Dès le lendemain du 05 Septembre 2021, le Comité National du Rassemblement et pour le Développement ayant renversé le régime d’Alpha Condé a entamé une série d’actions qu’il estime « patriotiques ».
Il s’agit entre autres de la mise en place de la cour de répression des infractions économiques et financières et la campagne de récupération des domaines de l’État.
Si les premiers actes du colonel Mamadi Doumbouya, notamment la libération des prisonniers politiques et la réduction du prix de carburant ont été hautement appréciés par les populations, le nouveau chantier de la junte ne fait pas l’unanimité.
La démarche des autorités actuelles en ce qui concerne la récupération des domaines étatiques provoque un grincement de dents, au sein de l’opinion nationale.
Même si au départ, le chef de la junte avait annoncé que sa priorité était le retour à l’ordre constitutionnel, nombre d’observateurs pensent que le CNRD est sur le point de s’égarer.
Le Colonel Mamadi Doumbouya et son équipe ont-ils la légitimité de procéder à de tels actes ? La transition militaire est sur la voie d’être rallongée surtout que sa durée reste toujours méconnue ? Voilà autant de questions que nous avons abordées avec le grand écrivain guinéen Tierno Monénembo.
M. Tierno, six ( 6 ) mois après le renversement d’Alpha Condé les guinéens n’ont aucune « lisibilité » sur le processus de transition, est-ce que vous avez la même lecture ? Dites-nous en quoi la récupération des domaines étatiques devrait être une priorité pour la junte ?
Certainement pas. La priorité ou plutôt, le seul et unique rôle d’un gouvernement de transition, c’est d’organiser des élections libres et transparentes le plus rapidement possible tout en expédiant les affaires courantes. Les questions de fond reviennent à un gouvernement normal, un gouvernement véritable, un gouvernement digne de ce nom, issu des urnes et respectueux des procédures. Le gouvernement de Mamadi Doumbouya n’a rien de légal. C’est un gouvernement
putschiste dont les Guinéens s’accommodent pour un laps de temps, parce qu’il a eu le mérite de leur débarrasser du pouvoir néfaste d’Alpha Condé. La soi-disant récupération des biens de l’État n’est qu’un acte de diversion qui ne trompe personne. On tente de faire oublier au peuple que six mois après, le délai de la transition n’est toujours pas connu et que la liste du CNRD reste toujours clandestine pour des raisons que tout le monde connaît. C’est de la manigance politique, tout cela. Il s’agit d’affaiblir les opposants et de renforcer la parentèle. Mamadi Doumbouya fait tout pour garder le pouvoir soit pour lui, soit pour un membre de sa tribu. En Guinée, des notions comme les audits ou la récupération des biens de l’État ne sont jamais que des moyens de pression, de simples moyens de chantage politique. Ce ne sont jamais des procédures administratives régulières.
Vous avez vu, ce sont les militaires qui gèrent cette affaire et non le « Patrimoine Bâti Public. Comble de l’ironie, ce sont deux pick-up bourrés de bidasses qui ont déposé l’avis d’expulsion à Cellou et non un agent du ministère de l’habitat. Pour moi, ceci n’est pas un acte de force, mais un acte d’extrême faiblesse. C’est là tout l’État guinéen, incompétent, archaïque, infantile !
Selon vous, un président qui n’est pas légalement installé, a-t-il le droit d’entamer une telle démarche ?
À part expédier les affaires courantes et organiser les élections, tout ce que fait un gouvernement de transition est illégal.
Baptiser l’aéroport de Gbessia du nom du tyran Sékou Touré est illégal. Procéder à la récupération des biens de l’État est illégal. Il s’agit là d’actes de souveraineté, prérogatives revenant à un président démocratiquement élu. Mais, il y a un acte encore plus illégal, c’est le fait que le président de la transition nomme par décret le président du CNT. Cela enlève toute légalité à ce régime. Les lois que voteront le CNT ne seront jamais que les purs et simples décrets de Mamadi Doumbouya. Même au temps de Dadis, la présidente du CNT avait été désignée par ses collègues. Récapitulons donc : C’est le président de l’exécutif qui nomme celui du Législatif. C’est le ministre de l’Administration du Territoire qui organise les élections. Nous sommes au cœur du pouvoir absolu, celui qui rend absolument fou. Mais que voulez-vous, les guinéens n’ont jamais connu que ça, les délices du pouvoir absolu.
Parmi les personnalités concernées par le déloge ment dans le cadre de la récupération des biens de l’État, figurent Cellou Dalein Diallo et Sidya Touré qui disent avoir acquis légalement leurs domaines. La position du CNRD à cet effet demeure inchangée, même si c’est en violation des droits de ces derniers. Est-ce qu’on s’achemine vers le retour des pratiques du défunt régime ?
Comment voulez-vous que l’on ne revienne pas aux pratiques de l’ancien régime. Le personnel est le même. Ce sont les mêmes qui étaient aux commandes hier qui sont aux commandes aujourd’hui. Et parmi eux, des défenseurs du troisième mandat connu. Rien ne sert de changer l’étiquette du restaurant, c’est le même repas qui sera servi si vous ne changez pas de cuisinier.
Après la mise en place de la cour de répression des infractions économiques et financières, plusieurs procédures judiciaires concernant des faits de corruption et de détournement de fonds sont enclenchées contre certains hauts cadres du régime Condé. Qu’est-ce que vous pensez de cette initiative ? Est-ce qu’elle pourrait prospérer?
C’est du tapage ! Pour l’instant, je ne crois pas à une véritable enquête sur la corruption en Guinée. Les enquêtes dans ce pays ont toujours été orientées politiquement et peut-être même ethniquement.
A votre avis, au-delà de fixer la durée de la transition, quelle autre orientation serait encore utile au Comité National du Rassemblement et pour le Développement, dans le but de se concentrer uniquement sur l’essentiel ? C’est-à-dire le processus électoral.
Il nous faut le délai de la transition, il nous faut aussi un calendrier et un organisme indépendant chargé des modalités du scrutin. C’est une hérésie que de confier cela au MADT. On ne peut être juge et partie.
Interview réalisée par Hadja Kadé Barry