Les assises nationales, le délai de la transition, la mise en place d’un cadre de dialogue inclusif sont entre autres, les sujets débattus au sein de la classe politique guinéenne.
Sur les différentes questions, les avis des leaders politiques divergent. Si quelques-uns optent pour la patience en ce qui concerne la publication de l’agenda de la transition, afin de connaître le délai imparti, d’autres pensent tout à fait le contraire.
Pour connaître la position de l’Union pour un Mouvement Populaire, un de nos reporters est allé à la rencontre du président de cette formation politique.
À travers une interview accordée à notre rédaction ce mercredi 06 avril 2022, Boubacar Siddighi Diallo a déploré les menaces de sanctions proférées par les dirigeants de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest à l’encontre de la junte militaire guinéenne.
Il s’est aussi prononcé sur bien d’autres sujets.
Lisez plutôt :
Mosaiqueguinee.com : depuis le 05 septembre aucun agenda n’a été fourni par le CNRD. Comprenez-vous cet état de fait ?
Boubacar Siddighy: depuis le 05 septembre, le CNRD n’a pas donné un chronogramme et une date, mais le CNRD a quand même rassuré les guinéens sur son intention d’aller à des assises nationales et que la date sera fixée par l’ensemble des forces vives de la nation. Et les assises intègrent l’ensemble des forces vives de la nation. Ces assises, c’est vérité et réconciliation. Aujourd’hui à mon avis, il ne faudrait pas mettre la charrue avant les bœufs. L’ensemble des thématiques débattues autour des assises va intégrer toutes les préoccupations des populations et au bout on va essayer de sortir avec un plan d’actions, qui va définir l’ensemble des activités à mener dans les différents cadres qui rythment la transition. Et pour chaque thématique et chaque activité, il y a un timing à définir et l’ensemble des timing-là vont définir la durée. Maintenant, elle peut être discutable et qu’on s’accorde avec les politiques sur la faisabilité. Si la durée est jugée longue, alors il faut revoir les thématiques, les réduire pour ramener la durée à une proportion normale. Si elle est courte également on peut discuter pour la rallonger à une proportion acceptable, voilà ma lecture des choses. Si les politiques réclament une date au CNRD, ça veut dire que les politiques acceptent que le CNRD impose une date. À mon avis, le CNRD n’a pas mis fin à un ordre constitutionnel établi pour juste passer de nouvelles élections. Ce serait un non-sens. Il y a un calendrier à démultiplier, il y a des actions à poser et des acquis attendus, il va falloir poser ces actes-là et obtenir ces acquis, avant de passer la main, sinon ça ne sert à rien d’avoir débarqué le président légalement élu. Donc, à mon avis aujourd’hui on attend les assises pour qu’on essaye ensemble de fixer les paramètres de la transition.
La CEDEAO a par ailleurs haussé le ton pour demander à la junte de présenter un calendrier acceptable d’ici un mois pour la transition guinéenne, le 25 mars dernier à l’issue d’un sommet extraordinaire. Qu’est-ce-que vous pensez de cette recommandation des dirigeants Ouest-africains ?
