Dans une grande interview qu’il a accordée à la rédaction de Mosaiqueguinee.com, le président de la fédération guinéenne de Handball s’est donné à cœur ouvert aux sujets qui font l’actualité dans cette discipline sportive qui enregistre des progrès notables depuis une décennie. Le bilan du dernier tournoi trophy organisé en Guinée, les défis à relever, son rêve, les bisbilles au sein de la FEGUIHAND, le développement de ce sport à la base, la question des binationaux, l’encadrement des handballeurs, Mamadouba Paye Camara, puisque c’est de lui qu’il s’agit, répond aux questions de Mohamed Bangoura.
Interview
Quel est le sentiment qui vous anime au lendemain de cette double victoire des équipes cadette et junior de Handball ?
Mamadouba Paye Camara : C’est un sentiment de joie, parce que ce n’était pas une compétition gagnée d’avance. Une compétition dont vous jouez à 7, parce que normalement, la zone 2 vous avez 8 mais la formation de la Mauritanie a des soucis au niveau de la fédération internationale d’Handball, ils n’ont donc pas pris part. Dans les poules où vous avez le Sénégal, le Mali, le Cap-Vert, vous vous dites que cette compétition n’est pas gagnée d’avance, parce que ce sont des équipes expérimentées. On est tous contents. Une compétition, pour la gagner, il faut se préparer. Depuis 4 ans maintenant, nous régnons au niveau de la zone 2. Le Sénégal nous titillait un peu, mais maintenant, la formation qu’on a mise en place depuis 10 ans a payé. Avec l’accompagnement de l’Etat, le niveau des techniciens, aujourd’hui, la Guinée prend les rênes de la zone 2.
Sur le plan organisationnel, le défi a-t-il été relevé ?
Je crois que le défi organisationnel a aussi été relevé. Je me dis que depuis 2016 nous avions commencé, la première compétition qu’on a organisée ici c’était le challenge trophée de la zone 2 en 2016. En 2019, on a organisé les préliminaires des jeux africains, après ça on a enchainé avec le challenge continental qu’on a organisé à Conakry. Ensuite, on a organisé la coupe d’Afrique cadette et junior au mois de mars de cette année et après vous avez le challenge trophée. Je me dis bien, à force d’organiser à tout moment, l’expérience est là, et puis, on a une salle adaptée qui répond aux normes internationales. Je suis responsable au niveau international, ce que je vois ailleurs, je copie et viens les recopier chez moi. Si je vous dis que pour cette organisation, nous n’avons pas utilisé 10 personnes, vous n’allez pas le croire. C’est parce qu’il y a eu l’expérience. Avant, on pouvait engager 30 à 40 personnes mais il y avait des couacs. Mais plus vous durez dans la chose, plus vous avez de l’expérience. La dernière délégation est partie le mardi, mais tout le monde est content de l’organisation. Au niveau international mais aussi national.
Au niveau national, à l’exception des zones industrielles, qu’est-ce qui est fait par la fédération que vous dirigez pour le rayonnement du Handball en Guinée ?
Le handball se joue à l’intérieur. A Fria par exemple, vous avez deux équipes de handball dans les deux compétitions. Fria vient même de monter en première division. A Boffa, vous avez les deux équipes en série garçon et fille, à Boké la même chose, à Kamsar vous avez en série fille, à Sangaredi vous avez en série garçon et fille, la même chose à Kindia et à Mamou, à Labé et à Kankan.
Pourquoi pas à N’Zérékoré ?
A N’Zérékoré pour le moment, il n’y en a pas. C’est un processus, ça va venir pour là-bas aussi. Le handball est une discipline sportive, on profite des talents dans les écoles et universités avec des professionnels, pour les diriger vers le handball. Tant que le handball ne s’impose pas dans les milieux scolaires et universitaires, il est très difficile de développer cette discipline dans les régions. Les préfectures et régions dont je vous ai parlées, c’est parce que le handball s’est imposé dans les écoles.
En recevant les cadets et junior le mardi dernier, le ministre Lansana Bea Diallo a invité les jeunes à faire du sérieux dans leurs études. Au niveau de la fédération, comment allier pratique du sport et école ?
