Au-delà de la crise sanitaire actuelle due au Covid-19, la Guinée reste confrontée à une crise politique qui est loin d’être résorbée.
Depuis l’organisation des élections législatives de 2018, le pays vit pratiquement, au rythme de manifestations.
Un fait qui s’est accentué avec la détermination du parti au pouvoir de doter la Guinée d’une nouvelle constitution, qui est d’ailleurs adoptée et promulguée par le président de la République à l’issue du double scrutin législatif et référendaire du 22 mars dernier.
Au lendemain donc, de ce double scrutin jugé controversé, mais aussi de l’installation de la nouvelle assemblée nationale, Dr Ahmed Tidiane Souaré, a accordé un entretien exclusif à Mosaiqueguinee.com.
Dans cette interview, l’ancien premier porte également son regard sur l’avenir politique de la Guinée, dans le court terme.
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Mosaiqueguinee.com : nous avons assisté à l’organisation du double scrutin dans un contexte de crise sanitaire. Beaucoup pensent que cela a favorisé la propagation du virus en Guinée. Est-ce que vous êtes d’avis ?
Dr Ahmed Tidiane Souaré : cette question, on peut se la poser. Mais, il est difficile de dire que l’organisation du double scrutin a favorisé l’expansion du virus. D’un côté, je suis un scientifique, dans la démarche scientifique, nous nous efforçons à situer les causes, à suivre l’évolution de ces causes, jusqu’à la production d’effets. On établit un lien qu’on appelle communément de cause à effet. Aujourd’hui, si vous analysez la position des cas connus, on se rend compte par bonheur d’ailleurs que c’est moins des cas communautaires, que des cas importés (…). Deuxième constat, tout le monde sait que le virus est venu de Whuan, là aussi, c’est une observation concrète. Troisième observation, c’est que jusqu’à date, les cas communautaires sont limités. Dans ce contexte donc, il serait plutôt difficile de lier la propagation du virus à l’organisation des élections du 22 mars dernier. On pourrait dire peut-être que dans un élan de précaution sanitaire, le gouvernement pouvait surseoir à l’élection (…).
La nouvelle constitution a été adoptée et promulguée par le Chef de l’Etat. Nous avons également assisté à la mise en place de la nouvelle assemblée nationale. Quel avenir politique pour la Guinée ?
Vous savez que nous avons en Guinée, ce qu’on a convenu d’appeler une crise politique. Aujourd’hui, la crise sanitaire a ravi la vedette à cette crise politique. Par solidarité avec tous ceux qui luttent dans le monde pour maitriser ce visiteur incongru, il est plus décent de centrer tous les débats sur la lutte contre le Covid-19 (…). Moi, ma position était claire par rapport à ces élections. Je l’avais exprimé sur les ondes d’Espace TV, depuis le 11 octobre. J’avais conseillé que ça se passe autrement. C’était pour éviter qu’on en arrive là. Il y a eu élection, mais c’est une élection qui divise. C’est une élection qui a produit des frustrations. Une élection qui n’a pas renforcé la démocratie, en intime conviction. On peut dire tout ce qu’on veut, selon son camp. Mais, à l’intime conviction, la démocratie ne s’en est pas sortie indemne. C’est une élection qui a vaincu, mais n’a pas convaincu (…). Ce qui est sûr, c’est que la Guinée n’a pas gagné, la démocratie n’a pas gagné.
Je pense, puisque vous m’avez amené à parler de ça, à partir de ce qui prévaut au niveau de la crise sanitaire, les autorités doivent tirer des leçons utiles pour s’en servir au niveau de la crise politique. Moi j’ai toujours rêvé d’une Guinée qui gagne ensemble. J’ai toujours rêvé d’une élection à la « Sanakouya » dans ce pays (…)
Vous avez été un conseiller du président de la République. Voyant la crise politique dans le pays, si on vous demandait votre contribution, quel conseil donneriez-vous au chef de l’Etat pour une sortie de crise ?
C’est vrai que pour un temps j’ai été un conseiller spécial du président Alpha Condé (…). J’ai eu l’occasion à plusieurs reprises de lui exprimer mes positions, parfois mes craintes, notamment pour que cette situation de crise ne perdure. Le pays, sa survie et son avenir politique, se trouvent encore entre les mains du Pr Alpha Condé. Le destin a fait qu’il est président de ce pays et donc, il a encore toute la responsabilité de gérer politiquement, socialement le pays. Et dans ce cadre, je dois dire qu’il n’est jamais trop tard de trouver les solutions aux problèmes qui se posent (…). Ce scrutin a créé tant de clivages, tant de frustrations et de violences, que moi je pense que le démocrate qu’il est doit observer sereinement et écouter pour trouver la solution qui pourrait rassembler, unir et vaincre. Si je devais parler de cette situation, c’est à cette tâche qui est largement à sa portée, que j’allais humblement l’inviter.
Vous avez occupé plusieurs fonctions dans ce pays. Avant le décès du président Lansana Conté, vous étiez premier ministre, chef du gouvernement. Peut-on s’attendre à votre candidature à la prochaine élection présidentielle ?
Vous savez, j’aime dire que j’ai eu la chance d’avoir un parcours qui me satisfait personnellement (…). Moi j’ai été premier ministre moins d’un an, mais j’avais des prérogatives présidentielles, grâce au président Conté et à la contingence, sans être élu président. J’ai fait le tapis rouge, l’assemblée générale des Nations-Unies, l’Union Africaine, la CEDEAO et autres institutions internationales. J’ai eu la chance et l’opportunité de représenter le président élu de Guinée, le Général Lansana Conté. Quand on a assumé de telles fonctions, ce qui est important, ce n’est pas forcément d’être président. Mais c’est la démocratie, le multipartisme initié par l’architecte de la démocratie guinéenne (…). Je ne pense pas, que nous soyons au moment de penser à organiser des élections en 2020.Tout porte à croire que la priorité semble se déplacer, les circonstances obligeant. Pour le moment, je m’investis comme je peux dans le combat contre le coronavirus. Je reste vigilent à l’exercice de la démocratie dans le pays et le reste, être président est permis à tout bon citoyen de Guinée. J’en suis un.
Votre mot de la fin, Dr Ahmed Tidiane Souaré
D’abord, je demande à nos compatriotes de se méfier de la rumeur. Aux uns et aux autres d’éviter d’alimenter la rumeur au moment où chacun a peur (…). Il y a tellement de faits concrets, alarmants qu’on n’a pas besoin d’en inventer d’autres. Le deuxième appel, c’est de revenir à plus de sagesse et de solidarité. De dépasser les clivages politiques, nous ne sommes pas là aujourd’hui. Le troisième appel, c’est de demander à tous nos radiothérapeutes de s’investir également dans la recherche pour combattre ce nouveau virus du Covid-19. L’autre appel, c’est que nous soyons citoyens de ce monde, de ce pays (…). Il faut renforcer la chaîne de solidarité en matière sanitaire qu’en matière alimentaire. Je remercie ceux qui, de jour et de nuit, côtoient la mort pour sauver des vies.
Entretien réalisé par DOURA