Les résolutions prises par la CEDEAO me paraissent irréalistes. La CEDEAO est une institution internationale regroupant des États souverains. Et dans chacun des États, le principe constitutionnel dispose que la souveraineté appartient au peuple qu’il exerce par le biais de ces représentations élues. Donc, c’est les peuples des différentes composantes de la CEDEAO qui incarnent la souveraineté de chaque État. Alors si la CEDEAO est mise en place pour travailler dans le cadre du bien-être de ces populations, les sanctions doivent être d’abord de nature à préserver les intérêts directs de ces populations-là, mais on a vu le cas du Mali lorsqu’ils (les membres) ferment les frontières, ils gèlent les avoirs des banques centrales du pays, les premières conséquences sont ressenties directement par les populations à la base. Avant que les dirigeants ne soient embêtés ou qu’ils soient dans une situation de difficultés due aux sanctions, les peuples auront fini de crever. Alors si les décisions des institutions sous régionales africaines ont pour incidence d’étouffer et d’augmenter la précarité des citoyens, je crois que les décisions n’ont pas de sens et sont irréfléchies et émotionnelles. En plus pour le cas du Mali, la CEDEAO a pris des mesures qui ne sont pas de nature à refléter des décisions issues des textes la constituant. Il n’y a aucune disposition légale qui donne droit à la CEDEAO de fermer les frontières d’un État membre et la CEDEAO a pris ces mesures. Il n’y a aucune disposition légale qui donne droit à la CEDEAO de geler les avoirs des banques centrales d’un pays membre. Donc, à partir de là, la CEDEAO s’est auto flagellée, c’est-à-dire qu’elle pose des actes à incidence juridique criminelle illégale et injustifiée, dont le but est est essentiellement d’étouffer l’économie du pays. Et lorsque l’économie d’un pays est étouffée, c’est les populations à la base qui ressentent les premiers et les derniers. Donc à quoi ça sert que la CEDEAO menace la Guinée de sanctions, lorsque le peuple de Guinée unanimement, majoritairement a soutenu l’élan du CNRD. Moi je ne peux pas souscrire à une telle démarche. La CEDEAO doit d’abord montrer qu’elle est soucieuse du bien-être des populations, mais vous allez voir les premières sanctions si elles arrivent, c’est de priver de voyage les membres du CNRD et du gouvernement. Ce qui en soi va toucher directement les dirigeants, mais ils risqueraient de prendre les mesures de fermer les frontières guinéennes avec les pays limitrophes, ce qui va impacter non seulement la Guinée mais aussi tous les pays qui tirent l’essentiel de leur commerce de la Guinée. Vous avez vu quand les frontières ont été fermées, les prix des denrées ont grimpé parce que le Sénégal reste fortement lié à la Guinée, la Guinée-Bissau et la Sierra Leone également. Aujourd’hui, si le Sénégal ferme ses frontières avec le Mali, 65% des importations à partir du port sont destinées au marché malien. Aujourd’hui ça c’est fermé, donc cela réduit drastiquement les recettes du port de Dakar. S’ils ferment les frontières avec la Guinée également cela risque encore de prendre un coup sérieux pour l’économie sénégalaise. Et après ils vont dire de fermer vers le Burkina, finalement ce sont les mêmes pays qui exécutent les mêmes décisions qui vont souffrir, plus que les pays qui sont mis dans cet embargo. Moi je crois que la CEDEAO doit plutôt intégrer l’ensemble des aspirations des peuples dans des conditions transitoires. Pourquoi le peuple de Guinée soutient le CNRD? Et pour arriver à quelles fins? Ce n’est pas à cause d’une date qu’il faut mettre tout le peuple dans une punition collective. L’UMP ne partage pas l’idée de la CEDEAO à menacer les pays ou à les mettre sous embargo, comme s’il y a un supra-État qui décide sur les autres États. On n’est pas dans un État fédéral où la CEDEAO est l’État fédéral et les autres États membres d’une fédération. L’État fédéral prend une décision et l’impose aux autres. Nous ne sommes pas aux États-Unis. C’est quand même une association de libre adhésion. Alors si ça ne va pas les uns finiront par se retirer. La CEDEAO n’aura plus de contenu et je ne crois pas que ça va dans le sens de redynamiser et de renforcer les institutions sous régionales et même les États. Et cela risque même de mettre en mal les États voisins, parce que si un État ferme ses frontières à côté d’un autre, ça laisse un précédent qui risque de jouer défavorablement dans les politiques étrangères entre ces États. Pour moi la CEDEAO n’a pas à menacer, elle a à comprendre et à intégrer l’ensemble des préoccupations, pour qu’ils (les chefs d’État membres) puissent envoyer des facilitateurs, pour permettre aux Etats de passer ce cap de transition, dans des situations confortables pour les populations.
Pour la réussite de cette période cruciale pour les guinéens, de nombreux leaders politiques ont exigé la mise en place d’un cadre de dialogue permanent pour pouvoir discuter des questions essentielles, notamment le chronogramme électoral. Cependant, la junte a commencé par les assises nationales à votre avis est-ce qu’il s’agit d’une bonne démarche? Est-ce que vous faites partie de ceux-là qui réclament un dialogue inclusif ?
