Dissolution du FNDC, cadre de dialogue, CEDEAO, solution de sortie de crise, Abdourahamane Sanoh rompt le silence. Dans une grande interview qu’il a accordée à la rédaction de Mosaiqueguinee.com, l’ancien coordinateur du FNDC et de la PCUD affronte comme un lion aussi bien les défis à relever par la transition, les questions de l’heure ainsi que ses projets futurs.
Interview
Mosaiqueguinee.com : Qu’est-ce qui explique le silence de Abdourahamane Sanoh il y a un bon moment ?
Abdourahamane Sanoh : Vous savez, de moins en moins je parle maintenant pour la simple raison que je crois que le silence est aussi un moyen de communication. Oumar Sylla a été arrêté, a été empêché de voyage et avant, il a été arrêté dans des conditions que tout le monde a condamnées. Je pense que leur arrestation est une erreur parce qu’ils ont leur place ailleurs. On ne peut pas prendre et on ne doit pas le faire même si on en a le pouvoir pour leur opinion, pour l’exercice de leur droit et les mettre en prison. C’est une politique qui consiste à créer la peur, à faire taire les voies dissonantes. Cela dessert pour plus les autorités et l’Etat que ceux là met en prison. C’est lorsqu’on va en prison pour de bonnes causes, qu’on renforce sa légitimité. Et, on est en train de les mettre en prison injustement, je crois comme l’écrasante majorité des guinéens que la lutte qu’ils mènent, est une lutte qu’il faut mener. Maintenant ce qui peut être discutable c’est qu’autres choses, fondamentalement, c’est gens qui sont en train de poser des actes nobles et auraient dus plutôt des partenaires, comme tout autre guinéen pour que cette transition n’échoue pas. Parce que, c’est une opportunité qu’on a ; je l’ai dit aux autorités de la transition, tout le monde doit s’y mettre pour son succès mais très malheureusement, des actes qu’on est en train de poser, ne vont pas dans le bon sens.
Le Ministre de l’administration du territoire et de la décentralisation a annoncé la dissolution du FNDC le lundi 08 Août dernier. Comment réagissez-vous à cette actualité ?
« C’est avec une très grande surprise et beaucoup de questions que j’ai appris l’acte parlant de dissolution du FNDC. Je me demande, en réalité, à quoi ça sert ? Comment ça va être appliqué ? Est-ce qu’il y a une compréhension de ce que c’est que le FNDC ? Est-ce qu’on ne pouvait pas faire les choses autrement et je me demande enfin, qu’est-ce qui amène à un truc de radicalité ? Toujours est-il que cet acte est l’expression, même si je crois profondément à son inefficacité, d’un agacement, d’un embarras et peut-être sans chercher à trouver les bonnes solutions par rapport au combat que le FNDC est en train de mener, pour la restauration de la démocratie. Je ne pense pas que l’acte là avait lieu d’être. On aurait dû éviter cela. Le FNDC est l’expression de chaque citoyen ; à moins qu’on dise à chaque citoyen, vous n’êtes plus citoyen ou qu’il est déchu de sa nationalité. Mais, dans la pratique, ce qu’il faut craindre, c’est qu’on ne se serve se cet acte qui, pratiquement, questionne, pour aller à la répression parce qu’on rentre, de plus en plus, dans une situation assez radicale. Les positions se radicalisent davantage et la raison domine moins ; il y a des question d’ego aussi qu’on voit se greffer à tout ça. Il faut donc craindre que cet acte de dissolution ne soit utilisé pour justifier la répression pour des fins d’intimidation. Or, je ne crois pas non plus que la répression, la création de la peur comme mode de gouvernance, soit plus efficace dans le contexte du 21ème siècle. (…). Tout le monde doit œuvrer pour que le FNDC ne disparaisse pas. En œuvrant à cela, peut-être qu’on peut améliorer ses actions. Le CNRD a intérêt à ce que le FNDC ne disparaisse pas
Le FNDC annonce une série de manifestations dès le début de la seconde quinzaine du mois d’août, est-ce la solution ?