Nous sommes l’une des rares fédérations qui récompense les scolaires. Il y a des bourses d’études au niveau du handball. Quand tu es bien à l’école, on te prend. Ceux qui sont dans les écoles publiques, on les envoie dans les écoles privées, leurs scolarités sont payées par le bureau exécutif. On les suit jusque dans leurs maisons. Il y des handballeurs et handballeuses qu’on a suivis du collège jusqu’aujourd’hui, il y en a qui ont fini l’université. Il y en a parmi eux dont on ne connait même pas les parents. Nous faisons tout ça parce que nous ne voulons pas que le handball soit une discipline qui est pratiquée au hasard. On se dit que même sur le terrain du handball, on peut obtenir son diplôme. Le handball est devenu aujourd’hui un métier, ce n’est plus un fait du hasard. Même si tu es multimilliardaire, si intellectuellement tu es limité, ton argent ne te profitera pas à grand-chose. Je paie la scolarité d’une vingtaine de handballeurs. Chez nous, ceux qui quittent le terrain pour aller faire des examens échouent, mais ceux qui restent et font les deux à la fois, décrochent. Cela nous a permis d’avoir beaucoup d’universitaires parce qu’ils savent que quand ils sont avec nous, ils peuvent obtenir le bac.
On constate l’arrivée ces derniers temps de beaucoup de binationaux. Comment faites-vous pour les convaincre afin de rejoindre la sélection nationale ?
Pour les attirer, c’est d’abord le projet et ensuite, il faut aller vers eux parce que ce ne sont pas les appels téléphoniques qui peuvent régler ça. Je me déplace, je vais vers les familles, j’explique mon projet, je montre l’arrêté conjoint qui évoque les avantages qu’on tire quand on est en sélection. Cela ne se règle pas téléphoniquement, parce que c’est des gens qui aiment et veulent progresser. S’il y a quelque chose qui ne lui convient pas, il te dit tout de suite. On intervient même en dehors du terrain, c’est un problème de confiance. Ce sont des gens qui sont très simples, qui ne sont pas trop portés sur l’argent. Quand tu vas donc les voir, il ne faut pas mettre l’argent devant. Il n’y a pas mille secrets.
Les deux (2) équipes nationales (Cadet et Junior) seront au mois de décembre prochain en Trophy en République du Congo Brazzaville pour jouer le challenge continental. Comment se préparent-elles ?
Bien sûr que les dispositions sont prises, même aujourd’hui on en a profité pour en parler avec le ministre parce que le challenge de la zone 2 est qualificatif pour le challenge continental. Nous sommes l’un des rares pays à avoir deux sélections qualifiées au challenge continental. Pour remporter une compétition, il faut se préparer. On a donné 10 jours de repos aux jeunes, les préparatifs reprendront après ça. Nous déjà, à partir du 1er décembre, nous allons nous déplacer. Si la compétition se joue au Congo Brazzaville, nous allons mettre notre camp au Congo Kinshasa ; faire 10 jours de regroupement intensif et profiter éloigner les jeunes de Conakry avant de continuer au niveau de la compétition. L’avantage qu’on a avec les deux sélections, c’est que partout où on part, on fait l’affrontement direct entre les cadets et les juniors. Il y a toujours des affrontements, ils vont souvent en compétition avec le handball en main. J’espère que nous allons décrocher des tickets pour le challenge intercontinental parce que le challenge continental est qualificatif. Mais sauf que pour toute l’Afrique, il n’y a que 2 places. En cadet, il y a une place et en junior, il y a une place. Nous allons nous préparer après ces dix jours.
Du côté des autorités, est-ce que toutes les dispositions sont prises ?
Bien sûr que du côté des autorités, il y a du soutien. Je vous donne un exemple : pour la compétition qu’on vient d’organiser à Conakry, tout ce qui est hébergement, revenait de facto à l’Etat. Le groupe GUICOPRESS et la fondation KPC nous ont aussi aidés. Avec l’équipe nationale, c’est l’Etat qui intervient. Jusqu’à la dernière minute, c’est l’Etat qui fait, ce n’est pas nous. Chacun doit faire sa partition et nous faisons la nôtre. On ne peut dire en ce moment précis que ça ne va pas, si ça ne va pas au moment venu, nous serons les premiers à le dénoncer. Le danger de la non-participation à une compétition pour laquelle vous êtes qualifiés, c’est de facto 4 ans de suspension. Il y a, ajouté à ça, une forte amende et la perte de votre indice sur le plan continental. On ne peut pas se le permettre de ne pas participer à une compétition. Et, au département des sports, je crois qu’il n’y a pas de souci à se faire.
