Pour asseoir dans leur pays les bases d’une démocratie solide et d’un développement durable, les militaires maliens doivent tout simplement prendre le temps nécessaire pour adapter la Constitution à l’âme de leur peuple. Ainsi, le travail ne sera pas bâclé, et la CEDEAO n’aura plus à accourir sans cesse, son manuel (incomplet) du bon usage politique sous le bras, tel un… médecin-après-la-mort !
Nathanaël Vittrant : c’est donc en cette fin de semaine que se tient la grande concertation voulue par le CNSP, au pouvoir à Bamako, pour mobiliser, disent-ils, les Maliens autour d’une transition consensuelle. Toute la question n’est-elle pas de savoir si ce sera acceptable pour la CEDEAO ?
Plutôt que de vivre dans la hantise de ce qui peut plaire à la CEDEAO, ou de se plier aux injonctions de partenaires extérieurs, les militaires maliens seraient mieux inspirés de se préoccuper de ce qu’il leur faut, pour apporter réellement « le salut » à leur peuple. Deux coups d’État en huit ans, c’est le symptôme d’un mal profond, que cette armée se doit de diagnostiquer, pour guérir durablement. Et peu importe, si cela doit prendre trois ans!
Le pays le plus présentable, aujourd’hui, en Afrique de l’Ouest, est le Ghana. En 1981, ce même Ghana avait pâle mine. Comme le Mali d’aujourd’hui. Il a fallu au capitaine d’aviation Jerry J. Rawlings onze ans pour en assainir l’économie et bâtir les fondations d’une démocratie crédible. Et depuis 1992, le Ghana a connu quatre alternances, sans bavure.
Rawlings avait pris le pouvoir une première fois en juin 1979, et l’avait rendu trois mois plus tard aux civils, après des élections libres et transparentes. La CEDEAO n’avait alors pas cinq ans d’existence. En 1981, Rawlings avait dû reprendre le pouvoir pour enrayer l’impéritie du gouvernement de Hilla Limann. Il décide, cette fois, d’achever le travail. Et c’est ce Ghana que l’Afrique et le monde, aujourd’hui, admirent.
Selon vous, il ne resterait plus aux militaires au pouvoir au Mali qu’à se montrer à la hauteur pour instaurer une démocratie qui tienne et un développement durable… en un, deux, trois ans ?
D’abord, il faut noter que les putschistes de Bamako sont, aujourd’hui, plus âgés que Rawlings, à l’époque. Ils connaissent les souffrances de leur peuple. Au nom de quelle coupable prétention devrait-on les empêcher de prendre le temps qu’il faut, sous prétexte que le petit livre de la CEDEAO prévoit qu’une transition, après un coup d’État, ne doit pas durer plus d’un an ? Et pourquoi pas onze mois ? Ou treize ? Que dit donc ce manuel sur la façon de ne pas en arriver aux coups d’État ?
On imagine qu’une armée sérieuse ne prendrait pas les commandes d’un si grand pays, sans avoir un tant soit peu réfléchi à ce qu’elle entend en faire. Peut-être ces militaires devraient-ils s’appuyer, dans l’immédiat, sur ce qui reste de technocrates apolitiques dans le pays, afin que la vaste concertation annoncée ne se résume pas à trouver à chaque parti politique, à chaque chapelle, à chaque mosquée, à chaque « grain », une place autour de la « mangeoire », pour la transition…
Ce risque existe-t-il réellement ?
Depuis la chute de Moussa Traoré en 1991, il s’est installé au fil du temps une mentalité de parti unique dans la classe politique malienne. Pratique qui a connu son apogée sous Amadou Toumani Touré, qui s’en est même, à l’occasion, glorifié. Opposant aujourd’hui, partisan demain, et vice versa. Chacun prend sa part au festin, jusqu’à ce qu’il en soit écarté, pour faire de la place à d’autres. Et ceux qui partent, parfois, finissent par constituer une opposition virulente, à l’affût du moment opportun pour porter le coup de grâce à qui les a humiliés. Alpha Oumar Konaré, ATT, IBK… tous l’ont connu. Pousser les militaires à bâcler le travail peut inciter certains d’entre eux à la tentation de prendre leur tour pour goûter aux délices du pouvoir. Alors, la CEDEAO devrait se préparer à revenir demain, après-demain…
Avec RFI