J’estime que les manifestations, par expérience, sont souvent initiées et organisées parce que les organisateurs n’ont pas d’autres choix. On pousse les gens à manifester. Vous savez, lorsqu’on a une responsabilité publique, même à l’échelle d’une institution familiale ou associative, il faut faire en sorte que les initiatives qu’on prend, les actes qu’on pose, des propos qu’on tient puissent avoir de la légitimité. C’est-à-dire, faire en sorte que l’écrasante majorité se reconnaît en cela. Lorsque ça perd de la légitimité, vous aurez des gens qui auront des voies dissonantes parfois même avant que vos actes ne perdent de la légitimité. Ne les prenez pas comme des adversaires ou des gens qui bravent l’autorité de l’Etat. Ecoutez les parce qu’ils sont aussi concernés. Peut-être que cette dissonance de voie peut permettre de trouver des vraies solutions ou bonifier ce en quoi nous croyons parce que personne n’a la vérité absolue. Et cela, c’est de la force, ce n’est pas de la faiblesse. Il faut une immense bravoure, de la sagesse, de l’humilité, du sens de la justice et beaucoup d’autres valeurs pour souvent se remettre en cause pour aller ensemble. Donc, lorsqu’on le refuse, on donne à certains, le sentiment d’être victimes d’injustice. Et quand on insiste à ne pas les écouter, ça donne le sentiment du mépris ; cela amène de la réaction, ça c’est humain, il faut s’attendre à cela. Appelez à une autre manifestation, vraiment, j’aurai souhaité que ce soit autrement. Mais cette initiative qui peut favoriser l’accalmie, la paix ne peut-être prise que par le CNRD, par un tenant du pouvoir. Je crois que tout le monde y a, à gagner à commencer par eux. Voilà comment je comprends le problème d’autant plus que les manifestations sont prévues par la loi et les procédures qu’il faut suivre pour les organiser sont connues. L’interdiction systématique est une injustice, peut-être source de la violence. Par contre, la création d’un espace de dialogue permettrait de donner à chaque guinéen, le sentiment d’appartenir à une communauté qui défend les valeurs d’égalité.
Et puisse que vous évoquez une communauté qui défend les valeurs d’égalité, certains dénoncent une main lourde de la CEDEAO contre la junte guinéenne. Partagez-vous leur avis ? La CEDEAO est-elle clémente vis-à-vis du CNRD ?
Il faut comprendre aussi que la CEDEAO est dans l’embarras, elle s’est mise dans une situation extrêmement compliquée qui l’a affaiblie. Il ne faut pas non plus, surestimer, la capacité de la CEDEAO, dans le contexte actuel. Est-ce qu’elle peut aujourd’hui sanctionner la Guinée et appliquer les sanctions ? C’est cela aussi un peu le problème. Vous savez très bien, en 2019, quand on était en train de se battre contre le 3ème mandat, la CEDEAO, malgré toutes les alertes, n’a pas su réagir à l’époque. C’était compliqué pour la commission en raison du fait que la CEDEAO, c’est aussi des chefs d’Etat qui sont hors la loi. Il ne faut pas surestimer la capacité de la CEDEAO à pouvoir influer sur le cour des choses même s’il ne faut pas la négliger non plus. Notre problème est un problème interne. Il faut que, dans toutes les dimensions, ce soit nous qui nous mobilisons en terme d’analyse, de recherche de solutions. Lorsque les choses se font sur la base d’intérêts personnels, ça va être très compliqué de s’en sortir. On va créer des problèmes à l’interne parce la situation ne peut pas continuer de cette façon, on va droit dans le mure même, par ailleurs, des actions positives sont posées. Tout le monde est conscient que ça ne va pas. Et le gouvernement n’a pas, en tout ca pour le moment, montré sa capacité à pouvoir redresser la situation même s’il ne faut pas non plus penser que ça pouvait se faire de but en blanc. On aurait pu faire quand même, qu’on n’ouvre pas les fronts dans tous les sens, créer des tensions pendant qu’on peut avoir d’autres solutions.
Le dialogue politique semble mort-né. Est-ce une peine perdue ?
Je pense qu’on n’a même pas commencé le dialogue, on est rentré dans les jeux de ruses pour faire traîner les choses ; hors la transition est un moment de communion, c’est la résultante d’un échec. J’entends souvent les gens dire que c’est un problème politique, attention, ce n’est pas qu’un problème politique. Qu’est-ce qui nous a amenés à la crise ? La transition doit être considéré comme un moment, du fait d’une crise profonde qui a ébranlé la nation, qui doit nous amenés à nous assoir pour faire en sorte que ce qui nous a conduits à ça ne se reproduise plus. Et cela n’est possible qu’à travers le dialogue et il n’y a personne d’autres que Mamadi Doumbouya pour accorder une priorité à cela et le prendre en main. L’une des plus importantes erreurs de la junte, c’est dans la constitution du gouvernement. On a mis en place un gouvernement comme si le pays était dans une situation normale, comme si on n’avait pas connu de crise. Il n’y a eu aucun département qui ait été créé pour être dédié à la réflexion sur ces crises et des proposer des solutions. Il y a d’autres aspects aussi. Si on ne peut pas s’assoir pour discuter, se dire ce qui n’a pas marché et qu’est-ce qu’il pour répéter les mêmes choses, on ne peut pas avancer. Et c’es là où il y a gros risque qu’on connaisse d’autres transitions. Parce que si on impose les lois et les façons de faire, quelqu’un d’autres viendra un jour les remettre en cause. J’en appelle au colonel Doumbouya, pour qu’il réalise que demain, l’histoire ne verra que son visage. Tous les autres qui sont en train d’amener dans tous les sens, ne seront que des acteurs secondaires ; on parlera moins d’eux. Je souhaite qu’il réalise qu’on est déjà dans le dérapage. Il ne s’agit pas seulement de venir à la tête de l’Etat, mais ce qu’on pose comme acte, ce qu’on laisse comme héritage, compte beaucoup pour la postérité.