Au niveau interne, est-ce que le différend est réglé avec les frondeurs ?
Vous savez, dans toutes les institutions, vous ne pouvez pas faire l’unanimité. Certains diront que tu fais bien alors que d’autres diront le contraire. Mais, si ta conscience ne te reproche rien, si tu penses que ce que tu fais n’est pas contraire à tes attributions, je crois qu’il n’y a pas de problème. Au niveau des fédérations sportives, c’est les membres statutaires qui sont les rois, c’est eux qui peuvent te dire ce que tu fais n’est pas bon. L’essentiel, si tu as pris une fédération où il n’y avait même pas de toilettes, pas de siège et de terrain, qui n’a jamais participé à une compétition continentale, et que tu parviens à changer et obtient à avoir en 10 ans ce que les autres n’ont pas eu en 30 ans je me dis tu as atteint un sommet. Se maintenir à ce sommet, ça aussi est un autre challenge.
Quelles sont les perspectives ?
Je dois beaucoup à cette discipline parce qu’elle a aussi changé ma vie. J’ai certes pratiqué le sport, mais je n’étais pas trop dedans. Mais à force d’être tout le temps dans le handball, je me suis créé de nouveaux amis, j’ai créé un environnement familial. En me renouvelant tout le temps leur confiance et où tous les membres statutaires m’ont dit on te donne 100% de nos voix, je pense que c’est la chose la plus difficile à digérer. Quand tu as la confiance de tes pairs, tu as peur de les décevoir. C’est ça aujourd’hui, je me dis que j’ai tout eu avec le handball mais je me dis aussi que je ne dois pas décevoir les handballeurs. Je me dis souvent, ce qui est meilleur chez les autres, pourquoi je ne peux pas faire la même chose chez moi ? Quand je venais, j’ai promis que le handball guinéen ne va plus dormir dans la rue, aujourd’hui, Dieu a exaucé mes vœux, mon rêve aujourd’hui avant de quitter à la tête de cette institution, c’est de leur donner un palais des sports pas moins de 3000 à 4000 places ou organiser une CAN seniors parce que nous avons des hôtels. Ce que je veux aujourd’hui, c’est avoir un palais des sports, quand j’ai ça, je peux quitter le handball demain et revenir un jour en tant que simple spectateur mais ça trouvera que je suis fier de ce que j’aurai accompli.
Quel est le prochain défi à relever ?
Le défi ? Je me dis aujourd’hui qu’on a tout poussé mais c’est comment faire venir les sponsors au niveau du handball qui est encore bloqué à part l’aide que GUICOPRESS nous a faite récemment, que Bouba Sampil nous faite il y a 8 ans. Je suis jaloux quand je vois les fédérations des autres pays qu’on n’atteint même pas les chevilles. Aujourd’hui, aller au Sénégal, Orange est le sponsor leader de la fédération sénégalaise de handball. Le port autonome du Sénégal sponsorise la fédération sénégalaise de handball, plein d’autres sociétés. En Guinée, il n’y a aucune société qui nous tend la main. Tu les écris, elles ne répondent pas ; mais pourquoi ? Pourquoi les entreprises guinéennes refusent de sponsoriser les fédérations sportives ? C’est nous qui pouvons vendre leurs images en les mettant sur nos maillots. Quand une image d’une entreprise est sur les maillots, c’est plus vu que quand c’est le spot. D’où je salue le groupe GUICOPRESS qui sponsorise la fédération guinéenne de football pendant 4 ans, c’est du jamais vu. Mais pourquoi pas au handball aussi un jour. J’interpelle les autres sociétés à faire la même chose avec d’autres fédérations. On ne dit pas de prendre tout le monde, c’est un partenariat gagnant-gagnant. Si tu ne gagnes pas ce que tu veux, après tu peux quitter.
Entretien réalisée par Mohamed Bangoura