilibre budgétaire afin d’éviter un déficit insoutenable dans l’exécution du budget et préjuger des exercices futurs ;
- le rôle accru de l’Assemblée Nationale. L’information de l’Assemblée Nationale est améliorée par les aménagements de la LORF. Elle est associée à la formulation et à l’exécution de la loi de finances. Les informations lui sont données sur les choix, les objectifs du gouvernement et d’une vision exhaustive des demandes de crédits. Les députés exercent ainsi leur contrôle sur l’ensemble des crédits de paiement (CP) et des autorisations d’engagement (AE). Ainsi, le projet de loi de règlement de l’année n-1, accompagné des rapports annuels de performance (RAP), doit être présenté à l’Assemblée Nationale « au plus tard le jour de l’ouverture de la session budgétaire de l’année suivant celle de l’exécution du budget auquel il se rapporte. Ainsi, les députés disposent des éléments relatifs à la gestion de l’année n-1 avant de se prononcer sur les perspectives de dépenses de l’année n+1 » ;
- le rôle accru de la cour des comptes Les compétences de la cour des comptes sont aussi élargies pour lui permettre d’appuyer l’Assemblée Nationale. La Cour des comptes lui transmet des avis accompagnés de recommandation au moment du dépôt de la loi de règlement. Ces avis portent, notamment, sur l’exécution des lois de finances et sur les rapports annuels de performance ;
- la présentation pluriannuelle des crédits. C’est la prise en compte de la perspective pluriannuelle dans la budgétisation à travers l’introduction de nouveaux outils de programmation comme le CBMT (cadre budgétaire à Moyen-Terme), les cadres de dépenses à moyen terme (CDMT) « globaux » ainsi que les CDMT « sectoriels ».
En conclusion, l’adoption du nouveau mode de GFP à travers la mise en œuvre de la LORF présente un avantage pour le grand nombre d’agents mais aussi pour l’administration publique au-delà des seuls départements du budget et des finances. L’idée de la performance vue comme une logique de profit ne doit pas être forcément la conception qui doit être faite au niveau de l’administration publique. Elle est la recherche de l’efficience et de rentabilité reposant sur une logique d’optimisation des moyens. La LORF inclut une dimension managériale et recourt à la rationalité et à la cohérence. L’intitulé LOLF ou LORF donne une idée fausse ou réductrice du contenu de l’enjeu réel qu’il sous-tend. Il laisse augurer une loi purement technique, budgétaire, financière. Or, la réalité est toute autre. Elle permet de moderniser le cadre juridique, comptable et statistique des finances publiques afin qu’il soit conforme aux standards internationaux. Elle vise à redonner du sens à l’action de l’Etat, d’une part, vis-à-vis des citoyens, d’autre part, vis-à-vis des fonctionnaires[3]. Il s’agit aussi d’une réforme de management qui permet de rapprocher les modes de gestion publique de ceux des entreprises privées tout en essayant d’assouplir l’application des règles et procédures en favorisant la recherche de la rentabilité et la satisfaction des citoyens. Le changement escompté n’est pas radical, il se ne décrète pas non plus, il est progressif et pourra être de longue haleine. Ajouter à cela l’adoption d’une démarche pédagogique du changement. Préparer tous les acteurs et toutes les parties prenantes au changement est un défi auquel les pouvoirs publics doivent se soumettre. La LORF étant d’initiative gouvernementale, le cadre légal et institutionnel étant mis en place, l’Etat doit jouer le rôle primordial qui revient à tout Etat. Il s’agit notamment de la mobilisation et l’allocation des ressources, le développement du capital humain et social. Il serait normal que cette volonté politique soit davantage renforcée et accompagnée par la mise à disposition de l’administration publique guinéenne de toutes les conditions nécessaires. Car, elle permet de passer de la logique de gestion par les « moyens » à la logique de gestion par les « résultats », ensuite permettra de donner une plus grande visibilité aux actions des pouvoirs publics, d’accroître la contribution des finances publiques dans le développement économique du pays.
Daouda KEITA
MD en gouvernance et management public
+224664319228
[1] CÔTÉ L., L’État démocratique : fondements et défis, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2014
[2] Titre I : Des dispositions générales ; Titre II : De la politique budgétaire ; Tire III : Du budget de l’Etat ; Titre IV : Des lois de finances : Titre V : Des principes relatifs à la mise en œuvre du budget de l’Etat : Titre VI : Du contrôle des responsabilités et des sanctions : Titre VII : Des dispositions finales.
[3] Winicki P., Réussir une réforme publique- Surmonter ces peurs et croyances qui bloquent le changement, Paris, Dunod, 2007, 182 pages