Tous les partis sont demandeurs du cadre de dialogue inclusif. Ce cadre va nous permettre d’échanger entre les politiques et le CNRD sur l’ensemble des thématiques du processus de gestion de la transition. C’est effectif on a demandé ça mais le CNRD n’a pas donné suite. Mais à l’UMP nous pensons que même si on commence par les assises ce qui est une très bonne chose, nous sommes parties prenantes, on soutient l’idée au cours des assises, on peut soulever l’ensemble des problèmes qui sont d’actualité et pour lesquels, il faut donner suite y compris le cadre de dialogue. Lors des assises puisque c’est vérité et réconciliation on dit la vérité au CNRD, qu’il ne peut pas seul gérer le processus de la transition sans les politiques, ça c’est une vérité. Maintenant la réconciliation viendrait avec des propositions de sortie de cette crise, pour que tout le monde soit content. Et je ne pense pas que le CNRD puisse organiser des assises lors desquelles les thématiques vont rester sans suite. À ce moment, ça donnera l’aperçu d’un travail inachevé. Pour moi les gens doivent accepter de venir autour de la table pour parler de tout ça.
Du regard de politicien, à quoi peut-on s’attendre ? Est-ce qu’on peut déjà parlé d’un rallongement de la période de transition ?
Pour moi le CNRD a dit nous allons faire la refondation de l’État et la refondation c’est reprendre des bases qui n’existaient pas ou refaire celles qui existaient mal. Dans ce processus-là, ils ont mis en place la CRIEF, ils sont en train de récupérer les biens de l’État, de réformer l’administration civile ou militaire. Ils sont en train aujourd’hui de donner une nouvelle perception sur la gestion de la chose publique. Ce qui est une très bonne chose. Maintenant de l’autre côté, les gens peuvent continuer politiquement à suspecter des intentions qu’on peut leur créditer, c’est de bon bonne guerre. Mais jusqu’à présent ce qui reste clair, le CNRD a dit nous ne ferons partie d’aucune prochaine élection et nous, et les membres du gouvernement ce qui est une garantie forte de leur neutralité par rapport à ce jeu politique, qui va commencer à s’installer dès lors qu’on va poser les bases pour arriver à une nouvelle élection. Maintenant, dire que à quoi on va s’attendre, on s’attend à ce qu’ils (les membres du CNRD) mènent à bout leur refondation au bout de laquelle, nous allons parvenir à avoir un fichier électoral propre et un calendrier électoral clair et des échéances électorales qui vont suivre le cours de la normale, en respectant les principes démocratiques et légaux. Si tel est le cas alors nous allons continuer à les soutenir et la transition finira en beauté. Maintenant, si lors de ce processus il y a des manquements on va essayer de les soulever. C’est pourquoi le cadre de dialogue est important, parce qu’à ce moment au lieu de déporter les incompréhensions dans la rue, il y a un cadre qui nous permettra de porter l’ensemble des revendications autour de la table, pour que chacun puisse prendre connaissance et en être conscient de l’enjeu ou de l’impact de sa position, par rapport au processus pour lequel tout le monde se donne les mains, pour qu’il y ait quand même une réussite. Je crois qu’on parle de rallongement, que lorsque ce qui est prévu doit être dépassé. Pour le moment, la prévision n’est même pas fixée, parce qu’il n’y a pas de délai. Mais ce qui est clair quel que soit le délai qui doit être fixé, il doit être conforme à un chronogramme qui va être consensuel, parce qu’une transition est essentiellement consensuelle et d’ordre normatif. Et les actes qui doivent être posés doivent répondre à des impératifs de réformes qui justifient même la transition, sinon rien ne justifie un coup d’État. On ne peut pas faire un coup d’État pour organiser une élection. Donc, si on a fait un coup d’État et qu’on a bénéficié d’une légitimité du jamais vu, on doit poser un acte qui justifie cela pour le bien du processus, du pays et de la nation. Attendons de savoir aujourd’hui quel est le chronogramme, quels sont les délais pour chaque activité et quel est le délai global. À ce moment-là, on va maintenant voir la mise en œuvre et ensemble on va commencer à apprécier, est-ce que c’est rassurant ou pas, mais pour l’instant je crois que créditer d’une mauvaise foi serait très hâtif. Il faut donc attendre de savoir quel est le sens de l’orientation des choses, après on va critiquer ce qui n’est pas bon et soutenir ce qui est bon.
Interview réalisée par Hadja Kadé Barry