Dans un entretien accordé au Directeur de Publication de Mosaiqueguinee.com, le président du parti Génération Citoyenne n’a pas mâché ses mots pour exprimer sa désillusion un an après la prise du pouvoir par la junte militaire du CNRD. Le leader politique fait remarquer que la transition guinéenne peine encore à démarrer alors que la classe politique n’apprend pas de ses erreurs. Pour sortir de cette crise, Fodé Mohamed Soumah fait des propositions dans cette interview portant sur l’an un du CNRD.
Mosaiqueguinee.com : Un an après l’arrivée des militaires au pouvoir, quel diagnostic faites-vous de la transition dirigée par le CNRD ?
Fodé Mohamed Soumah : Dans mon entendement et selon ma lecture politique d’une transition militaire, le bilan se fera après la mise en place des institutions et le retour à l’ordre constitutionnel. Nous ne sommes pas face à un président élu parmi d’autres candidats. Je terminerais par dire qu’au vu de ce qu’est une période transitoire, la transition guinéenne n’a toujours pas commencé un an après.
A votre avis, qu’est-ce qui la retarde ? Qu’est-ce qui n’a pas marché ?
Comme je l’ai dit un peu plus tôt, il ne faut pas tirer des plans sur la comète. Je constate que la classe politique n’est toujours pas associée car les propositions relatives au déroulé des points annoncés par le président de la transition lors de son 1er discours ne sont pas prises en compte. Il est temps de se mettre au travail dans un pays où l’on se console par « vaut mieux tard que jamais ».
La classe politique et les acteurs sociaux insistent sur la question d’un dialogue sincère. Mais le médiateur les invite les partis politiques n’ayant pas encore pris part au cadre de concertation initié par les autorités, d’y participer. Etes-vous d’accord ?
C’est bien d’avoir compris que le problème se réglait entre-nous et pas seulement par les Guinéens, comme le pensent les chantres du nationalisme acerbe. Mais encore une fois, nous remettons au goût du jour des termes utilisés depuis le début : cadre de dialogue inclusif et politique, concertation, consensus, transition apaisée, etc. Il fallait aller à l’essentiel, sachant que la transition se terminerait par des élections et bien que les concertations globales et généralisées du début fussent nécessaires. Mais pendant que la classe politique se perdait dans les égos et s’écartait de l’objectif de l’union sacrée qui représentait sa principale force comme du temps du CNDD, les dirigeants du moment préparaient la division avec des alliances politiques sorties de nulle part et la cooptation de leaders politiques en déshérence. En dépit des alertes de la GéCi depuis la clé de répartition du CNT, c’est en désespoir de cause que nous nous sommes retirés de notre coalition et du G58, pour ne pas être comptable des lendemains incertains qui pointent à l’horizon. On ne peut pas vouloir d’une chose et son contraire. Ou la classe politique représentative s’associait à un chronogramme clair et précis, ou elle laissait le CNRD dérouler seul son projet. Ce qui aurait été impossible et qui n’a rien à voir avec l’argumentaire de la chaise vide. Mais bon, on ne va pas refaire le monde ! C’est à désespérer de tout lorsque vous n’apprenez pas de vos erreurs.
Un an après la chute d’Alpha Condé, Fodé Mohamed Soumah est-il frustré ou déçu par la junte ?
Le mot déception est faible. C’est le désenchantement pour tout le monde. Personne ne peut être contre des mesures salutaires comme la moralisation de la vie publique, le combat contre l’impunité ou la récupération du patrimoine de l’Etat. C’est la méthode et les procédures qui nous ramènent à une forme de « démocrature ». Même un élu a besoin de la légitimité populaire ! Il y a eu des pertes en vies humaines pour ce qui n’était même pas une manifestation pacifique comme à l’accoutumée. La dernière actualité des 3 enfants de la même famille décédés à cause d’un insecticide en vente libre me laisse sans voix. Pas de communication, de démission, de sanction, de ratissage… Jusqu’au prochain scandale ? Des personnes emprisonnées en dehors des procédures judiciaires idoines depuis plusieurs mois, etc. La déclaration des biens qui appuierait l’esprit de la Crief. Que dire de la sécurité des personnes et des biens ! L’emploi promis aux jeunes !
Au plan politique, que doit faire la junte ?
Au risque de me répéter, la junte devrait savoir que la transition est éminemment politique et qu’elle ne devrait rien décider de façon unilatérale. Elle gagnerait à fixer les termes de la transition avec la classe politique pour un retour à l’ordre constitutionnel. Sinon le pays va s’enfoncer dans une crise sans fin : violence politique que personne ne souhaite, fuite des investisseurs par manque d’attractivité, confiance rompue entre le CNRD et les populations… Autant de raisons qui devraient amener tout le monde à la raison. Une transition apaisée et réussie ne se décrète pas.
Comment sortir de la crise ?
Loin de vouloir plaider pour ma chapelle, il faudrait élargir le CNT aux partis représentatifs ayant déjà participé à des élections majeures, car il en compte certains qui n’ont jamais compéti. La conquête du pouvoir est le 1er critère de représentativité d’un parti politique, contrairement à ceux qui estiment que tous les agréments se valent. Libérer ceux qui n’ont rien à faire en prison. Résidence surveillée pour ceux qui attendent leurs procès. Mettre les tribunaux en branle pour éviter de garder des personnes pendant longtemps sans jugement. Recadrer les objectifs du gouvernement autour des affaires courantes et insuffler du sang neuf dans le cadre de la prospective cat l’Etat est une continuité. Avoir un regard critique et acerbe sur la gestion du CNT qui veut s’installer à demeure, avec l’écriture d’une nouvelle constitution, d’un recensement intégral, d’une gestion opaque, etc. A revenir sur le discours rassembleur du début, ce 5 septembre 2022 aurait déjà dû connaitre la révision de la Constitution de 2010 (le Burkina l’a fait en une semaine avec quelques patriotes qui ont refusé d’être payés). Un fichier électoral accepté de tous qui aurait permis d’installer les élus locaux et une 10ème Législature. Un Président élu avec un gouvernement qui déroule le programme pour lequel il a été élu. Une Guinée réconciliée avec elle-même et une reconnaissance éternelle à ceux qui aurait permis de faire avancer le pays. Etc. Tout compte fait la transition serait achevé avant la fin de l’année en cours Par ailleurs, nous aurions tout à gagner à nous départir des débats clivant comme le bipartisme ou le retrait d’agréments sans fondement. Il y a ce qu’on appelle les acquis démocratiques et le refus de l’éternel recommencement. In fine, il n’y a pas de bilan à faire au bout d’une année de transition. Mais seulement après le retour à l’ordre constitutionnel.
Entretien réalisé par Mohamed Bangoura