Qui pourrait présider le cadre de dialogue ?
Qui peut présider ce cadre de dialogue importe peu. ce qui compte, c’est la volonté. Ce cadre de dialogue rattaché à la présidence est plus important que de créer une agence des priorités présidentielles rattachée à la présidence. Tout guinéen consciencieux peut être retenu pour ça, ce n’est pas un problème de personne. Si on définit le cadre de dialogue sur la base de consultations sincères, d’échange inclusif, on va trouver le mécanisme, son mode de fonctionnement, les hommes qu’il faut pour le faire fonctionner, les objectifs clairement définis, les textes qui le régissent et les attentes. Après, on mettra des hommes et des femmes, il y en a assez en Guinée pour cela. Autant on a des opportunistes qui s’agitent de partout, autant on peut avoir des gens pour animer un cadre de dialogue sincère et inclusif. Il y a des gens qui ne courent pas forcément derrière l’agent ou les opportunités.
Que fait Abdourahamane Sanoh depuis son retrait à la tête du FNDC et de la PCUD ?
Abdourahmane Sanoh est en train de travailler, de travailler dur, en continuant le combat citoyen. Pour qui est conscient de la situation du pays et de la gravité de cette situation, ne peut pas s’exclure des conséquences de cette gravité. D’abord, ça fait des décennies qu’on est en train de vivre dans un cycle d’espoir déçu ; tout le monde ou du moins, beaucoup de gens ont applaudi le 5, mais aujourd’hui, majeure partie des guinéens est désenchantée. On est dans ce cycle et ça fait des décennies. Cela doit nous amener à réfléchir parce que nous avons utilisés toutes les armes. Avant le FNDC, la Guinée a connu les syndicalistes en 2006 et 2007 qui ont amené la vague de protestation qui a conduit à l’émergence des militaires qui sont toujours à l’affut. Parce que, les militaires, ils viennent toujours profiter de la manifestation populaire sinon ils sont du système, ils mangent tous ensemble. Pourquoi on est permanemment dans cela on ne parvient pas à s’en sortir alors qu’il y a des alternances même si ce ne sont pas les types d’alternance que nous souhaitons. C’est qu’il y a un problème. Le problème ? Moi Je crois qu’on a moins de personnes de vertu dans les rouages de la gouvernance. Abdourahmane Sanoh ne va pas du tout se lancer en politique, il n’est intéressé en tout cas pour le moment, à prendre la tête d’un parti politique. Ce n’est pas ce qui m’intéresse mais je me questionne. Je suis en train de travailler, à faire en sorte de continuer la lutte citoyenne pour le pays ; je suis condamné à me battre. Nous travaillons à la conscientisation des populations pour qu’on abandonne les questions ethniques par exemple.
Quelle solution de sortie de crise ?
La seule solution pour sortir de cette crise, reste le dialogue et cela passe par des prises d’initiatives par le colonel Doumbouya. Il est l’autorité la plus concernée, qui sera redevable et la plus questionnée sur le bilan de son magistère. C’est à lui de pouvoir prendre des initiatives constructives pour créer les conditions qui permettraient un dialogue sincère entre les parties ; tout en maintenant les questions de principe mais créer les conditions d’un échange qui pourrait être des conditions assez sincères, être un cadre de dialogue saint qui ne sera pas instrumentalisé par des calculs politiciens pour noyer les consciences. Aujourd’hui, il faut le faire avec les acteurs qui sont, je dirai crédibles ; cela ne veut pas dire qu’il faut aussi exclure les autres. Il faut vraiment que toutes les voies s’expriment et c’est à lui de prendre une telle décision. Aussi longtemps qu’on considéra les voies dissonantes comme des attitudes qui consistent à braver l’autorité de l’Etat, on passera à côté.
Un dernier mot
Encore Mamadi Doumbouya, on est en train d’aller vers une situation extrêmement compliquée. Libérez Oumar Sylla, Ibrahima Diallo, Saïkou Yaya et tous les autres, essayez de reprendre encore la main, écoutez ceux qui ont la voie dissonante, parlez avec les acteurs politiques même s’il peut y avoir des préjugés. Je pense qu’il faut parler avec tout le monde, prenez la parole et apaisez en essayant de réorienter les choses sinon, on risque de rater cette transition que la Guinée n’a pas le droit de rater.
Interview réalisée par Mohamed Bangoura et MohamedNana Bangoura