Le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane a « validé » l’opération visant à « capturer ou tuer » le journaliste Jamal Khashoggi, écrit la CIA dans un rapport déclassifié vendredi par la Maison blanche, que l’Arabie saoudite « rejette totalement ». L’administration Biden a, par ailleurs, annoncé des restrictions de visas pour 76 Saoudiens accusés d’avoir « menacé des dissidents à l’étranger ».
Le prince héritier d’Arabie saoudite Mohammed ben Salmane (MBS) a « validé » l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi en 2018, affirment les services de renseignement américains dans un rapport publié vendredi 26 février. Dans la foulée, l’Arabie saoudite a annoncé « rejeter totalement » le rapport américain.
« Nous sommes parvenus à la conclusion que le prince héritier d’Arabie saoudite Mohammed ben Salmane a validé une opération à Istanbul, en Turquie, pour capturer ou tuer le journaliste saoudien Jamal Khashoggi », écrit la direction du renseignement national dans ce court document déclassifié de quatre pages.
« Le prince héritier considérait Khashoggi comme une menace pour le royaume et plus largement soutenait le recours à des mesures violentes si nécessaire pour le faire taire », ajoute-t-elle.
Le ministère des Affaires étrangères saoudien a réagi vendredi soir dans un communiqué. « Le gouvernement d’Arabie saoudite rejette totalement les conclusions fausses et préjudiciables contenues dans le rapport concernant la direction du royaume et ne peut les accepter en aucun cas (…) », a-t-il affirmé. Le rapport américain « contient des conclusions et des informations erronées », a ajouté le ministère saoudien.
« Il est vraiment malheureux que ce rapport, avec ces conclusions injustifiées et fausses, soit publié alors que le royaume a dénoncé clairement ce crime odieux et que ses dirigeants ont pris les mesures nécessaires pour s’assurer qu’un tel drame ne se reproduise jamais », a-t-il poursuivi.
La Maison Blanche a annoncé, après la publication du rapport, des restrictions de visas pour 76 Saoudiens accusés d’avoir « menacé des dissidents à l’étranger », et notamment Jamal Khashoggi. Ces sanctions s’inscrivent dans le cadre d’une nouvelle règle, baptisée par le département d’État américain « Khashoggi ban » ou « interdiction Khashoggi », visant à interdire d’entrée aux États-Unis toute personne accusée de s’attaquer, au nom des autorités de son pays, à des dissidents ou journalistes à l’étranger, a déclaré le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken dans un communiqué.
« Le royaume rejette toute décision qui porte atteinte à sa direction, sa souveraineté et à l’indépendance de son système judiciaire », a déclaré le ministère saoudien des Affaires étrangères.
Washington a également annoncé des sanctions financières contre une unité d’intervention spéciale et l’ancien numéro deux du renseignement saoudien, Ahmed al-Assiri, proches de MBS, pour leur rôle dans l’assassinat de Jamal Khashoggi.
Elles visent la Force d’intervention rapide, présentée dans ce document comme une unité d’élite de la Garde royale chargée de la protection du prince. Cette unité « répond uniquement » à Mohammed ben Salmane, « et a participé directement à des opérations précédentes contre des dissidents, dans le royaume et à l’étranger », écrit le renseignement américain. Sept de ses membres ont participé au commando qui a tué Jamal Khashoggi, selon le rapport.
Quant au général Assiri, un influent militaire, il avait été mis en accusation mais acquitté par la justice saoudienne. La justice turque l’accuse, de son côté, d’être un des commanditaires du meurtre du journaliste saoudien en octobre 2018 dans le consulat de son pays à Istanbul.
Le renseignement américain a, en outre, publié une liste d’une vingtaine de personnes impliquées dans l’opération commando, dont l’ex-numéro deux du renseignement saoudien Ahmed al-Assiri et de l’ex-conseiller de ce dernier à la Cour royale, Saoud al-Qahtani, tous deux blanchis par la justice de leur pays.
« Punir les États qui menacent et attaquent des journalistes ou des opposants présumés »
« Jamal Khashoggi a payé de sa vie pour exprimer ses opinions », a affirmé Antony Blinken, expliquant vouloir « punir les États qui menacent et attaquent des journalistes ou des opposants présumés au-delà de leurs frontières simplement car ils exercent leurs libertés fondamentales ».
« Nous avons dit très clairement que les menaces et attaques extraterritoriales par l’Arabie saoudite contre des militants, des dissidents et des journalistes devaient prendre fin », a-t-il insisté. « Elles ne seront pas tolérées par les États-Unis », a-t-il prévenu.
Le rapport souligne que le prince héritier disposait depuis l’année 2017 d’un « contrôle absolu » des services de renseignement et de sécurité du royaume, « rendant très improbable l’hypothèse que des responsables saoudiens aient pu conduire une telle opération sans le feu vert du Prince ».
Les services de renseignement américains supposent par ailleurs que, à l’époque de l’assassinat de Jamal Khashoggi, MBS faisait régner un climat tel que ses collaborateurs n’osaient vraisemblablement pas remettre en question les ordres reçus, « par crainte d’être renvoyés ou arrêtés ».
Le président Biden, qui avait jugé, avant son élection en novembre, que le royaume du Golfe devait être traité comme un État « paria » pour cette affaire, a tenté de déminer le terrain en appelant jeudi au téléphone le roi Salmane pour la première fois depuis son arrivée à la Maison Blanche.
S’il a mis l’accent sur « les droits humains universels » et « l’État de droit », il a aussi adressé un satisfecit au monarque pour la récente libération de plusieurs prisonniers politiques. Et il a évoqué « l’engagement des États-Unis à aider l’Arabie saoudite à défendre son territoire face aux attaques de groupes pro-Iran », selon la présidence américaine.
En 2018, des élus américains et des experts de l’ONU avaient accusé le prince d’avoir commandité l’assassinat survenu en octobre de la même année. Le prince saoudien appelé MBS avait rejeté ces accusations, assumant néanmoins sa responsabilité en tant que dirigeant de facto du royaume.
Critique du pouvoir saoudien après en avoir été proche, Jamal Khashoggi, résident aux États-Unis et chroniqueur du quotidien Washington Post, avait été assassiné le 2 octobre 2018 dans le consulat de son pays à Istanbul par un commando d’agents venus d’Arabie saoudite.
Avec AFP et Reuters